Charlie Hebdo : mortelle indifférence
« Le risque d’origine sunnite demeure la principale menace à laquelle est confronté notre pays. » (Gérald Darmanin, le 31 août 2020 à Paris).
L’exfiltration d’urgence de chez elle, le matin du 22 septembre 2020, de l’actuelle DRH du journal "Charlie Hebdo" (il vaut mieux ne pas citer son nom, elle n’est pas un personnage public et a droit à la tranquillité) n’était pas une mesure paranoïaque. En effet, deux personnes ont été très gravement blessées à l’arme blanche par un ou deux terroristes islamistes ce vendredi 25 septembre 2020 parce qu’elles travaillaient (me semble-t-il) dans le même immeuble que l’ancien siège de "Charlie Hebdo".
On pourra toujours polémiquer sur : aurait-on pu éviter cet attentat ? Il est clair que les terroristes sont comme ces hackers capables de contourner les protections informatiques : quelqu’un prêt à perdre sa vie en voulant entraîner dans son trip infernal le maximum d’autres vies humaines, évidemment innocentes, pourra toujours trouver la petite fenêtre des possibilités, puisqu’il est impossible de protéger chaque citoyen par un représentant des forces de l’ordre, protection qui aurait d’ailleurs le goût amer d’une surveillance d’État et d’une restriction des libertés publiques. On se rappelle notamment l’attentat qui a coûté la vie à un policier en pleins Champs-Élysées le 20 avril 2017, juste avant le premier tour de la dernière élection présidentielle.
La médaille de la réaction la plus inadaptée revient (sans surprise) à Marine Le Pen qui, comme un robot du web, avant même de connaître les circonstances exactes de l’attentat, a immédiatement fustigé la politique d’immigration du gouvernement, en se demandant honteusement combien de morts auraient été évitées si on avait fermé les frontières. Quel manque de respect pour les victimes, aucune compassion à un moment où leur pronostic vital était encore engagé. Déconnectée, et discrédité car n’apportant aucune solution dans l’intérêt des Français. Juste de la posture politicienne et électoraliste prévisible dans la perspective de 2022.
Ce qui est clair, c’est que les cellules anti-terroristes en France ne sont pas inactives et Gérald Darmanin l’avait déjà annoncé dans son discours sur l’état de la menace terroriste le 31 août 2020 au siège de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure).
Il disait notamment : « Depuis 2013, 61 attentats ont été déjoués, dont 32 depuis 2017 ; au début de l’année encore, un projet d’ampleur a été déjoué (…). Depuis 2017, ce sont 10 attaques qui ont abouti, sur le territoire national, à la mort de 20 personnes. ».
Et le ministre a ajouté : « La menace représentée par des individus adeptes d’un islam radical, sensibles à la propagande, mais non nécessairement liés à un groupe constitué, devient un défi croissant pour les services de renseignement qui assurent aujourd’hui le suivi de 8 132 individus inscrits au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). (…) À ce jour, 505 détenus terroristes islamistes en lien avec la mouvance islamiste [sont recensés et] 702 détenus de droit commun [sont] susceptibles de radicalisation (…). Le défi sécuritaire est majeur pour les services de renseignement. En 2020, les prévisions de libération sont évaluées à 45 détenus condamnés pour des faits d’association de malfaiteurs terroristes (…). Ce chiffre connaîtra une nouvelle hausse en 2021 avec la sortie prévisionnelle de 63 terroristes islamistes condamnés. ».
En outre, la loi n°2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme a permis la mise en place de 532 périmètres de protection, la fermeture de 7 lieux de culte, la notification de 312 mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, dont 65 encore actives, et la réalisation de 170 visites domiciliaires, dont plus d’un tiers a eu des suites judiciaires. En revanche, cette loi est expérimentale et ne devrait plus s’appliquer à partir du 31 décembre 2020.
L’attentat du 25 septembre 2020 n’est donc pas anodin, il n’est que la surface d’une véritable bulle submergée du terrorisme islamique qui, aujourd’hui, continue de cibler le journal "Charlie Hebdo". Depuis le 2 septembre 2020 se déroule le procès des auteurs de l’attentat de "Charlie Hebdo" ou plutôt, des attentats de janvier 2015 qui ont fait dix-sept victimes.
Citons-les : Frédéric Boisseau, Cabu, Charb, Tignous, Honoré, Wolinski, Bernard Maris, Elsa Cayat, Mustapha Ourrad, Michel Renaud, Franck Brinsolaro, Ahmed Merabet, Clarissa Jean-Philippe, Yohan Cohen, Philippe Braham, François-Michel Saada et Yoav Hattab. Souvenons-nous d’eux, dont certains ont eu des gestes ultimes d’héroïsme.
Prenant l’occasion de ce procès, "Charlie Hebdo" a republié des caricatures de Mahomet le 2 septembre 2020 ("Tout ça pour ça"). Encore pour ce numéro, il y a eu des déclarations très violentes dans le monde musulman, notamment des dirigeants pakistanais qui se sont associés aux expressions de haine et de délires d’une foule enflammée contre la France. On ne s’étonnera donc pas que, d’après le Ministre de l’Intérieur, l’un des assaillants au hachoir serait de nationalité pakistanaise.
J’ai envie de rappeler cette tirade du "Mariage de Figaro" : « Que je voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu’ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil ! Je lui dirais… que les sottises imprimées n’ont d’importance qu’aux lieux où l’on en gêne le cours ; que sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ; et qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. ». Ce texte de Beaumarchais date de 1778, toujours d’actualité.
À la même époque, Voltaire disait un peu la même chose dans "Questions sur l’Encyclopédie" : « Paraît-il parmi vous quelque livre nouveau dont les idées choquent un peu les vôtres (supposé que vous ayez des idées), ou dont l’auteur soit d’un parti contraire à votre faction, ou, qui pis est, dont l’auteur ne soit d’aucun parti : alors vous criez au feu ; c’est un bruit, un scandale, un vacarme universel dans votre petit coin de terre. (…) Un livre vous déplaît-il, réfutez-le ; vous ennuie-t-il, ne le lisez pas. ». Ce texte date de 1772.
Ce monde d’islamisme radical est "fou". En quoi un "obscur" journal qui n’est probablement pas proposé dans les kiosques au Pakistan peut-il gêner un musulman pakistanais ? Faudrait-il brûler tous les journaux qui publieraient un article qui détesterait ce que j’aime ou qui aimerait ce que je déteste ? Monde de "fous" mais esprit bien sur terre pour organiser le combat terroriste notamment en France.
Je répète ce que j’ai déjà écrit auparavant : je n’ai pas du tout l’esprit de ce journal satirique qui tire sur tout ce qui bouge, mais c’est son style et c’est sa manière d’exister. Ils ont publié par exemple des caricatures qui ont été odieuses pour les catholiques, ou la religion catholique en général, mais jamais je ne me sentirais blessé par des attaques éditoriales qui ont bien le droit d’exister si elles ont un public, dès lors qu’elles restent dans le cadre de la loi (notamment, pas d’incitation à la haine). Qu’un bouffe-curé bouffe du curé ne me paraît pas vraiment étonnant et encore moins scandaleux, c’est même dans l’ordre des choses, mais cela ne m’engagerait pas à le lire ni à apprécier prose ou dessins. Je serais plutôt blessé par un proche ou par une personne qui compte dans le "domaine" attaqué (on parle de religion mais on peut aussi de profession, de nationalité, etc.).
En revanche, je ne peux que me sentir "Charlie" ("Je suis Charlie") quand je vois que la rédaction a été massacrée pour avoir publié des caricatures de Mahomet. En balance, finalement, l’inconfort intellectuel de dessins qui dérangent ou la solidarité avec des membres d’une rédaction qui ont payé de leur vie pour faire vivre le flambeau de la liberté d’expression ?
S’il y a bien une personne dont la réflexion sur les attentats de "Charlie Hebdo" est utile et instructive, c’est bien Philippe Val, qui fut très longtemps le directeur de la rédaction de "Charlie Hebdo" et qui fut aussi directeur de France Inter par la suite. C’est lui qui a décidé de publier les caricatures de Mahomet, et son but était de ne pas se laisser intimider par les menaces des islamistes. Il avait cru qu’il serait suivi par tous ses collègues français. Or, à part un hebdomadaire, "Charlie Hebdo" fut le seul à avoir eu le courage de publier ces caricatures et ce manque de solidarité dans la presse française a transformé les journalistes de la rédaction de "Charlie Hebdo"en cibles permanentes. Pas seulement les journalistes, d’ailleurs, tous ceux qui travaillent pour ce journal.
En ce moment, Philippe Val est souvent dans les médias. Son message est souvent le même : il veut le marteler pour qu’il soit compris, pour qu’il soit entendu. Par exemple, sur France 5, dans "C à vous" le 2 septembre 2020, Philippe Val a insisté sur le manque de solidarité de ses confrères. Il aurait fallu, selon lui, que toute la presse française publiât ces caricatures de Mahomet, et il y aurait eu une solidarité de fait entre toutes les rédactions face à l’islamisme radical. De même, il considérait que le procès des auteurs des attentats devait être un procès politique, qu’on fasse le procès politique de l’islamisme politique.
Entre autres interventions sur les plateaux de télévision, il était aussi chez David Pujadas le 22 septembre 2020 sur LCI, un plateau où il est un invité récurrent. Il a expliqué que les menaces de mort faisaient maintenant partie de sa vie, il est en permanence sous protection policière et cela a pu lui arriver qu’être en alerte, c’était alors une dizaine de policiers qui étaient chargés d’assurer sa protection et celle de sa famille. Le confinement avait à peine changé sa vie quotidienne. Et il a clairement indiqué d’où venaient les menaces : d’Al-Qaïda au Yémen. C’était d’ailleurs ce groupe terroriste qui avait revendiqué les attentats de janvier 2015.
Mais Philippe Val va beaucoup plus loin dans sa critique du manque de solidarité, même si ce manque de solidarité a finalement été démenti, certes tardivement, par la publication simultanée, le 23 septembre 2020, par une centaine de médias, d’une lettre ouverte à nos concitoyens : "Ensemble, défendons notre Liberté d’expression" pour soutenir "Charlie Hebdo".
