Discrimination positive : rien à déclarer !
Étrange conclusion que celle du rapport du Comité Veil, remis à Nicolas Sarkozy en retard de presque six mois et qui explique qu’il est important de ne rien faire. Et pourtant, c’est la sagesse qui l’a motivé.
Le Président de la République Nicolas Sarkozy est assurément un homme politique volontaire. Ou volontariste. Et depuis qu’il a accédé à la magistrature suprême, il a quelques moyens de mettre en mouvement le monde autour de lui. Un peu trop pour certains, mais nul doute que de nombreuses améliorations sont nécessaires à la société française.
Généralement, le mouvement se montre fébrile et désordonné alors que l’ordre, le conservatisme, la stabilité ne peuvent provenir que de l’immobilisme. Le seul ennui, c’est qu’il ne s’agit pas de réformer pour réformer, mais de transformer ce qui ne convient pas et de garder ce qui convient et qui fait le socle de la cohésion sociale.
Une mission "impossible"
Le 8 janvier 2008 lors de ses derniers vœux, Nicolas Sarkozy avait souhaité réfléchir sur une redéfinition de certains droits constitutionnels du citoyen pour introduire la notion très ambiguë et contradictoire de "diversité" : faire en quelques sortes de la "discrimination positive" pour compenser un état de fait issue d’une "ségrégation de fait".
Mais la discrimination, qu’elle soit positive ou négative, est une doctrine diamétralement opposée à celle de la République actuelle et de notre tradition républicaine qui date de la Révolution, celle de l’égalité du citoyen face à la loi. Contraire également à l’article 1er de la Constitution de la Ve République.
C’est la raison pour laquelle Nicolas Sarkozy a souhaité engager la réflexion en demandant à Simone Veil, désormais académicienne, ancienne membre du Conseil Constitutionnel, ancienne Ministre d’État d’Édouard Balladur, de diriger une groupe de réflexion sur l’éventualité d’une modification du Préambule de la Constitution.
Loin de la limiter à la seule "diversité", Nicolas Sarkozy a élargi le champ d’investigation par ces quelques questions :
1. Doit-on permettre au législateur de mieux garantir l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités, en dehors même de la sphère politique ?
2. Y a-t-il des principes directeurs sur lesquels il conviendrait de fonder, au-delà de l’évolution des techniques, notre approche des problèmes liés à la bioéthique ?
3. Faut-il rendre possibles de nouvelles politiques d’intégration valorisant davantage la diversité de la société française pour favoriser le respect effectif du principe d’égalité ?
4. La reconnaissance du principe de dignité de la personne humaine.
5. Le pluralisme des courants d’expression et des médias.
6. Le respect de la vie privée et la protection des données personnelles.
7. L’ancrage européen de la République.
Les fondements actuels de la République
Aujourd’hui, quatre textes majeurs ont valeur constitutionnelle pour régir nos droits fondamentaux : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution de la IVe République (très fourni) de 1946, le Préambule de la Constitution de la Ve République de 1958 auquel sont faits référence les deux précédents textes, et enfin, la Chartre de l’environnement de 2004.
Il est à noter que les constituants de 1958 avaient refusé de redéfinir toutes les valeurs qui fondaient la République en reprenant celles de 1789 et de 1946 et en ne se focalisant que sur l’organisation des pouvoirs publics.
Ces trois premiers textes ont été considérés comme faisant partie du "bloc de constitutionnalité" par le Conseil Constitutionnel le 16 juillet 1971 (confirmant la jurisprudence du Conseil d’État du 12 février 1960), une décision qui n’a jamais été remise en cause et qui a montré que la fonction créait l’organe : le Conseil Constitutionnel avait conquis par lui-même son indépendance « en revendiquant un rôle de protecteur des libertés publiques ».
« Le temps a passé »
L’idée du Président de la République est donc intéressante : elle consistait à s’interroger sur l’introduction de nouveaux droits issus de l’évolution de la société et surtout, des sciences et des techniques après au moins deux révolutions depuis 1958, celle de la génétique et celle de l’informatique.
C’est ainsi qu’il faut entendre sa lettre de mission adressée à Simone Veil le 9 avril 2008 : « Il ne saurait être question de modifier ou d’affaiblir ces textes, qui sont de portée universelle. Mais depuis lors, le temps a passé. Les enjeux auxquels nous sommes collectivement confrontés ont évolué, notre société s’est profondément transformée. Ces changements soulèvent des questions nouvelles, qui toutes ne relèvent pas de la Chartre de l’environnement récemment adoptée. ».
Qui ?
Treize membres constituent le Comité de réflexion sur le Préambule de la Constitution présidé par Simone Veil. On y trouve des juristes, des hauts fonctionnaires, des universitaires, des parlementaires, mais aussi une professeur d’anglais dans un lycée professionnel de banlieue (Samia Essabaa). Parmi les plus connus, il y a Claude Bébéar, Bernard Accoyer (Président de l’Assemblée Nationale), Richard Descoings (directeur de l’Institut d’études politiques de Paris) et Axel Kahn (généticien et président de l’Université Paris-V).
