De la manipulation à la participation : Pourquoi les conventions citoyennes sont essentielles pour l’avenir de la démocratie
Il y a de ça 10 ans, j'étais un fervent partisan du référendum et de sa version citoyenne, le RIC. Mais suite à la lecture du livre de Jacques Testart '' L'humanitude au pouvoir '' et aux deux conventions citoyennes qui ont eu lieu en France sur la fin de vie et la transition écologique, mon avis a complètement changé quant au bien-fondé des référendums.
Remise en question de l'efficacité du référendum
Quand j’examine les différents référendums auxquels j'ai participé, soit je me suis fait manipuler, soit j'ai mal voté, soit la question était mal posée ou trop complexe ; le plus souvent les trois à la fois. Où est le pouvoir du peuple, où est mon pouvoir ? En tant que citoyen engagé, que puis-je ressentir à part un sentiment de frustration ?
Les référendums donnent le pouvoir à ceux qui posent la question
Qu'il s'agisse d'un référendum gouvernemental ou d'un RIC, celui qui lance l'initiative détient la majeure partie du pouvoir, voire la totalité. Ce contrôle de l'initiative crée une dynamique où une infime partie du pouvoir revient à la masse, plutôt qu'au peuple dans son ensemble. Ce phénomène, souvent qualifié d'ochlocratie, décrit une réalité déconcertante : la question posée, peut être tout à fait pertinente et légitime, mais le fait que l'initiative appartienne soit au locataire de l'Élysée, soit à un individu quelconque, à un groupe politique ou à une association, permet de défendre des intérêts particuliers ou idéologiques, ce qui va à l'encontre du principe fondamental de la démocratie.
S'il est possible d'agir sur l'initiative en faisant intervenir le peuple – via des conventions citoyennes – il n'est pas possible de modifier le caractère ochlocratique du vote ; c'est la raison pour laquelle je suis pour la restriction de l'usage du référendum, sauf en cas de blocage des institutions, ou dans le cas très particulier de la destitution d'un élu.
Les référendums démotivent et déresponsabilisent.
Je peux être la personne la mieux informée du monde, avoir participé à tous les débats contradictoires avec les meilleurs experts, connaître tous les tenants et aboutissants, d'un point de vue démocratique, cela ne sert strictement à rien, car le vrai débat, celui qui compte, il a déjà eu lieu, et il est non démocratique. A quoi bon m'investir, si le jour d'un référendum, dans le bureau de vote, j'ai à ma droite une personne qui vote pour, parce qu'il aura été convaincu par 30 minutes de débat dans l'émission de Cyril Anouma. J'ai à ma gauche, quelqu'un qui vote contre, car il déteste Macron, et j'ai devant moi quelqu'un qui vote blanc, car il pense ne pas avoir assez d'informations pour voter correctement. Dans ces conditions, je préfère ne pas voter et faire confiance à des citoyens tirés au sort qui comprennent les enjeux, réfléchissent, délibèrent et prennent des décisions au nom de l'intérêt commun de l'humanité. Une convention responsabilise un individu et le fait passer du statut d'électeur passif à celui d'un citoyen actif, conscient de sa responsabilité, qui ne veut pas décevoir, ni se décevoir.
L'énergie citoyenne est quelque chose de précieux, elle n'est pas inépuisable. Ne la gaspillons pas dans des débats de piètre qualité tels qu'on en a dans les référendums.
La démocratie, c'est l'égalité politique, elle a besoin de représentants, donc de tirage au sort et de conventions citoyennes.
S'il est possible de gouverner un pays avec des conventions citoyennes, on ne peut le faire avec des référendums ou RIC. Ces derniers offrent la possibilité à des individus (comme Bolloré) ou des groupes influents de manipuler le processus "démocratique" à leur avantage. En revanche, les conventions citoyennes, si elles sont rigoureusement organisées, offrent une alternative sûre, vertueuse, démocratique, qui rassemble, qui responsabilise et prend en compte l'intérêt général. De l'autre, on a une procédure qui ne requiert aucune qualité morale, qui divise, qui infantilise, qui sert des intérêts particuliers, un mélange d'oligarchie et d'ochlocratie.
Une convention citoyenne, ce n'est pas 150 personnes qui se réunissent, comme ce fut le cas pour les deux qui ont eu lieu sous la présidence Macron, c'est plutôt entre 15 et 20 personnes, et si on veut convaincre les gens de l’utilité et de la légitimité du processus, rien ne nous empêche de faire plusieurs conventions indépendantes et ensuite d'en faire la synthèse. Je pense que c'est ce qu'il faudrait faire, car il est probable qu'il y aurait un taux élevé de convergence des résultats, même si à ma connaissance, cette étude anthropologique n'a jamais été faite.
