Badinter et l’esprit des lois
Ce texte répond à une rubrique de Robert Badinter.
Faire siéger les citoyens aux tribunaux est démocratique. Les citoyens ne sont pas simples, M Badinter, et les juges ne sont pas que des citoyens : en plus des prérogatives des citoyens ils ont un droit infini à se dispenser d'honorer l'usage des mots, d'honorer la logique de l'enchaînement des faits, d'honorer la vérité occulaire, celle qu'on voit avec ses yeux, d'honorer la procédure et d'honorer la loi, pourvu qu'au moment où ils se dispensent eux-mêmes d'appliquer la loi, ils professent eux-mêmes qu'ils sont en train d'appliquer la loi.
Nous aurons une justice quand la justice sera soumise au contrôle du pouvoir du peuple. La justice n'en deviendra pas parfaite, mais elle pourra exister.
Montesquieu écrit : « La puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat permanent, mais exercée par des personnes tirées du corps du peuple, dans certains temps de l’année, de manière prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu’autant que la nécessité le requiert.
De cette façon, la puissance de juger, si terrible parmi les hommes, n’étant attachée ni à un certain état, ni à une certaine profession, devient, pour ainsi dire, invisible et nulle. On n’a point continuellement des juges devant les yeux ; et l’on craint la magistrature, et non pas les magistrats. » L’esprit des lois Livre XI chapitre VI
La séparation des pouvoirs, dont l’institution découle de la pensée de Montesquieu, n’est pas l’insularité des pouvoirs. Elle est la confrontation des pouvoirs qui s’arrêtent les uns les autres dans leurs abus. Il y a un mystère du sentiment commun à propos du pouvoir judiciaire qui en fait un pouvoir exempt de cette propension à l’abus. Le pouvoir judiciaire présente le défaut de commettre quelques « erreurs ». Comme il est exercé par des hommes faillibles, il faillit quelquefois (rarement) mais, dans la mentalité publique, il ne s’agit jamais et en aucun cas d’un abus, d’une corruption, il s’agit d’erreurs (d’appréciation, en gros). Cependant, ces hommes faillibles ne sont pas reprochables. Ils ont un droit illimité à l’erreur judiciaire ; puisqu’il est déterminé par avance que si, le résultat de leur travail de jugement est mauvais, négatif et abime la vie, ce ne peut être, par une magie pour moi incompréhensible, que par erreur et jamais pas volonté même inconsciente d’user du pouvoir sans contrepartie jusqu’à l’excès, jusqu’au renversement de son sens.
Alors que le pouvoir économique fait l’objet de luttes, d’écrits… d’institutions de régulation et/ou de combats, alors que les pouvoirs exécutif et législatif font l’objet de toutes nos attentions, d’institutions multiples et croisées dont la principale est sans doute l’élection et la réélection périodique des décideurs, le pouvoir judiciaire baignerait dans un exercice sain et salutaire, merveilleux comme le monde des Bisounours, avec tout-de-même, de temps en temps, des erreurs très malheureuses certes mais rares, exceptionnelles même, on peut le dire, et dont la prévention ne doit faire l’objet d’aucun traitement, ni pensée, ni réforme, ni discussion… rien… le remède étant, par essence, forcément pire que le mal. Dreyfus, Seznec, Dominici, Dils, Outreau… (il y en a d’autres) cependant, ce serait une petite liste de grandes affaires.
Il faut être soi-même victime de ce ministère dit de la justice, voir toutes les portes se fermer quand on veut témoigner, pour se rendre compte que ce statut d’exception qui exonère les acteurs du pouvoir judiciaire de toutes leurs exactions pour voir la violence de ce statut d’impunissable.
Patrick Dils le dit très simplement dans son livre, avec un exemple pertinent : Mme le juge, si je dois écrire quelque chose et que je vous demande que vous me prêtiez votre stylo, vous pourrez ensuite dire que je vous l’ai volé et je ne pourrais plus rien faire.
Contrairement à ce qu’écrit Robert Babinter, les magistrats ne sont pas des citoyens français comme les jurés. Les magistrats ne sont pas soumis au sens des mots, les magistrats ne sont pas soumis à l’évidence, ils peuvent dire une chose et son incompatible contraire sans prendre le moindre risque pour eux-mêmes. Ils peuvent être faux témoins, ils peuvent diffamer, et prendre leur décision sur leurs propres faux témoignages et diffamations, puisqu’il est décrété, par un miracle pour moi incompréhensible, qu’ils ne font que le bien. Contrairement à ce que l’on croit, les magistrats ne sont pas soumis à la loi. Rien, absolument rien, ne donne de cadre à leur action. L’idée qui semble présider à cet état des choses incroyable, (pourquoi ne l’avons-nous pas tous pour tout ce qui concerne notre vie ?) c’est que puisqu’ils n’ont pas d’intérêt personnel (ce sont soi-disant des anges) ils vont dire l’intérêt collectif ! Alors que l’intérêt collectif ne les contraint en rien, pire : alors que l’intérêt collectif a abdiqué tout pouvoir devant eux !
Les droits de l’homme instituent l’égalité en droit de tous les hommes. Les magistrats (les experts aussi) sont des sur-citoyens : ils sont citoyens, ils ont un bulletin de vote. Mais ils sont par ailleurs déliés de tout lien social (pardonnez ce pléonasme) dans l’exercice d’une des formes du pouvoir humain : le pouvoir judiciaire, qui échappe complètement à la voix du peuple !
La démocratie, le pouvoir du peuple par le peuple, s’exerce par une tension entre la capacité technique (les experts) et le pouvoir de décider, de trancher des citoyens « généralistes ». Nos élus exercent leur mandat dans un contexte « généraliste », conseillés par les « pros », certes, mais ce ne sont pas les « pros » qui décident, c’est la moindre des choses.
Nous avons besoin que le pouvoir judiciaire s’exerce de même.
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