Deux phrases qui font tilt
« L’État ne peut pas tout faire » et « La rupture est profondément nécessaire... » Ces deux phrases, l’une prononcée par Lionel Jospin en 2000, et l’autre, tout récemment, par Nicolas Sarkozy, marquent le signal d’une conception nouvelle du rôle et des missions de l’État. Ces deux phrases chocs sonnent définitivement le glas d’un modèle social français hérité des « trente glorieuses » que l’histoire gardera en mémoire comme un souvenir empreint de nostalgie.
En dépit du fait qu’elles aient été émises par deux personnalités aux convictions politiques plutôt antagonistes, elles entrent aujourd’hui étrangement en résonance.
La première expression annonce, de façon assez violente, qu’un État a des limites et peut être en situation d’impuissance. Pour la plupart des générations, et en particulier les "baby boomers", on imagine qu’une telle phrase a pu faire l’effet d’un véritable séisme. L’État providence, l’État protecteur, l’État paternaliste a tout d’un coup démissionné.
La vocation d’un État (telle que perçue par l’imaginaire collectif) est de protéger les plus faibles, d’organiser la solidarité et de partager les ressources. Que veulent dire d’autre "Liberté, Égalité, Fraternité" ? En particulier, à défaut de promettre la richesse pour tout le monde, l’État idéalisé et fantasmé a longtemps été le garant pour que chaque citoyen puisse vivre dignement grâce à son travail.
Mais voilà, aujourd’hui, l’État n’apporte plus cette caution suprême et, de facto, ne garantit plus la "promesse" d’une vie digne. Si nous devions trouver une métaphore familiale, imaginez la déception d’un fils ou d’une fille, si le père ou la mère déclarait tout d’un coup : "Je ne peux pas faire grand chose pour toi !". Pensez-vous que les enfants seraient reconnaissants envers leur parents de les avoir mis au monde ? Nous en sommes là aujourd’hui, dans les nouveaux rapports entre les citoyens et l’État.
La seconde expression, évoquant une notion de "rupture", ne fait qu’enfoncer le clou. Que signifie-t-elle exactement ? Une rupture par rapport à quoi ? Faut-il rompre avec la dimension sociale et (sur)protectrice de l’État ? Ou bien faut-il rompre avec le marasme ambiant ? Vaut-il mieux rompre, plutôt qu’évoluer ? Rompre pour aller où ? Pour tendre vers quoi ? Rompre les amarres et laisser le radeau France flotter au gré de la mondialisation, au gré des courants de la Bourse et de la finance internationale ? Le rôle d’organisation de l’État est désormais remplacé par celui du flottement. Les citoyens sont comme en suspension dans une solution précipitée, ballottés par des courants antagonistes.
Ce constat pose, une nouvelle fois, la question de la définition du rôle d’un État moderne et démocratique.
Au-delà même du minimum attendu en matière de protection sociale, de sécurité, de justice et de répartition de la richesse, la mission d’un État n’est-elle pas de donner un cap à ses citoyens ?
De quoi ont besoin les populations aujourd’hui ? Elles ont besoin avant tout de se construire un avenir, de se projeter, de donner de l’espérance aux générations futures. Or aujourd’hui, les différents signaux émis par nos responsables politiques ne font que tétaniser le peuple, plutôt que lui insuffler le sens du mouvement, le goût de la solidarité, l’envie de partager et de réaliser ensemble. L’action volontariste a cédé la place à du discours, à de la rhétorique et de la logomachie.
Le premier rôle d’un État est de faciliter la vie de tous ses citoyens. Son second rôle est de montrer au peuple que la vie vaut la peine d’être vécue. Pour arriver à ce résultat, aujourd’hui, en France, il faudrait quelque chose qui tienne davantage d’un gouvernement d’union nationale, en lieu et place des sempiternels forums idéologiques.
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