Il faut mieux mobiliser 150 personnes pendant 3 à 6 mois plutôt que tout un peuple pour une durée bien supérieure.
Une question complexe ne mérite pas une réponse simple
Je voudrais illustrer ce propos par deux exemples.
Tout d'abord, la réforme des retraites.
A écouter Emmanuel Macron, on comprend que l'objectif de cette réforme n'avait rien à voir avec les retraites. « Je considère qu’en l’état, les risques financiers, économiques sont trop grands. » C’est ainsi qu'il a justifié, jeudi 16 mars 2023, en conseil des ministres, le recours au 49.3 pour faire passer sa réforme, et ainsi, contourner le Parlement. En clair, renoncer à ce projet de loi ne permettrait plus à la France de maintenir sa solvabilité, le fameux AA, et mettrait le pays en péril pour emprunter sur les marchés financiers. L'argument, en soi, n'est pas irrecevable, car une dégradation de la note de la France, si elle passait de AA- à A+ entrainerait une hausse des taux d'intérêt de la dette publique et de l'ensemble des crédits. Les conséquences seraient un cercle pernicieux qui entrainerait une nouvelle dégradation de la note de la France et donc une aggravation de l'augmentation des taux d'intérêt. D'où les conséquences habituelles, l'accroissement des inégalités, la diminution de la protection sociale, la paupérisation des classes moyennes. Mais la vraie question, celle qui n'a jamais été posée, ni au Sénat, ni à l'Assemblée Nationale, ni dans les médias, c'est "est-il normal dans une "démocratie", que les peuples soient sous la coupe des marchés financiers et qu'ils n'aient pas la maîtrise de leur création monétaire ? Réponse : dans une fausse démocratie, oui ; dans une vraie, non.
Le vrai débat n'a même pas eu lieu.
Le sujet de la vraie démocratie et de la création monétaire est tabou ; aucun parlementaire, aucun journaliste, même de gauche n'a osé le transgresser, de peur sans doute, de réveiller une opinion publique endormie ou de passer pour un illuminé auprès de ses collègues.
Imaginons qu'il y ait eu un RIC pour ou contre la réforme proposée par le gouvernement.
Hypothèse n°1 : la vraie question n'est pas posée et le débat n'a pas lieu, car cette question gène tout le monde, aussi bien les membres du gouvernement qui ont peur que le pot-au-rose soit dévoilé, que par l'opposition qui craint de voir ses arguments affaiblis.
Hypothèse n°2 : la vraie question est posée et donc le vrai débat a lieu avec ses conséquences : Est-ce que vous préférez mourir d'épuisement au travail, ou vous préférez vous mourir faute de soins et d'argent, car vous n'aurez pas accès à l'hôpital le jour où vous serez malade ?
Conclusion :
- Quelle que soit l'hypothèse, on se rend compte que la question de pour ou contre la réforme est mal posée ; qu'elle ne peut pas être modifiée et que l'électeur ne peut faire choix qu'entre la peste et le choléra. Si le peuple avait vraiment du pouvoir, il ne laisserait pas écrire ces textes par des technocrates, il les écrirait lui-même.
- Dans une convention citoyenne, il n'y a pas de tabous, on peut élargir le sujet et partir à la recherche d'autres solutions.
Deuxième exemple : le Brexit
Quand je pense qu'on a demandé aux anglais de répondre par oui ou par non au Brexit, je ne peux m'empêcher de penser qu'ils se sont fait complètement berner. Cette arnaque à la démocratie, cette manipulation des esprits est formidable ; on a réussi à tromper tout un peuple en le faisant voter contre ses intérêts et en persuadant que c'est la démocratie. La question n'est même pas d'être pour ou contre. Comment peut-on répondre à une question aussi complexe avec une réponse aussi simple ?
Voter oui, c'est mauvais, voter non, c'est mauvais également, c'est l'évidence, mais quand l'aveuglement vous prend...
Les milliers d'heures de débats n'ont servi à rien puisque la question était déjà posée !
Je vais être caricatural, car je ne sais pas vraiment comment cela s'est passé, mais quand David Cameron a décidé du référendum sur le Brexit, il y a peut-être eu cinq minutes de débats avant, puis des milliers d'heures après.
La démocratie, c'est le contraire, on discute avant pendant des milliers d'heures ; on aboutit à un consensus, et après, on passe au vote et cela prend cinq minutes. Probablement que pour convaincre, il aurait fallu organiser 10 conventions indépendantes de 15 – 20 personnes pour voir les points à améliorer, les côtés positifs, les côtés négatifs, proposer des axes d'amélioration, et enfin seulement soumettre le consensus à référendum ?
