Autisme et aide sociale à l’enfance : quand les parents sont mis en accusation
Un acronyme que les parents d'enfants autistes vont devoir connaître, apprendre et comprendre est l'ASE. Au milieu des administrations et services publics sensés aider les familles, l'Aide Sociale à l'Enfance, bien que ne faisant pas directement partie du champ du handicap, s'invite parfois, et malheureusement dans un certain nombre de cas au détriment des familles, d'après les témoignages que EgaliTED a pu obtenir.
(Nous remercions Luc Sebert pour son illustration fournie gracieusement pour cet article.)
Avertissement : nous reconnaissons la difficulté du travail de ces services quand il s'agit de trancher entre l'intérêt de l'enfant et la crainte de se tromper, et nous ne pouvons nier qu'il peut y avoir aussi de la maltraitance envers des enfants différents au sein des familles. Cet article est cependant rédigé sur la base de plusieurs témoignages communiqués par des familles d'enfants autistes, ayant subi des « enquêtes sociales ». Pour certaines de ces familles, l'épreuve s'est terminée favorablement, après tout de même un passage au tribunal. Pour d'autres, l'épreuve est encore en cours. Nous ne pouvons donc évidemment citer aucune affaire précise dans le but de protéger ces familles.
Le rôle de l’Aide Sociale à l’Enfance
On peut légitimement s'interroger sur la pertinence et le but d'une intervention de l'ASE dans le parcours blessant et douloureux des parents d'enfants handicapés. En effet, la situation particulièrement difficile en France du handicap, de son traitement et de sa reconnaissance, engendre des drames à tous les niveaux, notamment la pauvreté au vu du coût nécessaires de ces prises en charge, pour beaucoup non remboursées. De fait, il serait légitime d'attendre de cellules telles que l'ASE une aide humaine, efficace, cohérente et concrète à ces familles dans le but de leur permettre d'obtenir rapidement un diagnostic ainsi qu'une prise en charge pour leurs enfant, le tout conforme aux recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS), ceci afin de faire respecter les droits de leurs enfants.
En effet, le cadre d'intervention de l'Aide Sociale à l'enfance est défini par l’article L.221-1 du Code de l’Action Sociale et des Familles :
« […]1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, [...]
2° Organiser, dans les lieux où se manifestent des risques d'inadaptation sociale, des actions collectives visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l'insertion ou la promotion sociale des jeunes et des familles, notamment celles visées au 2° de l'article L. 121-2 ;
3° Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs mentionnés au 1° du présent article ;
4° Pourvoir à l'ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation, en collaboration avec leur famille ou leur représentant légal ;[…] »
Les parents accusés
Or, trop souvent, au lieu d’être aidés les parents se retrouvent mis en accusation, se sentent maltraités et subissent le rouleau compresseur du système. En lieu et place d'apporter aide et soutien aux familles, il arrive en effet que l'ASE dévie de sa mission initiale et alourdisse le fardeau de la famille par l'apport de problèmes supplémentaires graves.
Si l'on peut comprendre le souci premier pour l'ASE de protéger les enfants, il est difficile d'accepter de telles accusations envers des familles qui subissent alors une double peine : en difficulté pour obtenir un diagnostic, des prises en charge cohérentes et efficaces, elles se voient dénigrés pour des raisons souvent incohérentes. Ainsi, des travailleurs sociaux formés à d’obsolètes théories psychanalytiques n'hésitent pas à estimer que la famille (la mère le plus souvent) est toxique pour l'enfant.
Le schéma le plus courant est celui-ci : en amont, des pédopsychiatres (de CAMSP ou de CMP le plus souvent) ou des enseignants saisissent l'ASE pour une « situation préoccupante ». C'est donc eux qui suggèrent aux travailleurs sociaux ce qu’ils estiment être un risque de maltraitance. Ces derniers, de peur d'être rendus responsables de non assistance, s'empressent de suivre à la lettre les informations transmises par des personnes autorisées. Ils ne font alors que poursuivre l'action initiée par d'autres en faisant le signalement au juge, sans prendre le temps (et le risque) d’examiner la situation de façon impartiale et dépassionnée.
Il faut savoir que l'autisme est un handicap neurologique qui entraine des troubles du comportement, des troubles des interactions sociales, souvent des troubles du sommeil et de l'alimentation, ainsi qu'un retard dans le développement psychomoteur et de la communication, du langage. Certains personnels assimilent les symptômes de ce handicap à des preuves de maltraitances et veulent "sauver l'enfant' en dépit de tout bon sens et des préconisations de la Haute Autorité de Santé. En effet, certains des symptômes de l’autisme, pris séparément, peuvent être interprétés comme symptomatiques d'une éventuelle maltraitance. Et ce notamment lorsque les professionnels qui étudient le cas de la famille ne sont pas formés à reconnaître l'autisme, ce qui est malheureusement le cas d'une grande partie des professionnels de la petite enfance).
Malheureusement, dans nombre de cas, les suspicions d'autisme évoqués par les parents(qui s'informent et se forment à leurs frais) sont balayées telles des absurdités par les travailleurs sociaux ou personnels de PMI, qui de par leur formation ont encore une conception étriquée et périmée de l’autisme. Il est pourtant simple de mettre en œuvre un test validé comme le M-CHAT qui évalue finement le risque d'autisme chez un enfant.
Pire, des diagnostics clairement établis par des centresde diagnostic de référence comme les CRA sont parfois délibérément ignorés, ou laissés à l'écart du dossier social de la famille. S’agit-il encore d’ignorance, ou alors de refus de reconnaitre qu’on s’est trompé, que la famille pourrait avoir raison ? S’agit-il de reliquats des guerres de chapelles franco-françaises autour de l’autisme, qui conduisent certains à refuser d’admettre la réalité de diagnostics qui ne correspondent pas à la formation qu’ils ont reçue et à leurs conceptions personnelles ?
Certains parents, tentant de faire entendre leur voix, mais aussi la voix des professionnels de l'autisme qu’ils consultent, se voient accusés de « syndrome de Münchausen par procuration ». Ce syndrome existe mais il est extrêmement rare – beaucoup plus rare que l'autisme, qui touche un enfant sur 100. On voit là combien le déficit des connaissances des professionnels de la petite enfance est préoccupant, mais aussi que bon nombre d'entre eux en restent à l'explication « psychologique » de l'autisme, croyant à tort qu’il serait lié à une mauvaise relation mère-enfant. D'où pour eux la nécessité d'enlever l'enfant "en danger" de sa famille, de son cocon..., pour le placer dans une famille d'accueil qui n'aura pas plus de connaissance de ce handicap que les professionnels de l'ASE.
Le cauchemar
Ces accusations dramatiques et d'une gravité extrême, énoncées par un simple travailleur social, auront alors pour résultat d'entraîner toute la famille dans un cauchemar humain, pouvant aller jusqu'à la séparation par placement de l'enfant. Un drame supplémentaire pour l'enfant autiste, lorsqu'on sait la nécessité de stabilité pour son équilibre psychologique et émotionnel. Un résultat fréquent étant la prescription de neuroleptiques afin de le calmer…
Pire, l'enfant porteur d'autisme n'est pas toujours la seule victime. En effet, comble de l'ubuesque d'une telle situation, l'ASE peut estimer que le parent "dangereux" pour l'enfant autiste va l'être également pour les autres. La famille peut alors se retrouver complètement détruite, sur la base d'un SOUPCON. Un soupçon étayé par des connaissances inadéquates, dépassées et fausses venant de personnes non formées, inaptes à juger du risque d'autisme et donc à épauler correctement les familles en réelle détresse.
Au sentiment de maltraitance, d'injustice, de méconnaissance, voire de cruauté, s'ajoute le sentiment d'impuissance à protéger ses enfants. En effet, certains comportements de professionnels de la petite enfance sont vécus comme du harcèlement par les familles. On refuse d'écouter leurs doutes, leurs arguments, on ignore la légitimité de documents officiels tels que l'état des connaissances de la Haute Autorité de Santé .
Une erreur de jugement pouvant en cacher une autre, bien souvent, au décours des enquêtes sociales où rien ne doit être oublié, figure de surcroît une description peu flatteuse de l'état du logement. Ce jugement de valeur de la part de travailleurs sociaux (qui sont souvent des femmes) a une importance non négligeable : cette prétendue incapacité de la mère à entretenir son intérieur ne fait que confirmer à leurs yeux son inaptitude et sa culpabilité. Or, quand un enfant réclame chaque jour 5 à 10 fois plus de temps et d'énergie qu'un enfant ordinaire, par manque d'autonomie, parce qu’il se met en danger en permanence, ou encore pour assurer soi-même la prise en charge psycho-éducative faute de professionnels spécialisés, quand cet enfant a tendance à détériorer ou souiller involontairement le mobilier, les jouets, le sol, etc, quand cet enfant ne dort pas et que la mère épuisée récupère pendant la journée au lieu de faire le ménage, est-il légitime de reprocher à celle-ci de ne pas présenter un logement aussi parfaitement tenu que sa voisine ? Le réflexe d'un travailleur social ne devrait-il pas être, au lieu de dévaloriser la mère, de préconiser une aide aux tâches ménagères pour pallier son manque de temps et soulager sa fatigue ?
