Frank Louvrier et la Loire-Atlantique en Bretagne
Le débat sur le retour de la Loire-Atlantique en Bretagne, qui agite la scène politique locale depuis une vingtaine d'années a récemment connu un nouvel épisode avec la publication dans la revue Bretons d'une interview de Franck Louvrier. Franck Louvrier, pour ceux qui ne le connaissent pas, a longtemps été un des plus proches collaborateurs de Nicolas Sarkozy et est depuis peu conseiller régional des Pays de la Loire. Il est le rival le plus probable de Jean-Marc Ayrault pour la mairie de Nantes aux prochaines élections municipales et se pose en rassembleur d'une droite locale en mal de leadership.
Sa voix a donc du poids et quand il se dit favorable à la réunification de la Bretagne dans le cadre de la finalisation de la réforme territoriale en 2014, il fait plus qu'émettre une opinion.
Naturellement, cette interview n'est pas sans arrière-pensées politiciennes, à la fois à court et à long terme. Se présenter comme le champion du retour de Nantes à Bretagne peut s'avérer payant électoralement, d'autant plus que le héraut historique de cette cause, le socialiste et ancien président du Conseil Général Patrick Mareschal a récemment abandonné la vie politique. Son successeur, Philippe Grosvalet n'a ni sa carrure ni son goût pour la chose bretonne. Il y a là un espace politique que Franck Louvrier pourrait être tenté d'occuper.
Il est cependant possible qu'il y ait là plus que de la tactique. Franck Louvrier a peu de chances de détrôner Jean-Marc Ayrault en 2014, mais ce dernier n'est pas éternel et les élections de 2020 seront sans doutes beaucoup plus ouvertes. Or, Jean-Marc Ayrault a toujours eu le projet de faire de Nantes la grande métropole de l'ouest de la France, avec une zone d'influence directe centrée sur l'estuaire de la Loire, et tournée vers Paris. Ce projet inclut la constitution de liens solide avec l'autre métropole bretonne – Rennes – mais il s'accommode mal d'un retour de Nantes au sein de la Bretagne. Pour exister l'estuaire nantais a besoin d'un pouvoir régional faible et désarticulé. La région des Pays de la Loire est idéale de ce point de vue. Par ailleurs, même si la plupart des régions – comme les départements, d'ailleurs – sont de pures constructions administratives, elles ont été investies par les appareils politiques et transformées en fiefs électoraux. Changer leurs frontières c'est remettre en cause l'équilibre local des pouvoirs. Ceux qui en bénéficient, qu'ils soient de droite comme de gauche, y sont rarement favorable.
Franck Louvrier, lui, semble privilégier un axe Rennes – Nantes incluant la Vendée. Cela aurait l'avantage, pour lui, de redonner une chance à une droite bretonne extrêmement faible tout en évitant un conflit de territoire avec les leaders de droite du Maine et de l'Anjou – et notamment un certain Christophe Bechu.
Sur cette situation déjà complexe, vient se greffer la problématique succession du maire de Saint-Nazaire, Joël Batteux. Le "grand" comme on l'appelle localement achèvera en 2014 ce qui aura sans doute été le mandat de trop. La désaffection de la population pour la municipalité socialiste est palpable et si la droite était capable de s'unir sous la houlette leader populaire, elle pourrait emporter la mairie. Dans l'état actuel des choses, cependant, c'est Europe – Ecologie qui pourrait offrir cette alternative, autour de l'ancien conseiller général Gilles Denigot. L'intéressé n'a pas encore annoncé ses intention mais il suscite une réelle attente dans le microcosme politique nazairien.
Or Gilles Denigot, contrairement à l'actuelle équipe, est favorable à la réunification et à une coopération avec les autres ports bretons.
