Démocratie participative : réflexion sur les conseils de quartier
Tiré au sort sur les listes électorales de ma commune en juin 2008, j’ai accepté d’être conseiller de quartier. Très vite, pour tenter d’y voir clair dans cette fonction dont je connaissais peu de choses, j’ai rédigé un journal à paraître aux Editions Sansonnet. Après dix huit mois d’expérience, je livre ici quelques éléments de réflexion. De la composition du conseil de quartier au rôle du président, en passant par l’organisation des structures municipales et la place de la démocratie locale comme tentative de redonner la parole au citoyen, les interrogations ne manquent pas.
Parallèlement, souvent encouragée par les élus eux-mêmes, reconnue par la loi, la démocratie participative s’est progressivement affirmée comme une parade possible, un correctif permettant de rapprocher le représentant du citoyen.
Un correctif possible
Les conseils de quartier, imposés par la loi Vaillant de 2002 aux villes de plus de 80 000 habitants et adoptés volontairement par beaucoup d’autres, apparaissent comme une structure phare de la démocratie participative, autrement appelée démocratie de proximité.
Même si leur organisation connaît des variantes, elle s’articule autour de deux collèges : les représentants des partis politiques et les « forces vives », économiques ou associatives. Mais de nombreux conseils municipaux ont décidé d’élargir cette composition aux habitants, soit en faisant appel à des volontaires, soit en proposant des sièges à partir d’un tirage au sort sur les listes électorales.
Fondamentalement, les conseils de quartier sont censés représenter fidèlement la réalité sociale, de façon à constituer une solide base d’appui pour les élus. Leurs composantes recèlent toutefois certaines limites.
Une composition éclectique
Les conseillers « politiques » sont issus des groupes constitués dans le conseil municipal. Ils ne représentent donc pas l’ensemble de l’échiquier politique et souffrent du manque de crédit dont disposent leurs organisations. De plus, ils éprouvent une certaine difficulté à se positionner. Membres de la majorité municipale, ils se doivent de la soutenir, donc de mesurer leurs critiques. Membres de l’opposition, ils oscillent entre silence résigné et véhéments reproches.
Les « forces vives » sont plus à l’aise. Fortes d’adhérents et d’actions locales, elles ont pour elles de contribuer concrètement à la vie du quartier. Cependant, les « acteurs économiques », entrepreneurs ou commerçants, peuvent avoir tendance à confondre lobbying et intérêt général. Les « acteurs associatifs » de leur côté, dépendent souvent financièrement des subventions accordées par la mairie, qui elle-même compte sur les associations pour apparaître aux yeux de la population. Il y a là de quoi nuire à la clarté des relations.
Des habitants sélectionnés
Quant aux conseillers habitants, qui ont pour qualité essentielle de simplement s’intéresser à la vie du quartier, ils sont un peu des électrons libres. Ils ne représentent à proprement parler personne, puisqu’ils ne sont ni élus ni désignés par leurs pairs. Ils expriment un avis, une sensibilité susceptible d’instiller de la diversité. Certains élus, qui se sentent peut-être éloignés de la population, les considèrent pratiquement comme des élus de second rang, ce qui pourrait conduire à une professionnalisation de leur fonction. D’autres les considèrent comme des empêcheurs de tourner en rond, aussi incontrôlables qu’illégitimes.
Leur présence dans les conseils de quartier résulte le plus souvent d’un appel au volontariat ou d’un tirage au sort, deux formules qui agissent comme des filtres opérant une sélection. Peu de chance donc que les abstentionnistes systématiques, les pauvres et tous ceux qui se sentent délaissés participent au conseil de quartier. Une bonne frange de la population est ainsi exclue de fait.
Les techniciens et les administratifs constituent la dernière composante des conseils. Un urbaniste municipal présentera un nouveau chantier, un directeur des services culturels épaulera l’élu venu annoncer la nouvelle saison. Leur présence restera ponctuelle, contrairement à celle du directeur de la mairie de quartier ou du chef de projet « politique de la ville », qui pourront être systématiquement conviés par le président dont ils sont les proches collaborateurs. Ils ont l’avantage de connaître les dossiers, les interlocuteurs et les organigrammes labyrinthiques.
Ici cependant réside une autre pierre d’achoppement. Dans le couple formé par l’élu et le technicien, il n’est pas toujours facile de savoir qui décide de quoi, ce qui illustre l’emprise de la technocratie sur la fonction politique. Trop souvent, une impression d’inertie domine, confirmant que le temps du politique n’est pas celui du citoyen. Tout est toujours compliqué : l’élu attend la constitution d’un solide dossier avant de décider tandis que le technicien hésite à s’atteler au dossier sans connaître la décision de l’élu.
Des structures municipales pesantes
Il est vrai qu’au niveau d’un conseil de quartier, pour ce qui est des actions quotidiennes et de l’utilisation de crédits déconcentrés, la proximité aide. Toutefois, dès que la mairie centrale chapeaute un dossier, les choses s’alourdissent et les délais de l’action politique entrent en décalage avec les problèmes rencontrés par le citoyen. Une infiltration dans une salle de classe suite au soulèvement d’une tuile sera traitée dans un délai de quelques jours ou de quelques semaines. Du vandalisme dans une salle de sports -portes fracturées, vitres explosées, abords dégradés- nécessitera une intervention centrale ; il faudra alors patienter des mois, voire des années.
Dans tous les cas, action de terrain quotidienne ou suivi des dossiers, le dynamisme, l’implication et la disponibilité du président du conseil de quartier sont déterminants. Mais dans cette fonction comme dans tant d’autres, les élus ont rarement une seule casquette. Vice-président d’une communauté d’agglomération, membre du conseil d’administration d’un hôpital, autre délégation du maire…la palette des possibilités est large. Si l’élu ressent souvent le besoin de structures relais vis-à-vis de la population, c’est peut-être qu’il s’en est éloigné, occupé qu‘il est à participer à une multitude de réunions et à répondre à d’incessantes sollicitations.
Le président peut aussi bien brider qu’impulser
La personnalité du président, sa vision de la démocratie locale influent lourdement sur le fonctionnement du conseil. Car évidemment, le règlement intérieur est tributaire de l’application qui en est faite. Le conseil peut tout aussi bien être une simple chambre d’enregistrement qu’une véritable force de proposition. Si un bureau est élu en son sein, il peut n’être qu’un alibi permettant au président d’imposer ses ordres du jour en laissant croire qu’ils sont le fruit d’une réflexion concertée. En matière de finances, les subventions aux associations seront alors votées au fil de l’eau, sans explicitation des critères d’attribution et sans éléments de comparaison possibles, ni dans le temps, ni entre les projets soumis. Qui en effet s’opposerait à une action sociale, culturelle ou sportive en tant que telle ?…Et les subventions s’enchaînent ainsi suite à des votes mécaniques.
De même, l’affectation d’un budget décentralisé, pourtant conçue pour susciter l’autonomie et la responsabilité locales, peut-elle n’obéir qu’à une logique comptable : on dépense par principe pour l’entretien des écoles et on éponge le solde éventuel avec quelque achat de circonstance : une horloge pour la façade de la mairie de quartier ou des bancs pour un square.
Digérer le conseil de quartier…
De telles pratiques découlent généralement de visions étriquées du fonctionnement démocratique. Elles privilégient le système, les structures administratives, le respect du calendrier et des préoccupations venues de plus haut, c’est-à-dire du conseil municipal et des directions techniques. Le conseil de quartier est envisagé comme le niveau inférieur de l’activité politique, peu à même d’éclairer les élus et les experts. L’inertie d’un appareil municipal souvent lourd dans les grandes villes peut alors jouer à plein et le conseil sombrer dans la routine, les discussions sans enjeux, l’absence de perspectives et de résultats concrets.
Il n’est en fait qu’un appendice du système en place, pouvant éventuellement servir de faire-valoir mais bien incapable de pallier ses insuffisances.
Mais ce même conseil peut parfaitement acquérir une autre envergure à partir du moment où ceux qui sont chargés de le faire fonctionner sont convaincus de son utilité, c’est-à-dire prêts à considérer qu’il peut acquérir une dynamique propre, susceptible de déboucher sur des propositions et des actions originales, constructives, à même d’améliorer la vie des habitants d’un quartier et de contribuer plus généralement à la bonne marche de la cité.
…ou lui donner libre champ
En s’éloignant de la démocratie de vitrine et de l’écoute formelle, la logique de fonctionnement s’orientera vers un véritable travail, qu’il soit tourné vers la réflexion ou vers l’action. Par exemple, dans l’optique d’une implantation de bandes cyclables, le conseil ne se contentera pas de fournir une liste de rues mais proposera de véritables itinéraires, en veillant simultanément à sécuriser les parcours et à prévoir l’installation de portiques où il sera possible d’attacher les vélos. De même, dans l’hypothèse d’un fleurissement du quartier, le conseil, loin de se limiter à une action sans suite consistant à poser quelques bacs et balconnières autour des bâtiments publics, réfléchira à inscrire son action dans l’espace -en recensant les lieux appropriés- et dans le temps -en envisageant un fleurissement progressif sur plusieurs années- sans oublier un suivi des résultats obtenus.
Tout ceci suppose un véritable engagement de la part des conseillers. Organiser le travail d’une commission, consulter des spécialistes, effectuer des repérages sur le terrain, prendre l’avis des habitants, autant de tâches particulières, d’autant plus enthousiasmantes qu’elles s’effectuent dans le cadre d’objectifs réalistes et précisément ciblés. Le modèle « courroie de transmission » du conseil municipal peut ainsi être dépassé au profit d’un modèle « force de propositions ». La simple information fait place au débat ; des avancées modestes mais rapides et perceptibles par l’habitant émergent du magma habituel de l’action municipale, lente et difficilement lisible au jour le jour par le citoyen.
Le conseiller doit acquérir une véritable personnalité
Cette dynamique va de pair avec la reconnaissance de la spécificité politique du conseiller de quartier. L’enjeu est d’amenuiser la coupure entre l’élu qui décide après avoir éventuellement consulté et le citoyen conseiller qui propose sans avoir la moindre prise sur l’utilité effective de son engagement. Il s’agit d’amener l’élu à délaisser les rouages politico-administratifs pour se rapprocher du terrain afin d’écouter et de comprendre le citoyen. Le conseiller pourrait d’ailleurs être lui-même élu. Nombre de quartiers dépasse en effet la taille de bien des communes ; certains regroupent même plus d’habitants que de nombreuses sous-préfectures. Toutefois, il gagne sans doute à ne pas l’être, de façon à ne pas se faire avaler par un système dont il est censé compenser les effets pervers.
Car le risque existe bel et bien. La tendance, dans les cercles municipaux, à le considérer comme un « super citoyen », un interlocuteur privilégié, frise parfois la flatterie. Elle se double d’un grand nombre d’invitations et de sollicitations diverses -inaugurations d’expositions, cocktails honorifiques, réunions thématiques- dont le côté vampirique peut finir par griser certains.
Revivifier la démocratie
Il ne s’agit pourtant pas de côtoyer des cénacles et d’alourdir un fonctionnement qui a perdu de sa crédibilité mais de donner vie à une démocratie du quotidien, d’obtenir des résultats concrets, au vu et au su de tous.
La démocratie de proximité peut être une occasion de dépasser la conception du citoyen électeur occasionnel pour donner corps à celle du citoyen acteur de la vie politique. Elle pose en négatif les limites actuelles de la démocratie représentative et peut constituer, au-delà de la polémique sur les termes, une des pistes de régénération de la démocratie.
Car il en est d’autres, dont on parle moins, comme la démocratie directe, particulièrement adaptée au niveau local, ou la limitation sévère non seulement des mandats, mais des fonctions occupées par les élus.
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