Du cauchemar au rouleau compresseur
Philipe Seguin, alors président de la cour des comptes, avait affirmé en janvier 2009 à propos du fonctionnement des services de l’ASE : « personne ne contrôle quoi que ce soit » mais aussi « L’offre est rigide et souvent on a l’impression que c’est elle qui conditionne les décisions plutôt que l’analyse du besoin réel des enfants. Par ailleurs, la qualité des prises en charge est trop peu contrôlée. »
Philippe Seguin parlait des services sociaux en général mais il est probable que les dysfonctionnements soient décuplés dans les familles dont les enfants présentent les troubles découlant de l’autisme. Or, un mal français semble rendre impossible la remise en cause des rapports des travailleurs sociaux, ignorant par là même le fait que l'enfant peut évoluer, que la famille l'y aide tant bien que mal. De ce fait, les familles ne peuvent accéder à un diagnostic pour leur enfant quand l'ASE s'est mise en branle avant qu'ils aient pu obtenir ce diagnostic.
Nous nous retrouvons alors dans un cercle vicieux : ces mêmes travailleurs sociaux qui se sont montrées aveugles aux signes évocateurs de l'autisme, se retrouvent en position de « juge et partie », et empêchent l'accès aux Centre de Ressource Autisme, aptes à diagnostiquer de manière certaine l'autisme chez un enfant. Ces mêmes personnes, prisonnières de leur idéologie ou leur fantasme, vont informer la justice de leur présomptions de maltraitance.
C’est pourquoi, comme le dit un rapport de l'IGAS de juin 2000 sur ce sujet, « le terme violence est régulièrement employé par les familles : violence de l’intervention sociale, de l’intervention éducative et de l’intervention du juge ». Les familles ont le plus grand mal à obtenir l'information de ce qui leur est reproché précisément : comme le dit ce même rapport, « La mission a constaté que le placement, devenu le barycentre du travail social et éducatif, signant l’échec d’une intervention sociale ou éducative, influe sur la liberté de parole de familles dont l’accès aux écrits des professionnels est souvent interdit, pour des raisons autant pratiques que juridiques. »
Tout ceci, ces parcours dévastateurs, permet de voir l'effet des conception erronées, insultantes et dramatiques de l'autisme qui ont encore cours en France dans les milieux "institutionnels". Beaucoup de travailleurs sociaux, de bonne foi et de par leur formation, vont croire que l'enfant souffre de psychose ou encore de dépression causée par une carence affective, ou encore de maltraitance, encore une fois venant de la mère. Il est pourtant possible, notamment grâce à internet, de se tenir au courant des évolution des connaissances scientifiques dans ce domaine comme dans d’autres. Ce phénomène dépasse largement le cadre de l'autisme, comme le montre cet exemple marquant de parents dont l'enfant est atteint de la « maladie des os de verre »
La bataille de la famille contre l'institution réclame une professionnalisation, ce qui impliquera de trouver et de pouvoir rémunérer un avocat spécialisé, trouver une association qui peut accompagner les parents afin qu'ils ne se trouvent pas seuls face aux autorités.
2012, l’année de l’autisme et 2013 l’année du plan autisme
A défaut de déployer des moyens financiers nécessaires, une formation à minima des personnels des PMI doit être mise en place d’urgence. Un test simple tel que le M-CHAT est parfaitement adapté à la situation et ne réclame pas une haute technicité. Il faut former et informer les travailleurs sociaux, les personnels de PMI, les psychologues scolaires, mais aussi les psychiatres auxquels fait appel la justice pour ses expertises. La vision psychanalytique doit disparaître du champ de l'autisme.
Pour que plus personne n’ait à vivre ces histoires dramatiques, pour aider réellement les familles, il faut que les professionnels de la petite enfance acceptent de remettre en cause leurs connaissances obsolètes, et de se remettre en cause eux même, afin de se former aux connaissances scientifiques en vigueur, pour le bien des enfants et de leurs familles. Ils doivent, dans le domaine de l'autisme, abandonner les préjugés destructeurs issus des croyances psychanalytiques. Ils doivent arrêter de focaliser leurs soupçons sur la responsabilité systématique des parents. Ils doivent comprendre la nécessité de l'accès à un diagnostic précis suivi d'une prise en charge adaptée, en cas d'autisme, ou même de soupçons d'autisme. Ceci seulement, permettra d'éviter des signalements abusifs.
N’oublions pas tous ces enfants placés, séparés injustement de leurs familles qui les aiment, médicamentés à tort et de façon inutile, voire dangereuse. Ne nous permettons pas d'oublier les parents traumatisés, accusés à tort, traités comme des pestiférés et qui ont rarement la force de porter plainte, toute leur énergie étant dédiée à continuer à vivre et à s'occuper de leurs enfants.
Sans préjuger de l'issue des affaires actuellement en cours, nous tenons à souligner que pour toutes les affaires classées dont nous avons eu connaissance dans le domaine de l’autisme, raison a été donnée aux familles, à toutes sans exception. Les erreurs d'information préoccupante ou de signalement ne sont donc pas exceptionnelles…
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