Dos à dos
Depuis France-Tunisie les drapeauix tricolores sont de sortie, les laius identitaires ont la part belle mais au fond chacun n’est-il pas dans le tort ? Celui d’avoir pour les uns occulté la dimension symbolique du chant républicain et les autrres pour fermer les yeux sur une réalité : celle de la souffrance de jeunes Français.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L150xH113/images-139-be6a4.jpg)
Le stade de France a cette forme de soucoupe volante déposée au bord d’une autoroute. Anachronique et futuriste l’antre règne au milieu des terres dionysiennes. Symbole du succès black-blanc-beur de 98, aussi vite médiatisé que brûlé, le terrain de football est la fierté du coin. Les touristes sourient allègrement aux photographes, les sportifs en herbe y font trépasser leurs rêves et les journalistes nostalgiques relisent leurs calepins se souvenant des célébrations victorieuses.
Tout un symbole ce stade. Zinédine faisait sourire Jacques quand Lilian sauvait Aimé, a en avoir des trémolos tant l’idéal métissé semblait enfin prendre forme. Puis les heures ont passé, les serpentins mondiaux se sont retirés pour laisser la grisaille du quotidien reprendre ses droits, la terre de gloire hexagonale fut très rapidement renommer 9-3 et vit les objectifs criminalisant se substituer aux reportages autour de la balle et des réussites. Le stade de France s’est mis à moins vibré, les rêves se sont petit à petit accrochés aux murs enfantins, le football s’est vendu comme une porte de sortie sans expliquer que cette sortie était plus étroite que salvatrice.
Si quelques semaines durant, l’euphorie d’un filet vibrant a estompé les cris des alentours, un jour arrive où le silence se lasse et à son tour rêve de tour du stade, de ola, de unes et de reconnaissance. Le 93 – prononcé 9.3. dans les hautes sphères pour faire « jeune » et insister sur ce monde qui serait à part – a fini par troquer son habit de lumière pour son cri de misère. Lieux symboles des difficultés sociales des quartiers populaires où les générations se sont succédées et ont témoigné de déceptions successives, là où les différentes vagues d’immigration ont fini par échouer et ont tenté de se construire entre exclusion sociale et racisme.
La nouvelle génération a connu l’échec de grands frères motivés puis résignés, entendu parler de l’exil des anciens à travers la mémoire familiale et ont à leur tour essuyé les contradictions d’une république et son esprit qui souffre dans la réalité. Eux, pour la plupart Français, formés dans les classes de l’école française, nourris aux Lumières et autres Jaurès, restent perçus comme « issu de ». Balancés d’identités en identités par les regards des autres, toujours pesant dans les temps adolescents, par les photographies médiatiques ils passent de « français d’origine » les jours d’échecs à « français bien intégré » les périodes de succès sans parler des jours où la francité leur est retirée. Une ballade parmi les identités qui, forcément, finit par aboutir à un repli sur une identité construit par le jeune citoyen lui-même. Quand le sentiment de rejet de la part des siens émerge c’est le repli sur la différence et sur l’identité la moins proche que celle qui est refusée que l’individu met en avant, souvent celle de sa famille. Puis un jour d’automne, au milieu d’un terrain de sport, mué en espace social, pendant que les feuilles tombent les sifflets s’abattent sur un symbole de l’identité refusée : la Marseillaise.
Aux vues de l’Histoire, cet acte peut être vu comme paradoxal. L’idéal républicain porté par le drapeau tricolore et la Marseillaise véhicule justement l’unité des identités qui traversent le pays et l’enrichissent autour d’un socle d’égalité, de liberté et de fraternité. Aux vues des Histoires personnelles, l’idéal est devenu pure utopie. Les sifflets portent à la fois les rêves déçus, la sensation d’avoir été dupée et quelques attitudes provocatrices. Des sifflotis donc teintés par l’incohérence historique et poussés par un ressenti d’inégalités qui mène une population à s’en prendre au symbole d’abord d’un idéal mais aussi, depuis hélas quelques années, symboles du nationalisme et d’un Etat plus coercitif que providence. L’acte n’a peut être pas été calculé, est sans doute douloureux pour un idéal et pourtant il a des causes.
Ces causes, nombre de commentateurs avertis et irrités semblent les mettre sous le tapis, préférant les sirènes du patriotisme bêlant et de l’indignation permanente au risque de botter la sociologie sur la touche. Édito, interventions, débats, tous sont unanimes pour condamner la nappe sonore qui a accompagné Rouget Delisle lors du match France-Tunisie. Tous regrettent l’attaque du principe républicain et l’attitude désinvolte de français alors nommés « issus de » quand on ne leur ôte pas leur citoyenneté. Les tirades sont belles, enveloppés dans l’esprit cocardier primaire, les mots et paroles font bloc. « Gaminerie », « petits cons », « irrespectueux », « irréfléchis », le verbe est fourni et aime à jouer avec l’idée de non-réflexionn et de spontanéité de la foule.
Pourtant, cette attitude de dénonciation sans fond paraît, elle aussi, être inscrite dans cette logique de la passion plutôt que de la raison. Ces commentateurs du quotidiens demeurent encrés sur le fait que sont les sifflets mais refusent de réfléchir à ces causes, ces fondations du mécontentement. Comme les sifflets, les palabres tombent niant le contexte et la genèse de ces criées. Si les sifflets avaient occulté l’histoire d’un symbole, les analyses elles-aussi mettent de côté les rouages de ce qui est un symbole, celui de la souffrance et de la sensation de marginalisation rampante de l’ensemble d’une population. Une population qui n’a pas sifflé La Marseillaise dans son ensemble par ailleurs, juste quelques individus. Qu’aurions-nous dit d’une personne qui, à l’heure de la création du train, se serait émerveillait des rails à tel point qu’il en aurait oublié de regarder la locomotive. Qu’il regarde l’Histoire par le mauvais bout sans doute. En effet , les rails sont la conséquence du train et non l’inverse. Ici les sifflets sont les rails qui n’ont pu exister que par l’existence du train des raisons sociales.
Dos à dos, oubli contre oubli, ignorance contre ignorance, des débats agités pour assurer une remontée dans les sondages toujours bien vus en temps de crise, et c’est l’esprit quant à lui qui compte les points. Triste match nul car nous le savons, la cocarde n’a jamais émancipé l’Homme, la pensée en a au moins l’ambition.
Elbe
19 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON