Gilets Jaunes et justice : des avocats s’inquiètent
Gilets Jaunes et justice : des avocats s’inquiètent
Les samedis « gilets jaunes » se terminent invariablement par des gardes à vue.
Voyons directement où il faut ce que signifie la garde à vue :
La garde à vue est une mesure de privation de liberté prise à l'encontre d'un suspect lors d'une enquête judiciaire. Elle permet aux enquêteurs d'avoir le suspect à leur disposition pour pouvoir l'interroger et vérifier la véracité de ses déclarations. La durée de la garde à vue est limitée et le suspect a des droits liés à sa situation, dont celui d'être assisté par un avocat.
Source : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F14837
La loi octroie au gardé à vue 30 minutes d’entretien avec son avocat, avant des interrogatoires auxquels la défense peut assister. Dans la pratique, l’avocat contacte la police pour demander quand sera effectuée l’audition, afin de pouvoir s’entretenir auparavant avec le prévenu et déterminer correctement la stratégie de défense.
Début janvier 2019, plus de 5 000 personnes ont fait l'objet d'un placement en garde à vue depuis le début du mouvement, donnant lieu à plus de 800 comparutions immédiates. C’est-à-dire que le gardé à vue, qui n’a souvent jamais été confronté au système judiciaire, est jugé immédiatement au terme d’une garde à vue prolongée et éprouvante. Ces procédures sont habituellement réservées aux personnes ayant des antécédents judiciaires, pour des affaires relativement évidentes et relevant d'une gravité certaine.
Il y aurait aussi des cas d’incitation à renoncer aux services d’un avocat de la part de la police, sous le prétexte fallacieux que sa présence allongerait la durée de garde à vue.
Le système a mis en place un système « spécial gilets jaunes ». On découvre donc qu’il serait possible de se voir infliger des peines de prison ferme, des mandats de dépôts même quand on fait appel et présente un casier judiciaire vierge au motif de « rassemblement en vue de commettre des violences », et ce sur foi d’un simple procès-verbal de la police. On comprend donc que ce serait une supposée intention de nuire qui est ici sanctionnée, sachant que contrairement aux forces de l’ordre, les manifestants ne viennent pas armés. Leur maigres moyens de défense, tels que sérum physiologique, lunettes, masques leur sont même arrachés autant que possible en début d’événement, à l’occasion de fouilles au corps.
Autre motif de comparution immédiate : le simple fait de refuser d’enlever son gilet jaune.
Il existe des poursuites pour des motifs saugrenus tels que « Occupation illicite du domaine public » alors que les personnes poursuivies n'avaient fait que stationner quelques minutes aux alentours d'un rond-point.
Certains encore ne sont pas tenus informés des suites judiciaires décidées par le seul parquet : soit de remise en liberté, soit de leur présentation devant un procureur de la République alors que l'avocat doit être averti de celles-ci.
Dans une tribune publiée le samedi 2 février sur franceinfo, 59 avocats ont mis en garde contre les dérives qu'ils ont pu constater dans le traitement des dossiers de garde à vue.
Le 22 novembre 2018, une circulaire a été envoyée par le ministre de la justice aux procureurs de la république, lesquels sont chargés de mettre en œuvre la politique pénale de l’Etat, ordonnant une extrême sévérité envers les gilets jaunes. Force est de constater que la consigne a été suivie à la lettre.
C’est un fait, l’exécutif vient freiner les magistrats, notamment les Présidents de Grande Instance.
La Loi Anti-Casseur
Le tout précédant, et sans compter la proposition de loi « dite anticasseurs ». Suite à plus d’une centaine, d’amendements, l’Assemblée Nationale à décider de décaler le vote pour arriver en deuxième lecture au Sénat le 12 mars.
Le gouvernement souhaite en effet maintenir la possibilité de fouiller les personnes souhaitant participer à une manifestation dans un périmètre défini, pour officiellement en interdire l’accès aux casseurs. Les Préfets pourront ainsi interdire de manifestation les individus soupçonnés de pouvoir éventuellement commettre des violences. Ces mêmes personnes pourront être fichées au FPR (Fichier des Personnes Recherchées), il sera interdit de se dissimuler le visage (et donc de tenter de se protéger des gaz lacrymogènes ou des tirs de flash-ball).
L’Etat aura enfin tout loisir de poursuivre un individu pour réparation au Civil sans qu’il soit nécessairement condamné pénalement.
Le Ministre de l’Intérieur précise que c’est une loi visant à « protéger les manifestants, les commerçants ( ?) et les policiers ».
On se demande si ce n’est pas plutôt un projet – venu de Bruxelles – visant à priver les citoyens du droit de manifester, cela assorti à des mesures de plus en plus répressives et liberticides, dont la présomption de culpabilité fait sans nul doute partie.
Notons que si la Loi passe, il demeurera toujours la possibilité de la Question Prioritaire de Constitutionalité, permettant au prévenu d’invoquer devant le juge un examen de la loi par le Conseil Constitutionnel car elle viole les libertés fondamentales constitutionnelles dans lesquelles on trouve le droit de manifester. La liberté de manifester est en effet une liberté publique, fondamentale et garantie par la Constitution.