La question va cependant au delà des stratégies des uns et des autres. Si la question des frontières administratives peut sembler triviale à la plupart d'entre nous, elle n'en a pas moins de profondes conséquences. L'actuelle région des Pays de la Loire a été esquissée pour la première fois en 1941 par le premier gouvernement Laval, reprenant la révision de 1938 des "groupements économiques régionaux" initiés en 1919 par 'Étienne Clémentel sur la base des travaux du géographe Paul Vidal de La Blache. Les régions actuelles ont, elles, été découpées en 1956 sur une base essentiellement technocratique. Il s'agissait alors d'un simple outil de planification, sans portée politique.
Le problème c'est que lorsqu'elles ont été investies par le suffrage universel, elles ont acquis une réalité politique, soutenue par un discours identitaire, parfois basé sur l'histoire, parfois entièrement fabriqué. Plus important, leur découpage a conditionné des choix politiques souvent lourds de conséquence.
La région des Pays de la Loire, n'avait, dés le départ, aucune cohérence et Nantes n'y avait été inclus que pour lui donner une capitale. Les cinq départements qui la constituent ont des intérêts dissemblables et regardent dans des directions différentes. Il n'y a pas, par exemple, de liaison ferroviaire rapide entre les différents chefs-lieux de départements, ni de volonté réelles de les mettre en place. Seul l'axe de la Loire, fonctionne à peu prés correctement.. en tournant le dos à la façade atlantique.
La diversité des identités départementales a empêché un projet régional fort et cohérent d'émerger, et c'est, par défaut, la politique Nantaise qui s'impose. Cette valorisation de l'estuaire de la Loire, n'apporte naturellement rien aux vendéens et aux sarthois. Quant aux angevins, ils se retrouvent, le plus souvent, relégués au second rang.
Dans le même temps, la coupure entre les régions Bretagne et Pays de la Loire entraîne une dispersion des énergies préjudiciable aux investissements. C'est ainsi que Nantes n'a pas été déclarée éligible au projet Campus, faute d'avoir présenté un projet commun avec les autres universités bretonnes – un échec que Franck Louvrier a d'ailleurs dénoncé. Pour les mêmes raisons, la modernisation, pourtant indispensable, du transport ferroviaire, a pris du retard. Si le tram-train Nantes-Châteaubriant semble en bonne voie, la liaison rapide Nantes-Rennes se conjugue encore au conditionnel futur.
C'est, bien-sûr, sur la côte que les effets de cette coupure se font le plus sentir, avec l'absence de coopération entre Saint-Nazaire et les autres ports bretons, notamment dans le domaine des énergies renouvelables, mais aussi dans l'absence d'infrastructures de transports en commun. C'est d'autant plus absurde que ces infrastructures existaient avant-guerre, et ont été démantelées pendant la grande déprise ferroviaire des années cinquante.
Leur reconstitution relève du simple bon sens mais se heurte au manque d'intérêt d'une administration régionale centrée sur l'axe de la Loire. Il en est de même, d'ailleurs des liaisons entre la Mayenne et la Vendée et leurs voisines immédiates.
Le rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne corrigerait-il ces déséquilibres ? Probablement en partie. Il ne faut pas exagérer le poids des collectivités locales dans le destin économique d'un territoire. La Bretagne est enserrée dans un espace français qui, comme tous les systèmes centralisés, a pour fonction première de transférer les ressources de la périphérie vers le centre – quitte à tolérer quelques exceptions locales comme dans les DOM – TOM. La France, elle-même fait partie d'un système mondial conçu au départ pour donner aux pays développés du nord une part disproportionnée des richesses de la planète. Ce système mondial fait lui-même partie d'une biosphère aux ressources limitées et en voie d'épuisement rapide.
Rien de ce que les gouvernements locaux feront n'empêchera le centre de gravité de l'économie mondiale de basculer vers l'extrême-orient ni notre mode de vie de devenir plus simple, frugal et local. Leurs choix en matière d'infrastructures, d'investissement et de stratégie économiques, décideront cependant de leur capacité à s'adapter à ce nouveau monde qui se dessine sous nos yeux.
L'absence de politique portuaire, le retard pris dans la reconstitution des infrastructures ferroviaires , et d'une manière générale l'absence de cohérence territoriale engendrée par la séparation administrative, ne peut que nuire au Pays Nantais à l'heure où la capacité industrielle et le contrôle des matières premières devient plus importante que la maîtrise des flux financiers. Elle ne peut également que nuire aux autres départements des Pays de la Loire, dont l'économie, artificiellement tourné vers une région parisienne promise au déclin, devient de plus en plus dépendante.
Naturellement, cette problématique ne ferait pas la une des journaux, si ne s'y mêlaient pas des sentiments identitaires.
Cette notion d'identité charrie beaucoup de scories, qu'elles viennent de la gauche ou de la droite. De ce point de vue, d'ailleurs, la diversité convenue et sélective des bourgeois-bohèmes, avec son cortège de quotas et de rentes de situation pour représentants auto-proclamés, est aussi détestable que les forteresses religieuses ou raciales de l'extrême-droite ou le faux humanisme de ceux qui n'aiment les hommes en général que pour mieux les détester en particulier. Les uns comme les autres ne font que se raconter des histoires pour justifier l'accaparement des richesses collectives au profit de quelques uns.
Les humains sont des animaux sociaux, naturellement divisés en groupes, de taille et de nature d'ailleurs fort diverses. Ces groupes ont presque toujours une dimension territoriales et bien qu'ils se considèrent généralement comme éternels, ils ne le sont ni dans leur nature, ni dans leurs frontières, ni dans leur définition. Régulièrement, les guerres, les migrations, les catastrophes naturelles, ou plus prosaïquement, le jeu patient des changements sociaux, rebattent les cartes, effacent certains peuples et en font émerger d'autres. Il n'y a pas d'éternité bretonne, comme il n'y a pas d'éternité française. Il n'y a pas non plus de nécessité bretonne, comme il n'y a pas de nécessité française.
La Bretagne a émergé, en tant qu'entité historique, du chaos qui a suivi l'effondrement de l'Empire Romain. Sa culture, comme toutes les cultures non-romanes d'Europe occidentale, vient d'ailleurs, en l'occurrence du Devon et des Cornouailles, et s'est implantée dans le sillages de chefs de guerre qui, bien que théoriquement romains, ne différaient guère de leurs homologues francs, burgondes et visigoths. Ce n'est d'ailleurs pas un cas isolé. Les Basques habitaient originellement au nord des Pyrénées et les Albanais se sont installés dans le territoire qui est le leur au Moyen Age.
Les frontières de la Bretagne ont fluctué au cours du haut-moyen-âge avant de se stabiliser avec l'avènement de la société féodale. Elles auraient pu le faire plus à l'est ou plus à l'ouest, inclure le Cotentin et une partie du Maine ou au contraire exclure une partie des pays nantais et rennais, voire se réduire à la seule Basse Bretagne. Cette stabilisation s'est faite par la force des armes, sans considération pour l'avis des populations concernées. Elle a cependant abouti au cours des siècles, à créer des solidarités collectives basées sur des liens historiques et culturels. Ces solidarités, parfaitement contingentes au départ, continuent de modeler le comportement et les décisions des habitants de ce territoire, au grand dam des thuriféraires de l'identité monocolore, qu'elle soit nationale ou prolétarienne.
Pour citer le dramaturge danois Kaj Munk "Nous avons conquis le monde, dites que c'est un crime, mais nous avons prouvé que nous savons le gouverner."
