Aymen Latrous n’est pas Leonarda !
« La nouvelle instruction de la demande de titre de séjour qui suivra aussitôt tiendra nécessairement compte de l’acte positif et altruiste par lequel Mohamed Aymen Latrous s’est distingué en 2015. » (Préfet du Val-d’Oise, le 4 juin 2018).
Imaginez le tableau. Un jeune étranger habitant à Fosses, dans le Val-d’Oise, s’est vu refuser le séjour en France. C’est une situation malheureusement ordinaire. Le 30 janvier 2018, l’administration lui a notifié le refus de sa demande de carte de séjour déposée à la sous-préfecture de Sarcelles en décembre 2017 et lui a adressé la terrible obligation de quitter le territoire français. En clair, il n’avait plus rien à faire en France. Il fallait qu’il s’en aillât. Il est sans-papiers. Peut-être même qu’il allait se faire filmer en train d’être expulsé. Il y aurait eu peut-être des polémiques, les uns qui étaient pour l’expulsion, les autres qui n’étaient pas pour accueillir toute la "misère" du monde mais que, quand même, il faudrait un peu plus d’humanité dans les rapports entre l’État et les personnes, fussent-elles étrangères.
Cela aurait pu faire une nouvelle "affaire Leonarda". Leonarda, elle n’est pas tunisienne comme Aymen Latrous, mais vaguement kosovare. Qu’importe, car sa situation était la même en 2013. Elle avait été sous les projecteurs de l’actualité car la police était allée la chercher à une heure où elle avait cours, le 9 octobre 2013, et une expulsion devant ses camarades, forcément, cela choquait. François Hollande, alors Président de la République, avait très mal géré la situation. Avec son envie de faire la synthèse entre les partisans de la loi (et donc de l’expulsion), et les partisans d’une certaine humanité, il avait voulu couper la poire en deux.
Cela avait donné lieu le 19 octobre 2013 à une allocution télévisée complètement surréaliste au cours de laquelle, alors que Leonarda était déjà hors de France, il lui avait proposé de revenir en France… mais sans ses parents : « Un accueil lui sera réservé, à elle seule. » ! Comme si une môme de 15 ans pouvait traverser l’Europe sans sa famille. Père sans cœur. Et ingratitude médiatique suprême, grâce aux technologies de la communication, Leonarda avait pu répliquer en direct à la télévision, quelques minutes seulement après l’intervention présidentielle, en lui disant d’aller se faire voir, qu’elle ne reviendrait pas sans ses parents. Humiliation présidentielle.
Dans cette affaire, François Hollande avait tout perdu : son autorité de Président de la République (qui s’est fait rabrouer par une adolescente étrangère pleine d’ingratitude et à la limite de l’incorrection), sa fermeté de gardien de la loi (en donnant la permission à Leonarda de passer outre son obligation de quitter le territoire), son humanité auprès de son aile gauche (car il avait quand même laisser l’expulsion se poursuivre, dans des conditions peu humaines car très humiliantes), et même, sa faculté d’être père (ce qu’il était pourtant quatre fois) en ne comprenant pas l’absolue stupidité de vouloir accueillir l’adolescente sans ses parents.
C’est le risque du Président de la République lorsqu’il s’occupe trop précisément de faits-divers qui ne devraient pas être de son ressort. Le piège était le même pour son successeur Emmanuel Macron lorsqu’il a reçu avec les honneurs, surtout avec l’honneur des caméras, Mamoudou Gassama, sans-papiers mais héros. Emmanuel Macron en a profité pour bien expliquer que l’exception ne devait pas oublier la fermeté, et que face à l’acte héroïque d’un demandeur de carte de séjour, il y avait plusieurs milliers d’autres personnes qui devraient quitter le territoire.
C’est là qu’est venue se greffer l’histoire du Tunisien de 25 ans, Aymen Latrous. En fait, son histoire est plus ancienne que celle de Mamoudou Gassama, mais sa médiatisation postérieure. En effet, le jeune homme était expulsable et beaucoup de monde autour de lui était révolté par sa situation. Filmer son expulsion aurait pu amorcer une nouvelle affaire Leonarda pour un Président de la République qui, jusqu’à maintenant, a réussi un sans-faute dans son exercice régalien, avec le principe de faire le contraire des erreurs qu’avait commises François Hollande.
Le maire de sa commune avait fait tout son possible pour lui éviter l’expulsion mais un maire ne compte pas pour ces choses-là. Si ce n’est pour compléter correctement des dossiers et alerter les administrations. Alors, ce fut son avocate Philippine Parastatis qui a voulu médiatiser la situation, car Aymen Latrous ne pouvait pas être une seconde Leonarda, puisque c’est plutôt un autre Mamoudou Gassama.
C’est la surmédiatisation de ce dernier qui a convaincu l’avocate d’aller au front médiatique le 4 juin 2018. Car Aymen Latrous, lui aussi, a été un héros. Un grand héros. Dans la soirée du 10 avril 2015, avec deux amis, il a sauvé deux enfants de la mort certaine dans un incendie à Fosses. Entendant, de la rue, les appels au secours d’une mère de famille, les trois compères étaient rentrés dans l’appartement en flammes pour chercher les deux enfants, un bébé de 19 mois et un garçon de 4 ans.
À l’époque, les trois sauveurs avaient eu la reconnaissance du maire de Fosses qui les avait décorés pour leur bravoure. Pas immédiatement, car ils étaient repartis sans laisser de coordonnées et la mère avait dû lancer un appel pour les retrouver. Mais il n’y a pas eu de suite en termes de reconnaissance. Trois ans plus tard, les services insensibles du Ministère de l’Intérieur ont froidement adressé l’obligation de quitter le territoire à celui qui avait sauvé la vie de ces deux enfants. Un scandale beaucoup trop discret !
La sous-médiatisation de l’acte héroïque d’Aymen Latrous peut s’expliquer par le fait qu’il n’avait pas été filmé. La médiatisation a été efficace puisque le soir même, la préfecture de Cergy a fait savoir qu’elle réagirait favorablement et le jeudi 7 juin 2018, comme promis, Aymen Latrous a été informé de l’annulation de son obligation de quitter le territoire et s’est vu délivrer un récépissé de demande de carte de séjour qui le régularise pour trois mois et surtout, qui lui permet de travailler, ce qui est très heureux puisqu’il venait de trouver par ailleurs du travail.
La réponse très rapide des services de la préfecture a montré que nécessairement, une intervention a eu lieu au plus haut sommet de l’État. Mais dans sa grande prudence, le Président Emmanuel Macron a évité de communiquer sur le sujet pour éviter, justement, de tomber dans le piège dans lequel était tombé François Hollande avec la jeune Leonarda.
Me Philippine Parastatis n’est pourtant pas complètement satisfaite : « Il est dommage que l’administration n’ait pas reconnu son erreur, mais qu’elle a simplement réajusté sa position devant la pression médiatique. ». En effet, la préfecture de Cergy a simplement indiqué qu’elle réexaminerait la demande de carte de séjour avec deux éléments nouveaux (que l’avocate a transmis au dossier le 29 mai 2018 et transmis à la préfecture le 31 mai 2018), à savoir son acte de bravoure et sa promesse d’embauche. Tandis que Mamoudou Gassama a été régularisé durablement en quelques jours.
L’avocate a également pointé du doigt « la question de la hiérarchisation des actes de bravoure lancée à Monsieur le Président Macron par l’intermédiaire des médias » qui « est restée sans réponse » : « Je renouvelle mon appel au Président de la République sur la question du traitement inégalitaire de deux situations similaires. Pourquoi Aymen Latrous doit-il subir un traitement différent ? ».
Elle pose évidemment une question pertinente et la réponse provient aussi de cette pression médiatique qui provoque, ou pas, une réaction de la part des dirigeants. Cette inégalité de traitement pourrait s’appliquer à tous les actes publics, pourquoi Serge Dassault a-t-il reçu un hommage aux Invalides et pas Pierre Bellemare ? Pourquoi des funérailles nationales pour Johnny Hallyday et pas Jacques Higelin ni France Gall ? Pourquoi…
Le risque est évidemment double. Le premier, c’est qu’il peut y avoir une surmédiatisation des demandes de carte de séjour en faisant la "publicité" du demandeur considéré comme une "chance pour la France" et pas comme une "charge pour la France".
Il es toujours facile de définir des règles générales sur l’immigration, de se donner des quotas, d’ordonner des expulsions, etc. Il est toujours plus délicat, lorsqu’on connaît les situations individuelles, de parler d’une personne en particulier et des conséquences sur sa propre vie d’une décision administrative. La mise en héros, ou la mise en lumière des demandeurs pourrait devenir une règle de plus en plus commune.
Attention, je n’écris pas que tout le monde est un héros. Justement, non, et c’est justement pour cela que la France doit être reconnaissante envers ces héros, à ces sauveurs d’enfants. Elle doit l’être sans chercher des manœuvres politiciennes, tant pis s’il y a récupération, parce qu’il s’agit de valeurs fondamentales.
Il reste qu’il faut espérer que certains sans-papiers, forts de cet enseignement, n’essaient pas de provoquer des situations pour mettre en scène leur héroïsme, au risque de mettre en danger la vie d’autrui…
Quant à Mamoudou Gassama, qui a reçu le 4 juin 2018 la médaille Grand Vermeil de la Ville de Paris décernée par la maire de Paris Anne Hidalgo, déjà en campagne électorale pour sa réélection, a déjà fait des émules : le 6 juin 2018, le Chinois Zhang Whin a, lui aussi, sauvé un enfant suspendu à un balcon en grimpant par la façade, inspiré par la méthode de Mamoudou Gassama. C’était en Chine et il est devenu une véritable star dans les médias chinois. Bravo donc aussi à lui !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (10 juin 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Aymen Latrous.
L’affaire Leonarda.
Mamoudou Gassama.
Arnaud Beltrame.
Donner sa vie.
L’esprit républicain.
Ce qu’est le patriotisme.
Les réfugiés.
Une politique d’immigration ratée.
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