En effet, Philippe Val a fustigé le principe de l’autocensure, que les intellectuels, aujourd’hui, en France, préfèrent se brider pour éviter de se mettre en danger. Que finalement, les terroristes avaient gagné la partie car ils ont insufflé la terreur parmi ceux qui analysent et réfléchissent, ceux qui devraient avoir l’esprit lucide et critique.
Et il a pointé du doigt ce qu’il considère comme une imposture intellectuelle : le principe de l’islamophobie. Selon lui, ce mot provient des mollahs iraniens lorsqu’ils ont condamné Salman Rushdie pour faire habilement diversion. L’idée effectivement est de faire l’amalgame entre l’islam et l’islamisme et de crier à l’islamophobie quand on ose critiquer l’islamisme politique. Philippe Val n’est ainsi pas tendre avec une certaine partie de la gauche française qui n’hésite pas à mélanger les deux, probablement en considérant que les Français musulmans seraient le nouveau prolétariat à défendre, ce qui n’a rien à voir. En clair, mais sans dire je crois le mot, Philippe Val a fustigé l’islamo-gauchisme.
Ce qui est frappant, mais ce n’est pas une nouveauté, c’est le traitement de l’information pour cet attentat du 25 septembre 2020. Description gore, détail presque clownesque (un assaillant aurait été interpellé parce qu’il portait des baskets rouges, comment imagine-t-on préparer minutieusement un attentat et porter des chaussures rouges qui distinguent des autres ? quelle impréparation).
Et on a pu entendre, dans le flux ininterrompu des réactions et surréactions, des propos parfois révoltants, comme, sur le plateau de "C dans l’air" sur France 5, cet intervenant (dont je tais le nom par charité chrétienne) qui a osé faire une différence de gravité entre ceux qui sont assassinés parce qu’ils sont Juifs et ceux qui sont assassinés parce qu’ils ont dessiné Mahomet (le pire, à mon sens, c’est que personne n’a réagi autour de lui). Pourquoi scandaleux ? Parce que, avec cette logique, ceux qui ont caricaturé Mahomet auraient pu ne pas le faire et être épargnés ? C’est n’avoir rien compris au terrorisme islamique. Et ceux qui se détendaient sur une terrasse de café aussi auraient mieux fait de ne pas le faire ? C’est dire "ils l’ont bien cherché" qui n’est pas moins scandaleux que lorsqu’on explique le viol par "elle l’a bien cherché" ("elle aurait pu porter une tenue décente, vraiment !"). Pour dire : "ils auraient pu respecter un peu mieux une religion". Non, la France, c’est de pouvoir choquer les autres si c’est fait sans appel à la haine. C’est cela, être Charlie.
Le 25 septembre 2020 toujours sur LCI, Philippe Val a réagi à l’attentat en disant que le risque pesait sur tout le monde, pas seulement les journalistes de "Charlie" : « C’est la France qui est visée, et les États de droit », en soulignant que les islamistes radicaux étaient en guerre politique contre "nous", contre les États de droit qui sont en cette période fragile avec la crise économique et sanitaire, il y a une volonté politique de faire vaciller les démocraties.
Le quinquennat de François Hollande a mis un temps fou à associer islamisme politique et terrorisme. Emmanuel Macron, au contraire, n’hésite pas même à employer l’expression s’il préfère sans doute le mot séparatisme (ou séparatismes, au pluriel). En tout cas, il l’a dit clairement, il a défendu le droit au blasphème. Tout comme Gérald Darmanin encore au journal télévisé de France 2 le 25 septembre 2020 où il a déclaré que certains dessins de "Charlie Hebdo" pouvaient le choquer personnellement mais que le journal avait la liberté de choquer s’il le voulait.
Ce qui tue la liberté, c’est d’abord cette indifférence diffuse. Et la question, qui va continuer à être posée, c’est : à chaque attentat islamiste, et hélas, il y en aura probablement encore dans le futur, faut-il d’abord s’inquiéter d’un regain d’une supposée islamophobie ou pleurer les vies blessées ou massacrées des victimes ?
Au moins, la rédaction de "Charlie Hebdo" a déjà répondu à la question en ne se laissant pas intimider : « Loin de nous terroriser, de tels événements doivent nous rendre encore plus combatifs dans la défense de nos valeurs. Il n’est pas question de céder quoi que ce soit à la logique mortifère et criminelle des idéologies qui motivent ces actes. ». L’essentiel est dit. Je reste Charlie !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (25 septembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu
(Les trois dessins proviennent de "Charlie Hebdo").
Pour aller plus loin :
Charlie Hebdo : mortelle indifférence.
Charlie Hebdo en 2015.
Islamo-gauchisme : le voile à l’Assemblée, pour ou contre ?
5 ans de Soumission.
Mosquée de Bayonne : non assistance à peuple en danger ?
La société de vigilance.
N’oublions pas le sacrifice du colonel Arnaud Beltrame !
Strasbourg : la France, du jaune au noir.
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