Deux ans après mai 68, une première loi anti-casseurs encadrant le droit de manifester avait été votée pour être abrogée par la gauche en 1981.
L’appel des avocats de Rouen
Sandra Molinero, Présidente SAF (syndicat des avocats de France) de Rouen lance un message d’alerte. Au départ, il s’agissait d’un mail privé, mais il a été relayé par la Legal team Rouen sur Facebook. Depuis, il est devenu viral. Je le reproduis tel quel :
"Bonjour à tous,
Je souhaite attirer votre attention sur une difficulté que nous rencontrons, nous avocats, pour défendre les personnes en garde à vue et notamment les gilets jaunes : les services de police nous baladent au téléphone et ne font pas d'audition tout de suite alors que l'avocat est à disposition, nous finissons ensuite par avoir un appel des services de police nous disant que le gardé à vue a changé d'avis et qu'il ne veut plus d'avocat.
Il faut que vous puissiez faire passer le mot : même si les policiers disent aux gilets jaunes ou autres manifestants que si la garde à vue dure aussi longtemps c'est parce que l'avocat tarde à venir, il faut ne faut en aucun cas qu'ils ne renoncent à la présence de l'avocat car c'est un mensonge et un stratagème de la part des policiers !!!
Si c'est long c'est uniquement à cause des policiers, l'avocat de permanence a 2H00 pour arriver et nous respectons toujours ce délai...
Merci donc de diffuser l'info car je ne sais pas comment le faire autrement...
Bon courage !"
Sandra MOLINERO
Présidente SAF de Rouen »
La défense des victimes de violences policières, notamment par LBD
Il y a la défense des gilets jaunes concernés par des mesures administratives et judiciaires plus ou moins arbitraires, mais il faut aussi traiter les plaintes des victimes de violences policières.
Dernièrement, la grave blessure à l’œil d’une figure du mouvement Jérôme Rodrigues, suite à un tir de flash-ball lors de l’acte XI à Paris, a suscité l’indignation et remet plus que jamais en question l’utilisation d’armes supposées maintenir les manifestants virulents à distance car elles tendent plutôt à devenir des outils de mutilation massive.
Lors d’une audience au Conseil d’État, une représentante du ministère de l’Intérieur a dévoilé des statistiques sur l’emploi du LBD depuis le début du mouvement des Gilets jaunes : 9.228 tirs ont été comptabilisés, ce qui a entraîné l'ouverture de 111 enquêtes.
Le 30 janvier, le Conseil d’État a rejeté les demandes pour qu’il ne soit plus fait usage de lanceurs de balle de défense (LBD) lors des manifestations de gilets jaunes.
Plusieurs plaintes concernant l’usage de ce type d’arme ont été déposées concernant ces armes.
Le ministre de l’Intérieur s’est exprimé la veille sur BFMTV, mardi 29 janvier : Si on retire ces armes à ces policiers, ils leur reste le corps-à-corps quand ils sont agressés ou leur arme de service. Je ne souhaite pas qu’ils utilisent leur arme de service et je souhaite éviter le corps-à-corps.
Oui, fort bien, Monsieur Castaner, seulement, là où le bât blesse – et le LBD – c’est que ce type d’arme est justement destiné à libérer ses projectiles…à distance. Pour occasionner certaines blessures graves, dont la perte irrémédiable d’un œil, il faut pour cela que son usager s’en serve à une distance non réglementaire, donc très près du visage. Lorsque vous dites que chacun des tirs fait l’objet d’un rapport, on vous croit sur parole… mais qui établit le rapport ? Celui qui a tiré ? Son collègue ?
Le journaliste et réalisateur David Dufresne a relevé 353 cas de violences, blessures et mutilations depuis le début du mouvement. Au 28 janvier, le bilan provisoire serait ainsi de 159 blessures à la tête, 18 personnes éborgnées et quatre mains arrachées. Si les manifestants constituent grande majorité de blessés et mutilés, des lycéens et des passants rentrent aussi en ligne du compte.
Notons qu’un collectif a été spécialement créé pour défendre les Gilets Jaunes, notamment les victimes d’exactions policières sur Facebook Robes Noires et Gilets Jaunes
Alex Zeletzki v.P.
03 02 2019
Pour aller plus loin…
Lire :
Francevinfo Une soixantaine d'avocats dénoncent les "dérives" dans le traitement judiciaire des "gilets jaunes"
leschos.fr : Le vote de la loi anti-casseurs prendra plus de temps que prévu…
Chronologie des lois liberticides en Françe . cette page recense les dérives liberticides en suivant plusieurs axes, très centrée sur la France elle montre aussi comment ça peut se passer ailleurs dans le monde et notamment ce qu'on nomme les "grandes démocraties occidentales).
Le média belge Le Vif : Les blessés, éborgnés, "gueules cassées" au cours des manifestations, seront au cœur de la prochaine mobilisation des gilets jaunes, article du 31 01 2019
Europe 1 un article complet à propos du LBD (18 janvier 2019)
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