Bernard Kouchner, le chevalier blanc du Web
Dans une tribune publiée le 10 mai par le site web LeMonde.fr, le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner s’impose comme le défenseur de l’Internet libre. Si les prises de position sur Internet sont monnaie courante chez les politiques, celle adoptée par le fondateur de Médecins Sans Frontière et champion du droit d’ingérence humanitaire surprend. C’est en effet une déclaration à contre-courant dont nous gratifie le ministre d’ouverture du Gouvernement Fillon. Et on ne va pas faire la fine bouche, car même si ses collègues poursuivent au contraire une politique de contrôle et de régulation du Web, c’est une véritable déclaration d’amour à laquelle se livre Bernard Kouchner.
« Internet, c’est l’outil le plus formidable de mise à bas des murs et des frontières qui enferment. Pour les peuples opprimés, privés du droit de s’exprimer et de décider de leur avenir, Internet apparaît comme un atout inespéré ». Le ton est posé, et à-travers sa plume, c’est la voix vibrante du ministre que l’on entend dans cette tirade s’inspirant de ses plus grands discours sur les Droits de l’Homme et la démocratie.
A contrario, c’est une attaque portée contre « ceux qui voudraient transformer Internet en une multiplicité d’espaces fermés et verrouillés au service d’un régime, d’une propagande et de tous les fanatismes ».
A l’instar de ses collègues du gouvernement, qui ont en effet pour habitude de prononcer des diatribes contre le Web (Frédéric Lefebvre ou Nadine Morano pour ne citer qu’eux), Kouchner dénonce également les opinions extrémismes, racistes, ou diffamatoires vues sur la Toile. Mais à la différence des susnommés qui ne semblent voir que du noir au tableau, le ministre des Affaires étrangères fait preuve de plus de nuance en jugeant ces dérives comme des exceptions.
Sans le dire explicitement, Bernard Kouchner fait en tout cas de la liberté d’expression et d’opinion des notions devant, in fine, primer sur des mesures qui reviendraient à transiger voire à transgresser avec ces principes fondamentaux.
Sur la surveillance du Web, Bernard Kouchner fait une distinction importante entre la nécessaire répression d’activités illégales et une surveillance en amont destinée, selon lui, à « traquer l’opposant potentiel ».
Sans la citer, on ne peut s’empêcher de penser que la célèbre muraille de Chine numérique est visée par un ministre réputé pour ses critiques à l’encontre de Pékin. Mais s’il a beau jeu de dénoncer « certains régimes qui se dotent de technologies de surveillance de plus en plus sophistiquées », Kouchner semble oublier qu’à l’Elysée même, certains conseillers du Président Nicolas Sarkozy ont, semble-t-il, plaidé contre l’anonymat sur internet et pour la surveillance des internautes dans le cadre de la loi Hadopi.
Mais au fond, même si un certain dogmatisme transparaît à l’évocation des Droits de l’Homme et de la démocratie, Bernard Kouchner se tourne dans la bonne direction, notamment lorsqu’il soutient le projet « long et difficile à mettre en œuvre » de « donner une traduction juridique à l’universalité d’Internet ». Gageons que le ministre défende par la même la diversité des opinions publiées sur la Toile, car c’est là une des raisons primordiale de la richesse et de l’intérêt d’Internet : la possibilité d’accéder à différents angles de lecture d’une même information.
Toutefois, si la tribune du 10 mai restera sans doute comme un évènement important, ne serait-ce que pour la réputation de son auteur, on ne peut s’empêcher de penser qu’à l’intérieur même de nos frontières, la politique menée n’est justement pas révélatrice de cet amour pour un Internet « universel, ouvert, fondé sur la liberté d’expression et d’association, sur la tolérance et le respect de la vie privée » que défend Bernard Kouchner. Le site Numerama le relève d’ailleurs très bien et dresse ainsi une liste peu glorieuse des récentes atteintes à cet Internet vertueux que nous présente un membre du Gouvernement : loi Hadopi censurée par le Conseil Constitutionnel car contraire à la déclaration des Droits de l’Homme, combat contre l’amendement 138 au Parlement européen, loi sur les jeux en ligne et le déréférencement de sites web, loi Loppsi sur le filtrage des sites Internet, délit de simple usage de données d’un tiers… La France n’est pas franchement irréprochable en la matière et les collègues du ministre des Affaires étrangères seraient bien inspirés de faire leur cette tribune, dans les faits bien entendu.
A l’heure où Frédéric Mitterrand est par ailleurs nominé aux Big Brother Awards, cette tribune sur Internet est finalement symptomatique de la cacophonie gouvernementale qui aura marqué le mandat de Nicolas Sarkozy et de sa politique d’ouverture.
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