Blogs et responsabilités en ligne
Le succès de ce nouveau vecteur de démocratie participative réside dans sa simplicité d’utilisation, permettant à chaque internaute d’enrichir son contenu par de nouvelles contributions. Le responsable d’un blog, personne physique ou morale, doit toutefois rester vigilant et mettre en œuvre une politique éditoriale rigoureuse. A défaut, il risque d’engager sa responsabilité en tant que directeur de publication.
Blogs et responsabilités en ligne
Les blogs[1] ont envahi internet. Du journal intime qui a renoncé à sa confidentialité, à l’outil de communication institutionnelle ou de libre expression, les blogs sont devenus pour certains une source d’information alternative aux médias traditionnels.
Ce phénomène a conduit la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) à dispenser les blogs personnels de déclaration relative au site Internet[2]. Dans le même temps, la CNIL a précisé les règles qui leur sont applicables en matière de protection des données à caractère personnel.
Le responsable d’un blog, personne physique ou morale, doit en effet rester vigilant et mettre en œuvre une politique éditoriale rigoureuse. A défaut, il risque d’engager sa responsabilité en tant que responsable de traitement de données personnelles, ou directeur de publication[3].
Blog et données personnelles
Dès lors que le blogueur collecte des données à caractère personnel (nom, prénom, image, etc.), il doit informer les personnes concernées de la finalité de cette collecte, des destinataires des données et de l’existence d’un droit d’accès, de rectification et d’opposition. S’il envisage de céder ces données à des tiers, il a l’obligation de recueillir leur consentement.
La diffusion en ligne d’informations relatives aux personnes nécessite également leur accord préalable. Celles-ci doivent de surcroît être en mesure de s’opposer ultérieurement à cette diffusion. La CNIL recommande par ailleurs que les données dites sensibles (santé, opinions politiques, religieuses, orientations sexuelles, etc.) ne soient pas diffusées en ligne.
La Commission conseille aussi aux blogueurs de mettre en place des accès limités pour les photographies familiales ou destinées aux proches (mariage, anniversaire, etc.). Elle rappelle enfin que la diffusion d’images de mineurs ne peut s’effectuer qu’avec leur accord et l’autorisation expresse des parents ou du responsable légal.
Blog et responsabilité éditoriale
Au sens de la loi, le responsable d’un blog est un éditeur de service de communication au public en ligne. Il a donc l’obligation de s’identifier soit directement sur ses pages Internet (nom, prénom, adresse, n° téléphone, nom du directeur de publication, hébergeur), soit de communiquer ces informations auprès de son hébergeur s’il n’est pas un professionnel. Le non respect de ces prescriptions légales est puni d’un an d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende[4].
En tant que directeur de publication, le responsable du blog pourra engager sa responsabilité pénale en cas de diffamation ou d’injure « comme auteur principal, lorsque le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public »[5].
Cette notion implique une prise de connaissance du contenu avant sa mise à disposition au public. Autrement dit, lorsque le contenu, par exemple un commentaire posté par un internaute, est mis en ligne par le responsable lui-même ou par un membre de ses services, il sera considéré comme l’auteur principal de l’infraction[6].
Ainsi, le directeur de publication doit veiller tout particulièrement au respect des droits des tiers. Au cours du printemps 2005, plusieurs chefs d’établissement scolaires ont ainsi exclu temporairement et parfois définitivement des collégiens ou lycéens qui avaient mis en ligne des photos dérobées de leurs enseignants, assorties de propos moqueurs voire injurieux. Toutefois, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a récemment pondéré une de ces mesures disciplinaires en annulant une décision administrative d’exclusion définitive. Selon les juges, un collégien ne mérite pas la sanction disciplinaire la plus lourde pour avoir publié sur son blog « un ensemble d’élucubrations caractérisées par leur incontestable bêtise et une profonde vulgarité, mettant en cause nommément des élèves et des professeurs »[7]. Il semble néanmoins que cette pondération du juge administratif ait été motivée par le fait que ces publications n’ont engendré aucune violence physique ni connu de réitération, et que le jeune collégien (excellent élève) ne possédait aucun antécédent disciplinaire. En revanche, un proviseur de Montpellier n’a pas bénéficié de cette indulgence administrative. Il a été suspendu pendant un an, dont six mois avec sursis, pour avoir dévoilé son homosexualité sur son blog[8] ! Selon l’arrêté de révocation, le ministère de l’éducation lui reprochait « d’avoir manqué à ses obligations déontologiques en publiant sur son blog des propos portant atteinte à la dignité des fonctions qu’il exerce et plus généralement aux pouvoirs publics ». Rappelons qu’en dehors de cette obligation, le corps enseignant et plus généralement les agents de l’Etat et les salariés sont tenus à un devoir de réserve.
La dernière affaire en date concerne un « blog citoyen », « MonPuteaux.com », dont le directeur de publication a été assigné en diffamation par la mairie de Puteaux.
Le délit de diffamation publique est constitué dès lors que les propos publiés renferment l’allégation ou l’imputation d’un fait précis de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne déterminée ou au moins identifiable. L’auteur des propos peut quant à lui faire la preuve de la vérité des faits diffamatoires, sauf lorsque l’imputation concerne la vie privée, des faits antérieurs à 10 ans ou une infraction amnistiée.
Le Tribunal, tout en reconnaissant le caractère diffamatoire des propos à l’encontre de la commune de Puteaux, a rappelé que le responsable du blog peut cependant justifier de sa bonne foi[9] en démontrant qu’il poursuivait « un but légitime exclusif de toute animosité personnelle, qu’il a conservé dans l’expression une suffisante prudence et qu’il avait en sa possession des éléments lui permettant de s’exprimer comme il l’a fait ». De plus, il est de jurisprudence constante que les critères habituels de la bonne foi s’apprécient différemment entre des écrits rédigés par un journaliste[10] et ceux diffusés dans le cadre d’une activité citoyenne et désintéressée[11].
Dans ces conditions, les juges ont considéré que l’éditeur du blog litigieux « n’était pas tenu de se livrer à une enquête complète et la plus objective possible sur les faits qu’il évoquait ». Dès lors, il pouvait « dans une rubrique consacrée à une revue de presse, citer des extraits d’un article relatif à un litige mettant en cause la mairie de Puteaux publié dans le quotidien régional Le Parisien -dès lors que, comme au cas présent, il précisait exactement sa source et ne lui faisait subir aucune dénaturation-, sans avoir à vérifier le bien-fondé des informations qu’il reproduisait ».
Déboutée de toutes ses demandes, la commune de Puteaux a fait appel du jugement[12].
Nicolas Samarcq, juriste TIC
[1] La forme blog est issue de la langue anglaise, et vient du mot-valise weblog issu d’une contraction de web et log. Pour une définition plus complète : http://www.lexagone.com/dico/dico.php?ref_dico=Blog&lettre=blog.
[2] Délibération n° 2005-284 du 22 novembre 2005 décidant la dispense de déclaration des sites web diffusant ou collectant des données à caractère personnel mis en œuvre par des particuliers dans le cadre d’une activité exclusivement personnelle (Dispense n°6).
[3] Au sens de la loi, le titulaire d’un blog est un éditeur de « service de communication publique en ligne » soumis aux dispositions de la loi sur la liberté de la presse, sur la communication audiovisuelle et la loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN) du 21 juin 2004.
[4] Article 6.VI.2 de la LCEN.
[5] Article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle.
[6] Au contraire, si le responsable ne contrôle pas les contenus préalablement à leur mise en ligne, il est considéré comme hébergeur. Il a alors l’obligation d’ « agir promptement » pour supprimer ou rendre inaccessible tout contenu litigieux, dès lors qu’il en a eu connaissance ou qu’il reçoit une notification en ce sens. A défaut, il risque d’engager sa responsabilité civile et pénale. En contrepartie, il doit participer activement à la lutte contre les contenus pédo-pornographiques, racistes ou antisémites en mettant à disposition des internautes un formulaire facilement accessible et visible, leur permettant de porter à leur connaissance ce type d’infraction.
[7] Tribunal administratif de Clermont-Ferrant, Corinne N. / Collège Teilhard de Chardin, 6 avril 2006.
[8] Décision du 3 février 2003 suite au recours gracieux du proviseur auprès du ministère de l’Education nationale.
[9] Article 35 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : « Toute reproduction d’une imputation qui a été jugée diffamatoire sera réputée faite de mauvaise foi, sauf preuve contraire par son auteur ».
[10] Cour de Cassation, ch ; civ., 8 avril 2004, N° de pourvoi : 01-17188N° de pourvoi : 01-16881 : « la bonne foi suppose la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression ainsi que la fiabilité de l’enquête ; que la reprise d’une information, diffusée lors d’une conférence de presse, ne dispense pas le journaliste de ses devoirs d’enquête préalable et de prudence dans l’expression de la pensée ». Dès lors, « (...) en invoquant essentiellement l’un des rapports d’audit, mais sans communiquer l’ensemble des informations contenues dans celui-ci et en ne présentant que les extraits qui lui étaient défavorables, modifiant par là même le sens dudit rapport ; que les intimés ne sauraient donc se prévaloir d’une enquête sérieuse préalable pour justifier leurs imputations ni d’une prudence suffisante dans l’expression ».
[11] Cour d’appel de Versailles, 7 février 2006 : « Considérant, bien évidemment, que les critères habituels de la bonne foi doivent être appréciés différemment pour un tract de porté locale, rédigé par une association, que pour un écrit rédigé par un journaliste ».
[12] Tribunal de grande instance de Paris 17ème chambre - Chambre de la Presse, Commune de Puteaux / Christophe G., 17 mars 2006.
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