Deux idées pour l’administration territoriale
L’administration territoriale fait irruption dans la crise de l’Etat avec la commission Balladur. La crise a du bon, elle fait émerger les vieilles absurdités du sytème enfouies sous les tabous. La dispersion communale et le mille-feuilles administratif sont l’héritage de l’Etat républicain du XIXème siècle, plus idéologue que gestionnaire. L’organisation territoriale pourrait devenir un sujet important, et même réveiller quelques interrogations fondamentales sur l’état de la démocratie, à condition que l’on mette les pieds dans le plat du rapport entre les politiques et leurs administrations.

La complexité territoriale est d’abord le fait de l’Etat
Le second maillon du problème, c’est l’Etat lui-même, qui ne connaît qu’une méthode pour réformer : la strangulation. L’incapacité à gérer est telle que la destruction de ses propres services est de fait sa seule stratégie de modernisation. L’Etat est très pauvre, Nicolas Sarkozy appelle Edouard Balladur, et alors on peut espérer un peu. Les affres financiers de l’Etat impécunieux seraient-ils une bénédiction ?
Le troisième maillon de l’empilement administratif territorial, c’est l’inefficacité organisée comme un rituel. Impossible à décrire simplement, alors je vais vous raconter la réunion du mois dernier organisée par l’antenne départementale du Centre National de Formation du Personnel Territorial (CNFPT) de mon département. C’est une réunion annuelle où l’on présente aux responsables des ressources humaines des collectivités du département les formations proposées et les nouvelles lois et décrets en matière de formation du personnel : des nouvelles règles, des nouveaux concours, il y en a tout le temps. Et là, on met en application le « Droit Individuel à la Formation » (DIF) organisée comme un crédit de 20 heures par an, cumulable sur 6 ans, qu’il faut distinguer de la formation initiale et professionnalisante... La question d’actualité, c’est de mettre tout cela en oeuvre en mettant en place un « plan de formation » dans sa collectivité. C’est la loi depuis 1984, pas une collectivité publique du département ne fait un véritable plan de formation. C’est pourtant une bonne idée de management le plan de formation, non ? Oui, mais... Pour faire un plan de formation qui dépasse un peu le simple catalogue, il faut avoir des objectifs et avoir une méthode de travail qui fonctionne. Regardons pourquoi les choses ne fonctionnent pas :
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puisque DIF il y a, il faut assurer un suivi des droits individuels. Le CNFPT a promis de fournir un moyen de suivi individuel par internet et un livret papier pour ceux qui voulaient. La loi de février 2007 est applicable depuis juillet 2007 et nous avons reçu les livrets et le premier accès au site internet en novembre 2008. Une seule collectivité du département a aujourd’hui communiqué un état du DIF à chacun de ses salariés. Et puis, il y a aussi le suivi de la formation professionnalisante à faire, avec d’autres règles. Il faudra notamment bien distinguer à chaque fois de quel type de formation on parle, professionnalisante ou DIF. J’ai demandé à mon service municipal de me mettre au point un fichier opérationnel au premier trimestre 2009 pour qu’on puisse suivre les inscriptions, les stages effectués, de manière coordonnée entre le service du personnel et les chefs de service. Première leçon : il ne suffit pas de faire une loi, ni même que le Président de la commission des lois exige que le ministre vienne au Parlement avec sa loi et ses projets de décret qui vont avec, comme le rappelait fort justement néanmoins Pierre Mazeaud il n’y a pas si longtemps, il faut aujourd’hui que les outils de gestion soient prêts pour que la loi puisse s’appliquer en toute simplicité. Je peux, malheureusement, prendre le pari qu’il n’y aura pas 10 collectivités de mon département qui auront construit une méthode opérationnelle de collecte et de suivi de la formation avant la fin 2009.
