Démocratie participative, la bonne blague
A gauche, c’est le nouveau Graal du discours politique. Pourtant, dans les villes, là où s’exerce le pouvoir, l’usage qui est fait de la démocratie participative n’est pas très... démocratique.
La politique de communication des collectivités est révélatrice de la relation qu’elles entretiennent avec leurs populations. Derrière ce qu’elles en disent, on peut voir ce qu’il en est. Les magazines municipaux sont particulièrement révélateurs parce que l’imagerie d’une ville s’y concentre. Principal constat : la relation est toujours univoque ; la collectivité émet en direction de la population, mais n’autorise pas de réciproque. Les citoyens n’accèdent à la publication que de manière symbolique, dans des espaces neutralisés (courrier des lecteurs, micro-trottoir).
Le message qui est émis n’est plus que rarement de l’ordre du discours, toujours suspecté de propagande. La communication travaille son émission en fonction du contrôle qu’elle croit pouvoir exercer sur sa réception. Le message est d’autant plus efficace qu’il est insensible. Les élus s’effacent derrière l’image de leur ville, assurés qu’en maîtrisant celle-ci ils servent leur réélection, mais également soucieux de cultiver le sentiment d’appartenance à la collectivité.
L’image que la population a de sa ville dépend fort logiquement de la représentation qui lui en est donnée, et l’image que chacun forme de soi est liée à l’environnement dans lequel elle s’insère. Par conséquent, tout le monde paraît bénéficier de la "bonne image" d’une ville. Dans les faits, la communication municipale exerce au contraire une grande violence symbolique en œuvrant à l’adoption d’une réalité très éloignée de celle dont les habitants font l’expérience.
Il est possible de généraliser car, d’une ville à l’autre, la réalité exposée est étrangement la même et les magazines municipaux semblables dans les principes qu’ils observent. Les formes comme les contenus décrivent une ville où le bon sens transcende les oppositions ; le modèle est celui du village et d’une gestion d’intérêt local. Le débat démocratique, son calendrier (les élections) et ses acteurs en sont par conséquent bannis, cantonnés dans des pages que la loi rend obligatoire mais dont le magazine prend soin de souligner l’extériorité, à moins qu’il ne contrôle au contraire la parole par l’imposition de thématiques.
L’organisation sociale se résume alors à l’institution (incarnée par le maire et son équipe), aux associations et à un petit nombre d’individus "remarquables" dont l’institution distingue le mérite et le degré de notabilité. La quasi-totalité de la population, dont l’unique titre d’appartenance à la ville est de l’habiter, se trouve donc hors du champ de sa représentation. Doublement exclue, puisque le sont aussi les organisations politiques et syndicales censées porter dans l’espace publique la voix de ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas directement intervenir.
Les collectivités participent donc à la corruption de la représentation or, désormais, elles prétendent aussi combler le vide qu’elles concourent à créer par l’essor de la " démocratie participative ". Mon propos se limite ci à la collusion des deux phénomènes, sans juger des politiques participatives dans leur ensemble ; collusion, car la place que la presse municipale accorde à la "participation" est souvent démesurée. Il n’est pas rare que le compte-rendu des conseils de quartiers, pourtant généralement peu fréquentés, excède celui du conseil municipal où les débats et le caractère partisan des prises de parole contredisent le mythe d’un consensus du bon sens.
La démocratie participative, comme la communication municipale, demande aux habitants de faire acte de présence, d’être acteurs de la ville. Les deux supposent que nous sommes égaux dans notre capacité à occuper l’espace public selon les formes et le sens que la société valorise (porter un "foulard" est par exemple disqualifiant). Jouer le jeu, c’est au contraire toujours plus facile pour celui qui fixe les règles. Comment des habitants qui ne sont par ailleurs pas représentés, ou sinon assignés à leur origine dans des groupes religieux et raciaux, pourraient-ils soudain surgir dans l’espace public à l’injonction qui leur est faite de participer ?
Puisque les absents ont toujours tort, l’ultime perversité du système consiste à rendre coupables ceux qui en sont victimes, ni présents ni représentés. La partie la mieux armée de cette majorité invisible saura toutefois intégrer le jeu quand ses intérêts seront menacés. Contre des projets d’intérêt général, les conseils de quartier peuvent alors constituer de redoutables lobbies. Mais il n’est bien sûr jamais question de tels surgissements dans les magazines municipaux parce qu’ils font éclater le mythe d’un intérêt local communément partagé.
Les politiques participatives ne répondront pas aux ambitions qu’elles affichent tant que ne seront pas posées conjointement les questions de la représentation, et particulièrement de la représentation dans la presse des collectivités. L’estime de soi nécessaire à la vie sociale est impossible hors du regard des autres, hors de l’image qu’il réfléchit et dans laquelle on se cherche. La télé-réalité en fait son miel, avec force caricature et lieux communs, mais hélas sans rival.
Il est urgent de sortir la majorité de son invisibilité, de considérer les gens tels qu’ils sont, de les prendre en considération dans leur banalité, car la même violence est à l’œuvre lorsque des populations sont caractérisées par des stéréotypes, qu’il s’agisse de "racaille" ou de "héros". Il est urgent de construire de nouveaux systèmes de représentation que n’effraient pas la réalité, dans lesquels les habitants se reconnaissent, où ils se retrouvent, partagent, échangent, et auxquels ils peuvent dès lors prendre part.
Impossible dans ce cas de partir de représentations préconçues. Rompre avec les modes de communication verticale est indispensable. La communication doit se développer horizontalement, avec des journaux obéissant à leur logique propre, tâtonnant à la conquête d’un lectorat à l’expression duquel ils font une grande place. Avec l’Etat et le privé, les collectivités peuvent ainsi devenir le troisième grand acteur des médias, mais doivent pour cela accepter de reconsidérer leur communication au bénéfice d’une information locale dont elles garantiraient l’indépendance... y compris à leur égard.
19 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON