Alain Thonnat - Un hussard noir nous a quittés
Alain Thonnat vient de disparaître à l’âge de 88 ans. Il cultivait symboliquement son jardin sur son Aventin de Brioude, commune où il avait enseigné pendant 19 ans.
Il n’avait pas la notoriété d’un pédagogue médiatique. Il avait simplement fait son travail de « maître d’école » tout en militant pour défendre ses collègues et l’école publique à laquelle il était attaché.
Fils d’un couple de maîtres d’école rigoureux qui avaient joué discrètement leur rôle dans la Résistance auvergnate et milité dans leur syndicat enseignant, Alain Thonnat s’est donné très jeune au Syndicat national des instituteurs, et plus spécialement à l’École émancipée, sa tendance la plus « à gauche », où il retrouvait ses camarades anarcho-syndicalistes.
Élève du lycée du Puy, Alain était entré en 1950 à l’École normale d’instituteurs de la Haute-Loire en même temps que son frère jumeau Jean. À sa sortie il fit ses débuts d’instituteur au Besset de Laussonne en 1954 puis à Moudeyres en 1955. Après un service militaire de deux ans dont 12 mois en Tunisie et en Algérie, il fut nommé à Mazemblard de Saint-Haon puis appelé à diriger des écoles rurale en terminant sa carrière à Paulhac de 1970 jusqu’à sa retraite en 1989.
Marié en septembre 1957 à une institutrice, fille d’un tôlier parisien, il a eu deux fils, dont Roland qui, syndiqué au SNUDI-FO deviendra secrétaire général de l’Union Départementale FO de la Haute-Loire. Membre du conseil syndical du SNI-Haute-Loire, il a été à l’origine du groupe « École émancipée » du département et candidat ÉÉ pour l’élection du BN du SNI en 1963 et 1967, (en quinzième position sur la liste des « Amis de L’École émancipée »). Élu à la commission administrative paritaire départementale en 1969, il en restera membre une dizaine d’années, devenant secrétaire de la section départementale du SNI Haute-Loire de 1979 à 1981. Dans les années 1960-1970, il fut aussi membre de la commission administrative de la FEN. Dans les années 1970, il représenta sa tendance à la commission nationale des directeurs d’école dans le cadre du SNI.
Alain était une « grande gueule » de l’ancienne ÉÉ. Il ne mâchait pas ses mots et refusait de céder aux modes, ce qui l’a parfois fait passer aux yeux des « modernistes » pour un quasi-réac. Il ne partageait pas l’enthousiasme des éphémères partisans des « pédagogies de rupture » et proclamait que, même en ayant appris à lire avec des méthodes jugées archaïques, celui qui savait lire avait au moins la chance de pouvoir accéder aux lectures contestataires et émancipatrices. Cela ne l’empêchait pas de chercher à améliorer sa pratique pédagogique quotidienne mais sans « montrer son cul », selon la formule de Michel Chauvet, autre pédagogue traditionnaliste assumé. Et de faire pratiquer la musique à ses élèves. Mais quand il s’exprimait dans la revue « l’École émancipée », il se trouvait d’éminents Parisiens pour le juger un peu trop « primate » !
Ne supportant pas les leçons des prosélytes des « pédagogies de rupture » qui reprochaient à ceux qui partageaient pas leurs délires modernistes un « idéalisme dogmatique et réactionnaire », il avait vivement réagi en s’inscrivant notamment en faux contre l’existence d’une « classe-femmes » ou d’une « classe-enfants ». Comme l’un de ces Torquemada ajoutait : « il y a fort à parier (...) que les champions du dogmatisme et du conditionnement (c’est à dire ceux qui n’enseignent pas selon les dogmes de “l’École moderne“), même justifiés par des considérations socio-politiques, ne sont pas les têtes de turc des inspecteurs », Alain ne put s’empêcher de rappeler que s’il s’était « promené pendant des années avec un 6/20 en note d’inspection », ce n’était pas à cause d’une pratique « dogmatique », mais pour son militantisme syndical.
Passant pour un affreux « macho » parce qu’il n’abondait pas dans le sens des délires féministes de l’époque, il fit scandale, lors du rassemblement estival de « l’École émancipée » qu’il avait organisée à Brioude, en laissant un groupe musical ami interpréter la chanson de l’anar René-Louis Laforgue « Julie la Rousse », rendant hommage à une prostituée au grand cœur…
C’est encore lui qui réussit à organiser ce rassemblement estival (à Auzon), en 1994, alors que personne ne voulait s’y coller, au moment où faisait rage la guerre entre les autonomistes de l’ÉÉ et les collaborationnistes de la FSU. Lors de la création du SNUipp, au début des années 1990, il avait pourtant organisé sa section départementale et, pendant la première année, assuré le tirage de son bulletin et de ses circulaires.
Mais il ne pouvait pas supporter les manœuvres souterraines de ceux qu’il appelait « le réseau » et qui allait conduire à la scission de 2002. En 1996, il dénonçait, à l’issue du rassemblement estival de Breuil-sur-Couze, l’existence d’une organisation parallèle à l’ÉÉ qui, du fait de sa clandestinité, ne permettait pas d’en connaître tous les tenants et les aboutissants. Ce sont les agissements de ce réseau qui conduisirent à la scission de l’ÉÉ de 2002.
Retraité, il cessa de se syndiquer en 1998 (six ans après l’éclatement de la FEN) et de militer en 2000 (2 ans avant la scission de l’ÉÉ), ne retrouvant plus vraiment dans « l’Émancipation » ce qui l’avait autrefois amené à « l’École émancipée ».
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