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ensuite pour faire un plan qui dépasse le catalogue des formations demandées, il faut qu’il y ait des projets de service et des objectifs donnés aux services. La plupart de nos collectivités publiques n’en sont pas là... Personnellement, il m’a fallu quelques années pour être secondée par des chefs de service capables, chacun, de proposer des orientations pour l’avenir de son service. Quant à demander aux élus de faire des choix et de s’impliquer dans les objectifs que l’on donne aux agents de chaque service, c’est encore un autre exercice de patience. Et quand on a réussi une telle chose, vous pouvez considérer que vous êtes rejetés dans le vide pendant au moins deux ans quand il y a des élections et un changement de majorité. Une des causes fondamentales de nos pannes, c’est le manque de clarté dans la responsabilité employeur. Il est évidement absurde de demander à des collectivités qui n’ont aucune instance de concertion avec leur personnel d’établir un plan de formation : or, dans les collectivités qui ont moins de 50 salariés, il n’y a aucune instance de concertation, les collectivités sont rattachées à un comité technique paritaire départemental où la discussion concrète sur l’organisation des services est en réalité tout simplement impossible. Conclusion : 95% des collectivités sont hors du coup, l’unique communauté d’agglomération fait partie des 5% dans le coup, et...peut-être une autre communauté de communes.
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et pourtant le CNFPT s’investit et propose cette année, au niveau régional, deux sessions de formation-action de 10 jours pour la mise en place des plans de formation. 10 jours ? Je vous avoue que les réunions qui vont à 10 km/h comme celle dont je vous parle m’exaspère. Je suis partie au bout d’une heure et demie, je n’ai pas que ça à faire, surtout pour en parler dans une salle où 70% des gens sont hors du coup pour les raisons indiquées ci-dessus.
Voilà, l’inefficacité organisée c’est cela et c’est tout le temps... Enfin, disons : très souvent, presque toujours ! Et j’ai choisi un sujet où nos collectivités sont à peu près en phase avec le droit du travail en général, ce qui est rarement le cas... Les problèmes sont là, dans ces imbroglios permanents issus d’une distance mal maîtrisée entre une réglementation nationale conduite par une haute administration qui ignore le contexte dans laquelle se débat la piétaille territoriale et des petites administrations territoriales souvent pauvres en organisation, dispersées et ensevelies par l’avalanche de textes qui la concerne plus ou moins.
Les problèmes de la complexité territoriale sont d’abord les problèmes de l’Etat, avant d’être ceux des collectivités locales. Un exemple ? Il y en a mille. En 1997, on fait une réforme comptable des communes dont le principe est d’intégrer les principes du plan comptable général de 1982. Pourquoi est-on à ce point en retard, et pourquoi la réforme est-elle si molle ? Principalement, à cause des services du Trésor Public qui obère la visibilité du principe de base de la comptabilité moderne dite de la « partie double ». La strangulation est en bonne voie. La fiscalité locale repose essentiellement sur les valeurs locatives cadastrales : non seulement le système est archaïque dans ses méthodes, les critères de base non actualisés depuis des décennies, mais son application au regard de ses propres règles décaties est truffée d’erreurs. Les spécialistes estiment le taux d’erreur sur les valeurs locatives par article, pour de multiples raisons techniques, entre 10 et 15% ! Parlons un instant des DDE : comment voulez-vous que les français comprennent que l’urbanisme est le principal pouvoir du Maire quand l’instruction d’urbanisme est faite dans la quasi-totalité des 35 500 communes de moins de 10 000 habitants par les services de l’Etat ? Là aussi, la strangulation avance. Le contrôle de légalité des préfets ? Les Français restent persuadés, lorsqu’ils ont un problème avec leur Maire, qu’il faut aller voir n’importe service de l’Etat et que celui-ci est le supérieur hiérarchique de l’élu local. Ce qui ne peut pas être totalement faux puisque les services de l’Etat écoutent nos concitoyens. Comment expliquer que le Préfet demande éventuellement au Maire ou au Conseil Municipal de modifier sa décision, mais que le Préfet n’engage pour autant jamais sa responsabilité ? Réponse : supprimer le contrôle de légalité, vous supprimerez vos problèmes ! Comme me le disait récemment un avocat spécialisé dans les procédures administratives, depuis qu’on a supprimé le passage en préfecture des arrêtés du personnel, le contentieux de la fonction publique a énormément baissé. Etc, etc. Etranglons donc le préfet, tout au moins sa fonction, et l’on pourrait voir de nombreuses difficultés administratives se résoudre d’elles-mêmes.
Rationaliser par l’administration territoriale
Le débat actuel, dans les milieux autorisés, tourne autour de la spécialisation fiscale, de la suppression de la clause de compétence générale pour la Région et le Conseil Général et sur l’apparition de la « communauté territoriale » qui unifierait le statut des EPCI. Le rapport d’Alain Lambert est la pierre angulaire des discussions en cours.