Au lieu de ça, rien. Il n'y a eu que des perdants. L'Europe a perdu une belle occasion de se réformer et les Anglais une bonne occasion d'en tirer profit.
Proposition d'un processus démocratique
Les conventions citoyennes permettent une analyse approfondie et une exploration de solutions alternatives.
Comment pourrait fonctionner une démocratie au quotidien ? C'est sans doute le débat le plus compliqué. Voici une proposition pour aiguiser votre réflexion.
- Pour des conventions citoyennes obligatoires sur les grandes questions de société
Des conventions citoyennes obligatoires sont organisées annuellement sur les grands enjeux : éducation, santé, culture, protection de l'environnement, transition écologique, lutte contre le réchauffement climatique, affaires étrangères, etc.
En plus des conventions obligatoires, il faut se laisser la possibilité d'organiser des conventions qui répondent davantage à l'actualité.
Tout accord commercial de libre échange devrait être examiné par une convention qui aurait le pouvoir de la modifier ou de la rejeter.
L'initiative d'une convention non obligatoire peut être d'origine citoyenne (X signatures), parlementaire (un groupe), ou gouvernementale.
A l'issue de la convention, les citoyens émettent un ou plusieurs avis qui sont d'ordre règlementaire ou parlementaire.
- Le pouvoir du peuple : les conventions citoyennes redéfinissent la politique
S'il s'agit d'une décision d'ordre règlementaire, le gouvernement aurait pour obligation de faire une proposition correspondant aux attentes des citoyens dans un délai fixé par la convention. S'il s'agit d'une décision d'ordre parlementaire, ce serait au Parlement de le faire.
Dans les deux cas, les propositions du gouvernement ou du Parlement reviendraient devant les membres des conventions citoyennes. Il y aurait ainsi une sorte de ''navette'' entre les citoyens et leurs institutions. En cas de désaccord persistant, les membres de la convention citoyenne auraient le pouvoir de déclencher un référendum.
Si vous êtes favorable à l'avis émis par les citoyens de la convention, cochez la case A. Si vous êtes favorable à l'avis émis par le gouvernement ou le Parlement, cochez la case B. Si vous n'êtes favorable à aucun des deux, cochez C.
Autre solution moins coûteuse et plus démocratique : organiser une deuxième convention citoyenne.
- Mise en œuvre, suivi et évaluation des décisions prises.
Validation par le Conseil constitutionnel et suivi de la mise en application des décisions. Cette étape est très importante et doit être réalisée par un organisme indépendant ou par des citoyens tirés au sort préalablement formés.
- Participation citoyenne continue et rétroaction sur les politiques mises en place.
C'est l'évaluation de la politique mise en œuvre à l'issue des conventions. Ces évaluations pourraient être réalisées soit par des citoyens volontaires tirés au sort qui auraient reçu une formation, ou par un organisme indépendant, ou par des élus. Le but est donc d'évaluer les lois ou les décrets, voir s'ils sont toujours applicables, proposer des axes d'amélioration, ou proposer une abrogation si on se rend compte qu'on s'est trompé.
Conclusion :
Ne pensez pas qu'une démocratie soit un pouvoir faible. Les conventions citoyennes rassemblent, là où les élections et les référendums divisent. Le rassemblement des forces de tout un pays, c'est extrêmement fort ! C'est un peuple remotivé qui surmonte ses clivages et qui reprend confiance. C'est vrai à l'échelle de la France, mais encore plus à celle de l'Europe. Ce qui fait la faiblesse de l'Europe par rapport à la Chine ou les États-Unis, ce sont ses divisions.
Imaginez qu'une centaine de citoyens tirés au sort provenant de tous les pays européens condamnent le génocide en cours en Palestine et imposent des sanctions à l'état d'Israël.
Ce serait autrement fort que les gesticulations électoralistes d'un Président aux abois.
J'ai commencé cet article en parlant de Jacques Testart, je voudrais terminer en le citant :
"Ce que j’ai constaté en regardant ça, c’est à quel point il y a un gâchis de l’humanité. C’est-à-dire qu’on maintient les gens dans un état d’abêtissement, de suivisme, de conditionnement. Et, je dois dire, je n'y croyais pas avant de voir ça. Je pensais que c’était triste, mais que l’humanité, elle n’était pas vraiment belle à voir. Mais elle n’est pas belle à voir parce qu’on la met dans cet état-là. Mais je suis maintenant convaincu qu’il y a chez la plupart des individus, il y a des ressorts, il y a quelque chose qu’on n’exploite pas, qu’on n’utilise pas, qu’on ne met pas en valeur. Mais les humains valent beaucoup mieux que ce qu’on en fabrique."
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