Démocratie et marchandisation de l’espace public : une union antinomique
Dans les années 40, Fritz Lang, encore assez fraîchement débarqué d’Allemagne, où il avait jugé bon de décliner le poste de ministre de la Propagande que lui avait proposé Goebbels, faisait dire dans son troublant film L’Incroyable Vérité - à un patron de presse voyant sa fin arriver et son métier "évoluer"- que l’indépendance des médias d’information était LA seule garante de la représentativité démocratique. En d’autres mots encore, que seuls des citoyens ayant accès à une information libre de toute influence ou tout pouvoir étaient en mesure de se prononcer au suffrage universel dans le sens du bien commun, finalité principale du principe démocratique.
Faute de quoi, le système en question perdait, de fait, sa vocation, donc son esprit, pour prendre une forme sinon dictatoriale, en tout cas non démocratique.
Si, à cette époque, le contrôle de l’information, qui répondait alors au doux nom de propagande (soit : désinformation délibérée dans l’intérêt du peuple), était inféodé au "projet" nazi de civilisation aryenne, il pourrait tout à fait aujourd’hui se comparer à celui, plus métissé, il est vrai, de société libérale soumise à l’imperatif de la croissance économique et de l’optimisme des places financières.
Point de rafles, d’uniformes et de saluts pour contrôler Pujadas, Schoenberg ou Pernaut, mais une logique inéluctable, allant du banal respect des intérêts de l’actionnaire ou du client annonceur (rarement une PME locale), à la conviction personnelle que rien ne sert de dramatiser ni de chercher réellement à expliquer au citoyen, devenu entre-temps "spectateur" du réel, les enjeux réels du monde politique, économique et social, qui d’ailleurs le rendrait moins enclin à consommer, ou à se tuer au boulot pour un salaire dérisoire et décroissant (baisse de sa valeur résultant de la hausse des prix).
Le plaisant mot de Coluche sur "les milieux autorisés qui s’autorisaient eux-mêmes à penser" semble devenu mot d’ordre, dans un espace progressivement devenu marché, où certains "experts" et "intellectuels" trouvant grâce aux yeux des médias-sandwichs (à l’exception notable de la plupart de ceux invités chez Taddéi, tard le soir sur la 3...), sont autorisés se prononcer. Ceux-ci nous délivrent la version "light" donc digeste pour nos cerveaux moyens (par ailleurs ramollis par le fait d’être rendus "disponibles pour Coca-Cola" par certains) de la réalité hexagonale et planétaire... Par ordre de priorité s’entend : communication gouvernementale/ people/ faits divers/ sports/ problèmes sociétaux (non socio-économiques si possible) / actualité internationale people (de Bethancourt à Buckingham...)
Toute contestation de la traduction par les sources "autorisées" officielle relevant, dans le meilleur des cas, de la théorie conspirationniste (fantaisie romanesque), dans le pire de ce qu’il est désormais convenu d’appeler : "populisme". Dérive sémantique ou "novlangue" qui permet d’associer à l’avenir toute expression d’un ressenti populaire à la manifestation larvée et latente du réveil de la bête immonde...
L’expression s’appliquerait pourtant mieux aujourd’hui à la pieuvre géante du capitalisme monopolistique transnational, mais nos "gardiens" veillent à ce que les glissements sémantiques ne s’opèrent que dans le sens de la promotion de la bestiole en question.
Ainsi, quand les règles qui régissent la notion globale de marchandise peuvent s’appliquer à toute information traduisant une réalité supposée factuelle, par le contrôle de la totalité du champs visuel et auditif des électeurs de notre pays, est-on en droit de se demander si, de nos jours, Fritz lang, accepterait de tourner une pub pour Bouygues (immobilier, téléphonie, information...) ou encore de participer comme conseiller en communication à cette conviviale aventure libérale qu’est "l’ouverture"...) ?
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