Au Royaume des barbares : télé ou réalité ?
L’émission de télé-réalité de TF1, Le Royaume, se fait le parfait reflet de notre société : violence, cruauté et arbitraire sont au programme.
Au moment où l’affaire Ilan et le gang des barbares mobilisent la presse et scandalisent l’opinion, l’émission prône sans complexe, en prime time le samedi soir, la nostalgie d’un monde où règne la loi du plus fort.

Les gueux vivent tous ensemble dans une cabane froide et miteuse, sans douche, avec pour seule nourriture les oeufs et le lait des bêtes dont ils ont la charge. Ils ramassent le bois pour l’âtre qui brûle sans interruption au château, et cultivent le potager du roi sans avoir droit au moindre légume. Pour la toilette intime, ils doivent se contenter d’un petit cabanon, à moins qu’ils ne lui préfèrent l’eau de la rivière. Devant le roi, ils sont tenus de s’agenouiller.
Le roi punit comme il le souhaite sujets et seigneurs. Certains gueux se souviennent de nuits entières passées dans la cage. L’ humiliation est publique, les seigneurs s’ en amusent et viennent déguster de savoureuses grappes de raisin, sous les yeux affamés du supplicié. Le pilori est aussi une punition des plus appréciées : le cou du manant est enserré dans un joug, lui interdisant tout mouvement. Pour les seigneurs rebelles, la punition est moins rude : Reine Evelyne a ainsi offert un passage aux oubliettes, "pour marquer le coup", à Antoine, l’un de ses seigneurs et bon roi déchu, qui avait osé lui répondre avec insolence. La reine s’est trouvée particulièrement compatissante : il était de son pouvoir de faire du seigneur rétif un simple gueux.
C’est ainsi que l’on voit, dans ce jeu de rôle sadomasochiste, un manant devenir roi, et inversement.

- Ou bien les joueurs ne sont soumis à aucune consigne, et dans ce cas, le constat est tout simplement consternant. L’esclavage, les crimes contre l’humanité, les camps d’extermination, les tortures de la guerre d’Algérie, de Guantanamo, et tous les actes de barbarie de l’histoire de l’humanité sont les marques indélébiles de la cruauté de l’homme. Mais le passage brutal du statut de gueux courageux à celui de tyran arbitraire montre de nouveau à quel point le comportement d’une personne est déterminé par sa place dans la hiérarchie sociale. L’homme aurait-il un penchant inexorable à la cruauté, dès lors qu’il est doté d’une once de pouvoir sur autrui ?
- Ou bien les participants ont des consignes à respecter, imposées par la production. En effet, quel intérêt pour les téléspectateurs, s’il ne se passe rien au cours de l’émission ? Dans ce cas, c’est le cynisme de l’émission qui est effarant. Est-il responsable d’ériger la barbarie, la violence et l’arbitraire en valeurs, lorsque la société souffre de ses maux ? N’est-il pas scandaleux de prôner la loi du plus fort dans un monde où elle sévit déjà (je pense à ce qu’on appelle "la loi de la cité" ou, dans un autre registre, à la loi du plus riche véhiculée par le capitalisme sauvage) .
Dernier parallélisme troublant avec l’état actuel de notre société : l’émission a reproduit toute l’affaire Outreau.
En quelques mots, reprenons la scène. Un beau matin Franck (le procureur) descend dans le jardin potager pour constater "des dégâts" : un chou-fleur "déraciné", une salade "saccagée" ! Il va rendre visite aux gueux pour annoncer la catastrophe, demander aux "coupables" de se dénoncer, menacer des pires représailles. Il revient au château pour demander à la nouvelle reine Evelyne d’intervenir.
On entend la voix d’Antoine (l’avocat) défendre l’innocence des paysans : mais il n’est pas écouté, il n’a aucun poids. Les gueux sont convoqués et Reine Evelyne exige "l’emprisonnement préventif" de tous les manants.
Ce n’est qu’ après ces mesures "fortes" et les plaintes renouvelées des manants, qui jettent le doute sur le bienfondé de ces décisions, que l’on va faire une enquête, se rendre sur les lieux pour constater les "dégâts" et mesurer leur gravité !
Évidemment, ce qui s’est passé dans le jardin était une broutille, il s’agit d’une méprise, d’une fausse alerte. On va délivrer les gueux, qui de la cage de fer, qui du pilori. Mais il n’y aura pas d’excuse de la part du pouvoir, pas d’apologie, ni de réparation possible. Le pouvoir de la reine Evelyne est considérablement ébranlé.
L’échec de TF1
Une nouvelle rassurante cependant. Samedi 25 février, TF1 est arrivé derrière France 2, France 3 et même M6. « En raison de contre-performances d’audience significatives rencontrées par les quatre premiers épisodes de l’émission Le Royaume, TF1 a décidé de déprogrammer la suite de ce jeu », écrit TF1 dans un communiqué. L’audience n’a jamais dépassé les 15 % pour chacun de ces épisodes. Rappelons que le samedi soir, TF1 réalise généralement 28 à 34% de part d’audience.
Bravo aux téléspectateurs, pour avoir poussé aux oubliettes cette affligeante émission !
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