Droit d’amendement : la mauvaise foi de l’UMP et du Gouvernement
Probablement émoussé par ses récents déboires avec la majorité parlementaire (UMP, NC) et contraint, malgré lui, de reculer sur la « réforme » du collège et du lycée, Nicolas Sarkozy entend reprendre les choses en main, en faisant adopter prochainement (mi janvier) un projet de loi organique qui aurait pour ambition de restreindre les débats législatifs (en imposant un temps de débat limité dit « crédit temps ou « temps global »).
Concrètement, ce projet de loi organique, qui s’inscrit dans la poursuite de la révision constitutionnelle de juillet 2008, permettra au Gouvernement de restreindre le débat parlementaire à son minimum, sans que les parlementaires, qu’ils fassent partie de la majorité parlementaire (celle qui a accordé sa « confiance » au Premier Ministre) ou qu’ils soient dans l’opposition parlementaire (celle qui n’a pas voté la « confiance » au Premier Ministre) puissent s’y opposer.
http://www.assemblee-nationale.fr/13/projets/pl1314.asp
Pour justifier un tel procédé qui ne peut, bien évidemment, que nuire au débat parlementaire, et à la compréhension d’un texte (projet ou proposition de loi (simple, organique, des finances, etc.), adoption d’une directive européenne, validation d’un règlement européen, vote d’engagements internationaux, etc) – les élus étant soumis au régime de la télé : dix secondes pour convaincre ! – le Gouvernement, le Président, et Monsieur Copé, s’appuient sur une hypothétique « paralysie », et une éventuelle « pagaille, qui seraient génératrices de contre temps pour les « réformes », et « d’obstruction » parlementaire, inutiles et néfastes pour la conduite de la France, et la netteté du débat.
Le problème, pour Messieurs Fillon, Sarkozy, Copé, c’est que la France, depuis 1958, sur proposition du Général De Gaulle, et avec le soutien du Peuple Français, a enterré la IV République, pour faire place à une nouvelle République, dont la Constitution est gage de stabilité gouvernementale, et « rationalise » le Parlement au profit de l’Exécutif.
Il ne saurait dès lors y avoir « paralysie » ni même « pagaille » puisque justement la Constitution de 1958 met fin aux « errances » de la IV République, qui effectivement paralysaient le pays, puisque le Parlement pouvait faire sauter, à tout moment, le Gouvernement.
L’arsenal constitutionnel prévu par la Constitution est gage qu’une telle situation de « pagaille » ou de « paralysie » ne peut se produire
Premièrement, parce que le Gouvernement possède un atout non négligeable : celui de déclarer « l’urgence » d’un texte...Sans devoir se justifier sur la raison d’une telle « urgence » et sans qu’il soit déterminé par la Loi Fondamentale les cas où « l’urgence » est requise, ce qui lui offre une liberté totale sur la question. Ainsi, depuis le début de la législature, la presque totalité des textes présentés devant le Parlement ont « bénéficié » de la procédure d’urgence. Celle ci consistant à ne permettre aux parlementaires que de disposer d’une lecture — par assemblée — avant son adoption. Autant dire que le temps de la délibération s’en trouve d’autant diminué.
Deuxièmement, parce que face à des parlementaires un peu trop remontés contre un texte – ce qui est fort rare dans un pays où l’élection présidentielle est « reine » et où les parlementaires se situent par rapport à celle ci – le Gouvernement a un deuxième atout : le décret...Et si cela ne suffit pas – par ex il existe une loi qui contredit le décret (ce qui aurait été le cas si le Gouvernement avait voulu faire passer l’autorisation de la fin de la pub dès le 5 janvier 2009 par décret) – le Gouvernement possède encore une arme de haute portée : le 49,3 qui consiste, en gros, à demander aux parlementaires l’adoption d’un texte, sans examen préalable. Seul souci pour le Gouvernement : les Français n’apprécient pas franchement une procédure – légale mais pas tellement légitimée – qui comparativement ressemble fort au « fait du Prince » ou à ce qu’on appelait, au temps des rois, les « lits de Justice ».
Autre raison invoquée à cette limitation du débat parlementaire ? Et à l’exercice du droit d’amendement ? Le vœu – pieux ? – du Gouvernement, et du Président de la République, de mettre en œuvre cette « République irréprochable », engagement de Monsieur Sarkozy. Pourquoi ces modifications ? Pour favoriser la « clarté », la « netteté », et la « sincérité » du débat parlementaire. Et donc, in fine, des lois intelligibles, claires, et qui servent.
Problème là encore...La « qualité » du débat parlementaire, et in fine, celle des lois, et l’utilité de celles ci...Dépendent en premier lieu, non du Législatif – les propositions de loi sont très rares, et doivent obtenir la « bénédiction » du Gouvernement (cas de la proposition de loi Maillé dont on parle aujourd’hui, plus connue sous le nom de « loi pour favoriser le travail dominical ») car pour l’heure « l’ordre du jour » est monopolisé par le Gouvernement (et la révision constitutionnelle de juillet 2008 n’apportera pas tellement de changements, puisque seul ¼ des « lois » seront d’origine parlementaire, selon Monsieur Accoyer et Monsieur Larcher, respectivement Présidents des deux Chambres) – mais de l’Exécutif.
Comme l’expliquent les auteurs de l’ouvrage Ubu Loi, il existe plusieurs types de lois :
— Il y a les lois de circonstances, celles qui sont faites et conçues pour répondre aux contingences de l’instantané..leur rédaction est forcément trop rapide, mal ficelée et les rend généralement inapplicables. Elles sont faites pour rassurer l’opinion et faire croire que les problèmes sont réellement pris à bras le corps, en urgence
— Il y a la cohorte des lois éponymes, qui récompensent le carriérisme du personnel gouvernemental. Car comment passer à la postérité lorsque plus de 2000 ministres se sont pressés aux affaires de la France depuis 1970 ? Attacher son nom à une loi est bien souvent le seul moyen de laisser à la vanité la faculté de survivre aux outrages du temps.
— Il y a les lois inspirées par l’administration qui, comme en matière fiscale, sont à 98% l’émanation des services fiscaux eux-mêmes. Déclinées sous forme de lois de validation législatives ou d’amendements prêts à l’emploi, elles servent de munitions aux parlementaires en mal d’inspiration lors des débats budgétaires et techniques.
— Il y a les « lois » qui visent à « nationaliser » une directive européenne. Le problème, c’est que le Parlement ne peut pas (ou ne veut pas, ou ne sait pas) modifier celle ci...Car le Gouvernement menace en expliquant « l’obligation » d’adhérer à un tel procédé, en arguant des traités européens...Qui pourtant disent tout le contraire. Pour s’en rendre compte, il suffit de comparer le travail législatif des parlementaires Français avec celui de leurs homologues Allemands, Anglais, Suédois, ou (allons y !) Tchèques. En France, la directive est adoptée généralement telle quelle, alors que chez nos « voisins », plus ou moins lointains, des différences s’opèrent, notamment pour justement « nationaliser » au mieux un concept européen. Au final, on obtient donc en France un texte d’une extrême complexité, et d’un flou artistique sans nul autre pareil ! Alors qu’en Italie, pour ex, les parlementaires ont choisi, lors de l’adoption de la directive sur la « non discrimination » d’inscrire que celle ci doit être respectueuse de telle ou telle tradition, usage, du pays. Les parlementaires Français ont peut être pensé que la Déclaration de 1789 permettaient de ne rien inscrire de plus au texte européen, mais on peut en douter...Quand on sait par ex, que les parlementaires UMP et NC motivaient leur vote, en faveur de la révision constitutionnelle de juillet 2008, sur le « nouveau droit » qu’ils auraient de pouvoir « contrôler le Gouvernement »...Un droit qui leur est déjà reconnu depuis...1789 ! Comme aux citoyens d’ailleurs.
— Il y a enfin de « bonnes lois » qui datent généralement des années 1789 – 1799 (République) ; de 1801 – 1815 (Empire) ; 1873 – 1937 (République) ; 1946 – 1954 (République) ; 1958 – 1966 (République) plus quelques autres plus récentes. Généralement, ces « lois » ont été un peu touchés avec le temps, mais leur « esprit » reste le même. Ce sont des lois qui sont dites « bonnes » car considérées utiles par les citoyens, efficaces par l’Etat, et « solides » par les juristes, en raison de leur longévité et du consensus qui existe autour d’elle, dans la Société.
Conséquence de tout ceci ? La France dispose d’un arsenal législatif qui se révèle inopérant dans les faits. Quelques 10 500 lois, 120 000 décrets répartis dans 62 codes différents qui composent notre ordonnancement juridique. 53% de lois qui sont inapplicables en pratique et nuisibles au plan économique, social, ou environnemental. Un vrai jeu de piste d’autant plus « amusant » qu’il permet, en raison de l’obésité législative, tous les passe droits pour les uns (il suffit de se faire concocter « sa » loi), toutes les injustices pour les autres (pas de sécurité juridique véritable...Mise à part la Constitution et les traités), et au centre d’habiles juristes qui se jouent des contradictions entre les lois, de l’empilement législatif, et des décrets qui s’opposent à l’esprit de la loi (48% d’entre eux !)...Pour proposer leur service...L’administration n’étant elle-même pas au courant de la dernière réglementation applicable !
Tout cela montre, si cela était nécessaire, que la paralysie de la Loi et la « pagaille » dénoncée par l’Exécutif sont en premier lieu de son ressort. C’est le Gouvernement qui détermine l’ordre du jour. C’est le Gouvernement qui prend la responsabilité d’user de « l’urgence » à tort ou à travers.
L’UMP considère que le PS et ses alliés (ou pas) pratiquent « l’obstruction ». Mais les parlementaires UMP, qui sont aussi à 85% des élus locaux, ne font pas mieux...Au niveau local. Ce qui est dénoncé par l’UMP est donc copieusement utilisé en région (dominée par la « gauche »), dans les départements (« gauche » majoritaire), et dans les communes (là encore, la « droite » y est minoritaire) par les élus de l’UMP et du NC.
Il y aurait bien sur moyen de mettre fin à de telles « obstructions »...Inscrire précisément les cas de figure où « l’urgence » peut être déclarée par le Gouvernement, avec justification, le Parlement devant se prononcer (par un vote) pour déterminer s’il accepte (ou non) une procédure dite « d’urgence ».
Faute de cela, comment pourrait on, sincèrement, blâmer l’opposition ? Dans un régime qui bipolarise (et non bipartise) les parlementaires, et où le Gouvernement détient un pouvoir colossal, qui lui est reconnu par la Constitution, de quels moyens dispose donc la « minorité » sinon ceux qui consistent à alerter « l’opinion » ? Et comment alerter celle ci...Sinon en deversant une cascade d’amendements ?
On finira en constatant que même si le procédé – utiliser l’amendement pour obtenir l’obstruction du texte – n’est pas forcément à la gloire de ceux qui l’utilisent pour d’autres fins que celles initialement prévues par la Constitution...Celui-ci peut avoir son utilité pour rappeler à la classe politique, mais également aux citoyens, quelques conceptions liées à la morale, et au sens de la Justice.
L’ex de la Loi Maillé est, à cet égard, parfaitement illustrateur de cela. Les amendements records de la « gauche » contre la proposition de Loi auront au moins eu cette conséquence positive, de permettre aux parlementaires, comme à la Société, de s’interroger sur le sens de la « nécessité de la Loi ».
En effet, chacun a pu constater au cours de la législature présente, que le pouvoir actuel s’est montré bien moins accommodant devant les violations de la loi en certains domaines, qu’il ne l’est sur la question du dimanche travaillé. Un certain Président de la République a même suggéré de rendre rétroactive la loi pénale en certaines circonstances. Le même n’a pas non plus flanché quand il s’est agit de vilipender les "patrons voyous". Car la Loi Maillé vise, tout de même à rendre légales des situations qui ne le sont pas. On peut dès lors se demander s’il n’aurait pas été plus urgent d’appliquer la Loi avant de la changer.
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