Drapeau vert sur la démocratie en France
Pourquoi, me suis-je dit, la secrétaire de mairie d’une modeste commune dont on ne connait même pas le nom hors du département, ne ferait-elle pas l’éditorial de fin de campagne sur le journal électronique citoyen le plus moderne de France ? Moi, moi, moi ! Les éditorialistes de la presse écrite que j’ai lus jusqu’à présent ne m’ont pas éblouie, ils brillent plus par la reconnaissance de l’organe de presse à l’endroit de la plume autorisée que par la pertinence. Je crois pouvoir proposer quelques vraies synthèses qui méritent réflexion à la veille du vote. Mais si une citoyenne de mon genre gonfle un peu trop la poitrine, on pourra au moins en rire.
Le premier doute, c’est l’opportunité de la participation électorale. De nombreux jeunes de banlieue, encouragés par quelques stars issues de l’immigration, se sont inscrits. Est-ce une si bonne idée d’aller voter ? L’argument à la mode consiste à faire valoir que l’on peut protester quand on a fait son devoir de citoyen. Peut-être, mais le vote est d’abord la reconnaissance de la validité de la procédure élective : parce que je vote l’élection est légitime, j’y participe et donc implicitement je la reconnais. La participation est un moyen d’insérer, peut-être d’exprimer son désir d’insertion, c’est un choix discutable.
Ségolène Royal est allée un peu plus loin dans l’insertion par la participation. Nous verrons quelle place sera faite aux adhérents à 20 € dans les mois à venir. Pour l’instant, ces nouveaux adhérents découvrent le tamis et le laminoir qui séparent le programme du débat participatif. La propagande n’est jamais loin. Le jour où l’on décrira l’élection par la distribution de bulletins muets, on aura avancé du seul fait du vocabulaire, par une description objective et réaliste. Pour l’instant, en acceptant de parler de voix, les médias collaborent à une mythologie républicaine discutable au lieu d’exercer le minimum d’esprit critique indispensable à la simple description des faits. Tout psychanalyste peut le confirmer, nommer le réel est une étape fondamentale dans le traitement du patient.
Cette campagne électorale de 2007 modifie le décalage entre l’émotionnel et le rationnel. par rapport aux campagnes électorales nationales précédentes. Ce décalage est normal, il est lié à la mobilisation de citoyens par définition moins avertis que les professionnels de la politique. Mais jusqu’à présent ce décalage était plus canalisé par les idéologies repérées de la droite et de la gauche. En 2007 on voit une implosion. C’est la fonction politique qui est mise en cause parce que le pouvoir politique est relativisé. Ce ne sont plus les choix qui font débat mais l’efficience potentielle de l’action publique nationale elle-même. Que peut un président de la République sur la suppression des 10 000 emplois d’EADS ?
Le cadre national de la légitimité politique est en mauvais état un peu partout en Europe. Dans notre pays, où l’Etat est si centralisé et si consubstantiel à la nation, l’affaiblissement de l’efficacité de la machine administrative a un impact particulièrement ressenti. La TVA sociale a besoin de l’aval de Bruxelles, la politique familiale n’existe plus sans l’intrication des caisses d’allocations familiales et des structures d’accueil gérées par les collectivités, la politique militaire nationale est une farce quand on se demande avec quel partenaire partager les frais pour la construction d’un second porte-avions pour mener une politique étrangère dont la réalité est de plus en plus improbable face au Brésil, à la Chine ou aux Etats-Unis. Voilà le tableau, dont on perçoit surtout la confusion.
Ni les fadaises de Nicolas Sarkosy sur les appellations ministérielles, ni les petits drapeaux tricolores à domicile de Ségolène Royal ne peuvent dissimuler l’embarras des leaders politiques français qui vont devoir se résoudre à admettre que la France n’est plus la totalité des questions politiques des citoyens de France. Ce parfum de nostalgie nationale est la spécificité de la campagne 2007. On y trouve le doute, la rancoeur et ce pénible arrachement à cette vision hexagonale du monde où nous sentons nos héritages culturels, nos convictions et nos jeux s’évanouir sous nos pieds.
La politique est un grand pot des problèmes collectifs qui nous dépassent. Et il y a en effet quelques grands sujets publics qui débordent un peu le cadre national. Le réchauffement de la planète, l’extraterritorialité des profits et les capitaux apatrides, les nouveaux octrois de la brevetabilité... Et, à mon humble avis personnel, nous devrions nous préoccuper un peu plus du contrôle public des moyens techniques et des dangers de la pollution des informations insignifiantes à but lucratif (on appelle cela la publicité).
Les Verts ont d’ores et déjà gagné ces élections de 2007 parce que nous pouvons constater à grande échelle les désordres démocratiques, supposés si typiques des écologistes, se répandre dans toute la société française. Tout le monde veut s’exprimer, chacun a son idée tactique, et la discipline nécessaire à l’élaboration d’un projet en commun est impossible. Parce qu’on confond un peu trop la politique avec la morale, il n’y a plus de volonté générale mais des vélléités. La volonté générale, c’était Rousseau et les institutions républicaines. Aujourd’hui, la démocratie, c’est Hulot et les médias. Nous sommes tous d’accord sur les leçons à donner aux politiques, eux-mêmes sont d’accord pour s’agenouiller et communier, mais personne n’aura aucune responsabilité de contrôle d’un côté ni d’exécution de l’autre.
J’espère que Dominique Voynet fera un meilleur score que ce qu’annoncent les sondages, oracles de notre temps. La valeur d’un discours, quoi qu’il en soit, ne se limite pas forcément à un score.
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