Pour ma part, il me semble que la réforme de l’administration territoriale de notre pays devrait avoir deux priorités stratégiques en tout et pour tout. Faire croire que la réduction d’un échelon par le regroupement du Conseil Régional et du Conseil Général cultive une illusion : même si l’on peut l’argument du bon exemple, le Président de l’Association des Régions de France a sûrement raison quand il observe que « les recoupements entre départements et région représente 5,74% du budget régional » en Aquitaine, les vrais enjeux sont ailleurs et plus précisément au niveau des communes, de leurs syndicats et de leurs communautés.
La première priorité est de mettre fin avec clarté à la confusion des pouvoirs entre des instances qui ont une légitimité politique égale par le suffrage universel. Cela signifie notamment que le Maire ne peut pas être le subalterne d’un agent de l’Etat comme c’est le cas pour l’état-civil, pour la gestion des élections et quelques menus services divers et variés. Cette confusion des pouvoirs est un héritage du Consulat qui permet encore aujourd’hui d’inventer une loi absurde en démocratie comme celle du 20 août 2008 pour demander au Maire de suppléer à la carence d’une administration de l’Etat. Le Parlement décide de créer un service minimum dans les écoles parce que le ministère de l’Education Nationale est un employeur incapable. Beaucoup de désordres proviennent d’un fondement ancien, non conforme aux principes d’une démocratie moderne, qui a peu d’effet en termes de gestion certes, mais le tutorat symbolique est dévastateur.
La seconde priorité est d’interdire le financement public en général, et notamment par l’Etat, d’administrations locales en-dessous d’un seuil minimal, à définir en nombre d’habitants ou plutôt en nombre d’agents. Les EPCI ont permis une collaboration entre les élus, mais on n’a pas évité l’empilement de structures. Pire, la règle de séparation stricte des compétences est mal appliquée et contournée en permanence. La mise à disposition du personnel des communautés aux communes est bloquée. L’inégalité d’accès des élus aux compétences techniques et logistiques est le problème le plus fondamental de notre système territorial, ce qui creuse la tombe des espaces ruraux démunis de tous les savoir-faire dont disposent les grandes collectivités avec leurs armées de technocrates territoriaux. Il faut cesser de penser la rationalisation du territoire par la réunion d’élus démunis de moyens, et organiser des pôles administratifs cohérents qui peuvent très bien servir plusieurs conseils élus. Les professionnels commencent à s’intéresser sérieusement à la mutualisation des services. Les élus locaux ne sont pas qualifiés pour manager des personnels. Les conseils élus ne devraient plus être autorisés à employer des fonctionnaires sans direction, les exécutifs élus doivent pouvoir jouer leur rôle politique sans examen de la qualification professionnelle qui doit être le propre des administrateurs territoriaux. Et puisque la barre pour organiser un comité technique paritaire est fixé à 50, considérons donc ce seuil comme un minima pour constituer des unités administratives territoriales.
Bien souvent, les politiques s’agitent pour conserver les apparences d’une initiative en réalité abandonnée aux administrateurs. Le service public est empli de techniciens, et spécialement de juristes aussi divers et variés qu’indifférents en pratique au mythe de la souveraineté populaire. Le problème est aujourd’hui bien plus dans la défaillance des organisations administratives territoriales que dans la représentation élective. Il faut tenter de mettre fin à ce double aveuglement et construire des administrations territoriales avec un encadrement contrôlé par les élus. La taille de ces administrations et le contrôle de son périmètre d’action comptent davantage que le périmètre territorial des conseils élus. La pénétration des hauts fonctionnaires dans le champ politique de l’Etat est telle qu’elle décrédibilise notre démocratie. La réforme de l’administration territoriale est peut être la seule chance d’éviter que la technocratie territoriale mange à son tour la démocratie locale. Les responsabilités des administrateurs territoriaux doivent être plus lisibles pour les citoyens, avec une responsabilité employeur bien identifiée comme en Allemagne, et ils doivent rendre compte dans un cadre organisé devant les élus.
Photo : la communauté de communes du Pays de Saint-Seine (3028 habitants, 20 communes) emploie tous les salariés de la communauté et de ses membres.
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