Par ailleurs, le Comité Veil a eu la possibilité d’écouter 25 intervenants qu’il a choisis, parmi lesquels : la philosophe Sylviane Agacinski, les ministres Rachida Dati, Christine Boutin, Valérie Létard, Fadela Amara et Martin Hisch, le président du CSA Michel Boyon, le scientifique Jean-Pierre Changeux, le cardinal de Paris Mgr André Vingt-Trois, le médiateur de la République Jean-Paul Delevoye, le président du Conseil économique et social Jacques Dermagne, les écrivains Luc Ferry, Alain Finkielkraut et Marcel Gauchet, le président de la CNIL Alex Türk, le biologiste Jacques Testart, l’ancien PDG de Renault Louis Schweitzer (président de la HALDE), la présidente du Medef Laurence Parisot...
Deux interrogations méthodologiques
Il ne paraissait pas logique de vouloir engager une nouvelle réflexion constitutionnelle parallèlement à la réforme des institutions engagée à partir des réflexions du Comité Balladur.
Le rapport de Comité Veil explique alors que le Comité Balladur ne se considérait pas compétent, étant donnée sa composition très politique, pour engager une réflexion sur les droits fondamentaux, ce qui aurait conduit le Président de la République à approfondir la question par un comité spécifique.
Si la raison invoquée peut convaincre, il sera néanmoins difficile de faire comprendre que les travaux parlementaires de la réforme des institutions n’aient pas bénéficié en même temps de la conclusion des deux comités, Balladur et Veil, comme si une révision constitutionnelle, par le Congrès ou par référendum, était un acte anodin qu’on pourrait répéter à l’infini.
Au contraire, le Comité Veil va même plus loin pour justifier son retard : alors que Nicolas Sarkozy voulait les conclusions au 30 juin 2008 au plus tard, il a estimé qu’il lui fallait attendre la fin du processus de la réforme des institutions (promulguée le 23 juillet 2008) pour savoir sur quelles bases rédiger ses conclusions.
Méthodologie
Le travail du Comité Veil a adopté une méthodologie claire et rigoureuse.
1. Il a d’abord étudié les trois tentatives de révisions des droits fondamentaux depuis 1958 :
1.1. Celle du 14 décembre 1977 émanant d’une commission présidée par Edgar Faure qui proposa de constitutionnaliser le « droit d’être différent et de se manifester comme tel », la parité hommes/femmes, la dignité (« les travailleurs manuels et intellectuels sont égaux en dignité »), le « droit à la protection de sa vie privée » ainsi que le pluralisme de l’information et l’accès aux documents administratifs.
1.2. Celle du 15 février 1993 émanant d’un comité consultatif présidé par Georges Vedel qui prévoyait « la consécration constitutionnelle de certains droits nouveaux très opportune eu égard aux conditions d’évolution de la société française ».
1.3. Enfin, celle du 29 octobre 2007 émanant du Comité Balladur qui écarta toute modification concernant les droits fondamentaux. Mais la révision constitutionnelle consécutive à ce comité du 23 juillet 2008 a cependant apporté des droits nouveaux : parité professionnelle et sociale, pluralisme des opinions et des médias, langue régionales, francophonie...
2. Ensuite, le Comité Veil s’est fixé une doctrine lui permettant de guider ses choix afin d’apporter des réponses cohérentes aux différentes interrogations.
3. Enfin, il a regardé toutes les propositions de rajouts de droits nouveaux et l’a analysé dans le filtre de cette doctrine.
Deux éléments intéressants dans l’étude
La lecture du rapport donne évidemment quelques indications intéressantes sur les questions traitées. Je m’arrêterais cependant à deux petits éléments qu’il me plaît de valoriser.
1. L’importance de l’intégration européenne : le Comité Veil rappelle que la protection des droits fondamentaux ne dépend pas que du "bloc de constitutionnalité"de la France mais aussi (entre autres) de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que, « prochainement », la Chartre européenne des droits fondamentaux incluse dans le Traité de Lisbonne.
Ce qui est frappant, c’est l’adverbe "prochainement" qui laisse entendre que le Traité de Lisbonne va être appliqué malgré la rupture du processus de ratification par le "non" irlandais.
Le comité rappelle aussi l’article 55 de la Constitution qui autorise les juges français « à ne pas appliquer la loi lorsqu’elle leur paraît contraire à ces normes internationales ».
2. L’audition le 26 juin 2008 du biologiste Jacques Testart mériterait un article à lui tout seul (ses thèses particulièrement pertinentes sur la bioéthique feront l’objet d’un article ultérieurement).
L’un de ses thèmes de bataille est son opposition à la généralisation du diagnostic préimplantatoire qui préfigurerait un nouvel eugénisme. Or, l’une des conséquences, c’est de constater que les droits de l’homme (comme celle d’enfanter une personne en bonne santé) va à l’encontre de valeurs collectives plus larges qu’il appelle les « droits de l’humanité ».
Pour Testart, « les droits de l’humanité, c’est l’altérité et la diversité au nom de l’égalité de toutes les personnes », et les restrictions à la diversité du vivant (OGM) relèvent de la même utopie que le diagnostic préimplantatoire.
Le problème, c’est que le citoyen est absent dans la chaîne de décision entre la bioéthique et le législateur.
Conclusion du Comité Veil : ne rien faire de plus
C’est sans doute l’aspect le plus décevant pour Nicolas Sarkozy qui comptait sur Simone Veil pour avoir quelques propositions pour rendre compatible constitutionnellement sa grande idée de "discrimination positive" (une notion très anglo-saxonne peu populaire en France).
Or il n’en a pas été question. Le Comité Veil « n’a pas recommandé que le Préambule soit modifié ». En d’autres termes, le comité conseille le statu quo.
Et il s’en explique pour trois raisons :
1. L’arsenal constitutionnel des droits fondamentaux est déjà vaste et riche, mais pas encore assez connu. Il mérite donc une grande campagne d’information rendue d’ailleurs nécessaire par l’introduction d’un mécanisme d’exception d’inconstitutionnalité de la réforme du 23 juillet 2008.
2. La modification du Préambule de la Constitution doit absolument se concevoir dans le consensus national aujourd’hui inexistant. Les droits fondamentaux constituent un « socle des valeurs dans lesquelles chacun de nos concitoyens peut se reconnaître » et aujourd’hui, la question de la diversité risque de devenir un grave conflit sur les valeurs.
3. Enfin, le Comité Veil a estimé que la plupart des avancées en matière de libertés publiques (comme la bioéthique ou la protection des données) devaient se réguler par la loi et pas par la Constitution. Et il cite évidemment la question de la diversité en disant que « le champ du possible est néanmoins immense » pour favoriser une meilleure égalité des citoyens grâce à la richesse de l’article 1er de la Constitution sur l’égalité sans « distinction d’origine, de race, ou de religion ».
La seule modification qu’a proposée le Comité Veil est d’ajouter une référence au « principe d’égale dignité de chacun » en définissant ce terme ainsi : la dignité « qui fait de chaque être humain l’égal de tous les autres, et exclut qu’un individu puisse être assujetti à la simple volonté d’un autre, sauf à y avoir dûment consenti ».
Commentaire personnel
Grande sagesse
Le travail de la commission de Simone Veil était très périlleux, bloquée entre un Comité Balladur très revendicatif et un Président de la République très volontaire sur une question qui, précisément, ne fait pas consensus.
Finalement, le Comité Veil a eu la sagesse de rester indépendant et de définir sa propre cohérence interne, quitte à déplaire à celui qui l’a nommé.
Extrême sagesse surtout de ne pas vouloir réanimer une véritable guerre civile sur le sujet très chaud de l’identité républicaine. On sait que ce type de débat revient périodiquement à partir de thèmes parfois annexes comme l’enseignement privé en 1983 ou le foulard islamique moins d’une dizaine d’année après.
Toute la subtilité du comité a été de montrer à la fois l’inutilité d’une réforme constitutionnelle supplémentaire et le risque grave d’un conflit sur les valeurs qui pourrait affaiblir une cohésion nationale déjà mise à mal par les problèmes économiques et sociaux. L’inutilité dans la mesure où les droits constitutionnels sont déjà très consistants et que les simples lois peuvent préciser ou décliner.
En finir avec la "race"
De mon point de vue, j’aurais cependant été favorable à une modification, sur le fond mineure mais sur la forme essentielle, de l’article 1er de la Constitution en supprimant définitivement le mot « race » du vocabulaire juridique.
Le premier alinéa de l’article dit en effet : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. ».
La présence du mot "race" date d’une époque révolue où la science n’était pas aussi évoluée que maintenant : il est génétiquement démontré qu’il n’existe pas de races humaines, et par conséquent, le concept même de l’existence des races est contestable, tant scientifiquement que moralement et politiquement.
L’exemple le plus médiatique aujourd’hui concerne l’origine multiethnique de Barack Obama qui est, finalement, de même complexité que l’origine de n’importe quel autre être humain sur cette Terre. C’est ce qui fait, de l’humanité, à la fois l’égalité et l’altérité.
Par ailleurs, en supprimant ce mot et en raison de la présence du mot "origine", le sens de la phrase ne changerait pas d’un iota.
Bravo donc au Comité Veil d’avoir désamorcé une bombe sociale virtuellement très dangereuse.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (23 décembre 2008)
Pour aller plus loin :
Pour télécharger le rapport du Comité Veil (17 décembre 2008).
Nicolas Sarkozy à Palaiseau (17 décembre 2008).
Pas touche à ma Constitution.
Simone Veil élue à l’Académie française.
Le Comité Balladur (30 octobre 2007).
Sur la réforme des institutions.
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