Adresse de la convention nationale au peuple français faisant suite au rapport de GRÉGOIRE du 16 prairial an 2 de la République
Texte passé à la postérité, rapporté ici pour la connaissance et la reconnaissance du français comme langue de la République.
Origine : Assemblée Nationale
Citoyens, vous avez le bonheur d'être Français, et cependant une qualité essentielle manque au grand nombre d’entre vous pour mériter ce titre dans toute son étendue...
Citoyens, vous avez le bonheur d'être Français, et cependant une qualité essentielle manque au grand nombre d’entre vous pour mériter ce titre dans toute son étendue ; les uns ignorent complètement la langue nationale, d’autres ne la connaissent qu’imparfaitement ; il est des départements entiers où presque jamais elle n’est admise dans le commerce de la vie civile : néanmoins la connaissance et l'usage exclusif de la langue française sont intimement liés au maintien de la liberté, à la gloire de la république, c’est-à-dire à votre bonheur, puisque ses intérêts sont les vôtres.
Cette race de brigands, qu’on nomme rois et princes, rend hommage à votre langue ; ils l’ont introduite dans leurs cours : les cours passeront, les peuples resteront. A leur tour ils honoreront votre langue en adoptant vos principes ; déjà chez plusieurs elle est usitée, tandis que des enfants de la même famille sont à cet égard étrangers les uns aux autres : des amis et des frères ne peuvent se parler sans interprètes !
Autrefois la France était divisée en provinces qui, pour la plupart, avaient des coutumes et des dialectes différents ; cette disparité était entre les mains des despotes un moyen de plus pour les tenir asservies. La révolution vous a tous réunis autour de la patrie ; il n’y a plus de provinces ; pourquoi donc trente dialectes, qui en rappellent le nom, établissent-ils encore entre vous une démarcation funeste ?
Citoyens, vous détestez le fédéralisme politique ; abjurez celui du langage : la langue doit être une comme la république. Du nord au midi, sur toute l’étendue du territoire français, il faut que les discours comme les cœurs soient à l’unisson.
Ces dialectes divers sont sortis de la source impure de la féodalité ; cette considération seule doit vous les rendre odieux : ils sont le dernier anneau de la chaîne que la tyrannie vous avait imposée ; hâtez-vous de le briser. Hommes libres, quittez le langage des esclaves pour adopter celui de vos représentants, celui de la liberté !
Comment pouvez-vous statuer sur l’acceptation des lois, les aimer, leur obéir, si la langue dans laquelle elles sont écrites vous est inconnue ? Proposer de les traduire, ce serait pour vous un surcroît de dépenses ; ce serait ralentir la marche du gouvernement ; d’ailleurs, la plupart des patois ont une indigence de mots qui ne comporte que des traductions infidèles.
Tous les citoyens sont admissibles à toutes les places ; il est même à désirer qu’ils soient propres à les remplir tour à tour. Vos enfants sont moins à vous qu’à la patrie, et vous lui devez un compte rigoureux de vos soins, pour former une génération nouvelle d’hommes également capables de devenir bons artisans et bons juges, de manier le rabot et le sabre, et de passer de la charrue au siège législatif. Mais si la langue française ne vous est pas familière, qu’arrivera-t-il ? Ou vous remplirez mal les fonctions auxquelles vous appelleront vos concitoyens ; votre incapacité trompera leur confiance et compromettra la chose publique en vous déshonorant ; ou votre ignorance connue éloignera de vous les suffrages : alors les places seront constamment réparties entre un petit nombre de personnes ; l’autorité se concentrera dans leurs mains ; et si malheureusement l’habitude de commander leur en inspirait le goût , l'habitude des affaires favoriserait leurs trames ; bientôt ils vous considéreraient comme une classe subordonnée, et l'aristocratie ressuscitée anéantirait l’égalité.
La connaissance de la langue nationale est donc un moyen indispensable pour conserver la liberté des suffrages, déjouer les intrigans, et repousser l'ambition qui tenterait de vous opprimer.
La France, à qui le ciel a donné un beau climat, un sol fertile, une position heureuse sur les deux mers, doit, par ses productions, son industrie et son commerce, se passer des autres peuples. Vos représentants saisissent tous les moyens de faire fleurir l’agriculture et les arts ; les arts ne peuvent fleurir que par les lumières ; les lumières se communiquent par de bonnes instructions, par des ouvrages utiles dont vous ne pourrez tirer aucun fruit si vous ignorez la langue dans laquelle ils sont écrits.
Parmi ceux qui ont été les complices du fanatisme et de l’aristocratie, il en est une foule qu’on n’a précipitée dans cet abîme que parce que leur ignorance de la langue française donnait accès à la séduction. Quand un peuple s'éclaire, il s’aperçoit bientôt qu’un homme vaut un homme, et qu’un roi n’est pas un homme. La déclaration des droits, ce tison salutaire que nous avons jeté sur les trônes, est aussi redoutable aux despotes que nos boulets ; et comme ils sont persuadés que leur puissance doit disparaître au flambeau de la raison, ils redoublent d’efforts pour aveugler ou endormir les nations. Puisque la stupidité est un article du code constitutionnel de la tyrannie, cette considération doit vous convaincre que les lumières sont essentielles au perfectionnement de l’art social, à la stabilité de la république. Sachez, citoyens, qu’un peuple ignorant ne sera jamais un peuple libre, ou qu’il ne le sera pas longtemps.
Lire, écrire et parler la langue nationale, ce sont là les éléments des connaissances indispensables. Tandis que les étrangers l’étudient par principes, il serait humiliant pour vous de n’avoir pour guide à cet égard qu’une aveugle routine. Des maîtres ont été établis pour enseigner et propager la langue française dans les départements où elle est peu connue. Vos représentants, qui ont à cœur de communiquer immédiatement avec vous, préparent de nouveaux moyens pour éclairer les hameaux les plus ignorés ; les citoyens qui les habitent ne sont-ils pas les enfants de la patrie ? Ainsi l'-ignorance, qui était autrefois un instrument du crime des rois, serait désormais le crime des individus !!!
Citoyens, qu'une sainte émulation vous anime pour bannir de toutes les contrées de la France ces jargons qui sont encore des lambeaux de la féodalité et des monuments de l’esclavage. Aucun âge ne dispense de s'instruire ; la fausse honte à cet égard ne pourrait être que le fruit de l’orgueil ou de la paresse, et le bon exemple que montreront les pères de famille et les vieillards sera un titre de plus pour mériter vos respects.
Vous n’avez que des sentiments républicains, la langue de la liberté doit seule les exprimer, seule elle doit vous servir d’interprète dans les relations sociales, dans l’intimité des familles, dans toutes les circonstances de la vie. Vos enfants doivent en contracter l’habitude dès le berceau ; leurs progrès à cet égard seront la mesure de l’estime qui vous est due ; car, suivant l’éducation qu’ils reçoivent, les enfants portent, pour ainsi dire, gravée sur leurs fronts la flétrissure ou la gloire de ceux qui leur ont donné le jour. La patrie vous tiendra compte de vos efforts ; quand elle se borne à une simple invitation, votre amour pour elle doit la convertir en décret : à ces traits on reconnaîtra ses amis et ses ennemis.
Sous le despotisme, le langage avait le caractère de la bassesse ; c’était le jargon de ceux qu’on nommait gens du bon ton, et qui étaient presque toujours l’opprobre des mœurs et la lie de l’humanité. Le langage des républicains doit être signalé par une franchise, une dignité également éloignées de l’abjection et de la rudesse. Les esprits bornés et les méchants se portent toujours aux extrêmes ; ceux-là, parce qu’ils ont le jugement faux ; ceux-ci, parce qu'ils sont contre-révolutionnaires. Il est sage, sans doute, d’avoir remis en honneur le tutoiement, qui n’avait été exclu du discours que par la servitude, et qui n’y paraissait plus guère que pour outrager l’égalité ; mais la grossièreté du style et du caractère, qui se reproduit d’une manière si révoltante, est un autre excès : les charmes des affections douces sympathisent avec la mâle austérité de la démocratie ; et c’est l’heureuse alliance de ces qualités qui doit former le caractère distinctif du peuple français.
Dans les commencements de la révolution il pouvait être permis, pour en vulgariser les principes, d’employer quelquefois un langage très familier ; mais la familiarité exclut-elle la décence ? Mais le persiflage, qui est un ton monarchique, ne suppose-t-il pas le dernier degré de corruption lorsqu’il lance le ridicule sur la morale ? Le nom de la divinité, le nom de la vertu ne doivent être prononcés qu’avec respect ; et par quelle fatalité, chez les peuples modernes, s’est introduit cet usage grossier qui, sous le nom de jurements, ne présente jamais que les images du blasphème ou celles de l’obscénité ? Il est le facile et méprisable talent de cacher la nullité de l’esprit ou de donner à la brutalité un accent plus féroce.
Et cependant, tel est parmi nous le langage habituel d’un grand nombre de personnes, même dans cette autre moitié du genre humain, chez qui la décence embellit toutes les autres qualités, chez qui les autres qualités, sans la décence, ne sont rien, et dont la moralité extérieure ne tarde pas à se démentir, si le sentiment de tout ce qui est honnête n’est profondément gravé dans le cœur. Ce style grossier était celui de Capet et d’Hébert : le langage d’un tyran et d’un contre-révolutionnaire doit-il souiller des bouches républicaines ? Tout ce qui tend à corrompre la morale est un attentat contre la majesté du peuple français.
Les sociétés populaires furent dans tous les temps les sentinelles vigilantes de l’esprit public ; le bien qu’elles ont fait garantit aux représentants de la nation qu’elles vont en opérer encore, et s'assurer de nouveaux titres à la reconnaissance de la patrie. Il faut que le peuple français soit en tout le premier des peuples : il n’oubliera donc jamais que la servitude est fille de la corruption et de l’ignorance ; que les lumières et les vertus peuvent seules consolider la liberté et le bonheur.
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