Ces solidarités ne sont pas définitivement acquises, mais il se peut qu'elles soient plus durables que les solidarités nationales, surtout dans leur conception française. Ces dernières sont avant tout liées à l'Etat. Or l'épuisement des ressources, prévues par le Club de Rome en 1972, et les limites de plus en plus évidentes de la stratégie de croissance indéfinie que notre civilisation a adoptée au XVIIIème siècle, condamnent celui-ci à avoir de moins en moins les moyens de son propre entretien. Les vagues de privatisation et le retrait progressif des services publics des territoires périphériques ne sont qu'une des conséquences de cette crise, crise qui, d'ailleurs, dépasse de loin le clivage gauche-droite et rejoint la problématique des limites de la complexité sociale établie par Joseph Tainter dans son ouvrage historique The Collapse of Complex Societies.
A chaque fois que cela s'est produit dans l'histoire, les conséquences ont toujours été les mêmes : les solidarités locales, appuyées sur la société civiles et les institutions locales, ont pris le relai. A ce stade de l'évolution de notre civilisation, nous n'avons probablement plus d'autres option, n'en déplaise au partisans du rationnement par l'argent comme à ceux du gosplan écologique – c'est à dire du rationnement par l'intrigue et le copinage.
Pour que cela fonctionne, cependant, il faut que ces solidarités territoriales aient une réalité sur le terrain, que les nécessaires sacrifices ne soient pas vécus comme un nouvel accaparement au profit d'un nouveau centre. Dans le cas contraire, ce que l'on obtient, ce sont plusieurs solidarité en concurrence pour le même outil administratif, les plus fortes s'imposant le plus souvent au détriment des plus faibles. Les Brestois n'auront ainsi aucun problème pour améliorer la calamiteuse liaison ferroviaire entre Nantes et Vannes alors que celles entre Nantes et Laval (ou Laval et quoi que ce soit d'autre que Paris) ne sera jamais un priorité pour les Nantais.
En témoigne l'échec cuisant des initiatives lancées dans le cadre du grand emprunt, dont quasiment aucune n'a abouti. Elles étaient pour la plupart d'excellente qualité, mais l'absence d'esprit collectif des acteurs des Pays de Loire les ont condamnées à l'échec. On ne fait pas bien travailler ensemble des gens que rien, pas même leurs intérêts, ne relient. Ces projets relevaient de la mythique "économie de la connaissance" et leur impact sur l'avenir de la région aurait sans doute été très maigre, mais la gifle symbolique est flagrante.
L'identité exclut autant qu'elle inclut, ou plutôt, elle exclut en incluant. C'est dans sa nature. Lorsqu'elle le fait sur une base territoriale, cependant, elle permet de concentrer les solidarités vers ce qui importe vraiment, au niveau local, au lieu de les disperser ou de les mettre perpétuellement au service des plus forts ou des plus bruyants comme cela se fait dans le cadre du découpage actuel – il est vrai que les solidarité à sens unique et le "tous ensemble pour mes intérêts" sont une grande spécialité française, mais c'est une autre histoire.
Le choix entre d'un côté une cohérence territoriale basée sur une identité forte, gage d'un haut niveau de coopération, et un espace désarticulé où s'affrontent de multiples projets contradictoires paraît évident. Le problème c'est que le choix de la cohérence se heurte à la logique de fief qui a investi les régions actuelles. C'est d'autant plus déplorable que, au delà des gesticulations et ambitions de tel ou tel conseiller sarkozien, notre capacité effective d'investissement se réduit d'année en année, et avec elle notre capacité d'adaptation aux nouvelles conditions.
Les partisans de la réunification de la Bretagne sont souvent contre-productifs. Ils mettent en avant des arguments sentimentaux ou faussement juridiques, au lieu de présenter un projet politique et économique cohérent. Leur capacité à obtenir autre chose que des promesses creuses des pouvoirs publics est souvent très relative et si la réunification se fait, ce sera sans eux, ou même en dépit d'eux, forcée par la nécessité économique ou politique. Il n'en reste pas moins qu'en y faisant obstacle les feudataires locaux, touts bords politiques confondus, aggravent la crise et obèrent plus que sérieusement notre capacité sinon à rebondir, du moins à ne pas sombrer.
2 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON