Giulia : le nationalisme mal placé de Marine Le Pen
Au lieu de se mêler de ce qui ne la regarde pas, elle ferait mieux de ne pas s’entremêler avec les prénoms…
Le mercredi 19 octobre 2011 en début de soirée à Paris 16e naissait Giulia Bruni-Sarkozy, la fille du couple présidentiel. Comme lors de chaque naissance, j’imagine le sentiment de joie des parents. Il est assez amusant de constater que certains pensent que cette petite fille ne serait que l’instrument d’une obscure stratégie présidentielle pour reconquérir des électeurs.
S’il y a bien un domaine où il est difficile de prévoir un agenda, c’est celui d’une grossesse et d’une naissance, et puis, croire que c’est une manœuvre, c’est ne jamais avoir cru à la singularité humaine qui veut qu’une nouvelle conscience, qu’un nouvel être arrive au monde à sa naissance et que cet événement est bien plus important, bien plus essentiel, pour ses parents du moins, que des considérations politiciennes.
Considérations politiciennes, ai-je dit ?
Alors que les parents essaient de tout faire pour laisser à cet événement son caractère privé (à la grande surprise, et déception, des médias), certaines personnalités n’ont quand même pas su résister à la tentation du commentaire sur l’heureuse naissance.
Ainsi, invitée de "Face à l’actu" le 23 octobre 2011 sur M6, Marine Le Pen y est allée de son grain de sel. Si elle n’a pas oublié la joie probablement sincère d’un tel événement : « Je me réjouis pour eux. », elle n’a toutefois pas pu s’empêcher d’y instiller ses sentiments peu xénophiles : « En revanche, j’aurais préféré que cette petite fille porte un prénom français plutôt qu’un prénom italien. Je pense que quand on est Président de la République française, il m’apparaît comme un signal fort de donner à son enfant un prénom français. ».
Ah ! Nous revoici avec l’histoire des prénoms. Le choix des prénoms, exercice tellement périlleux où les parents doivent imaginer le bien de leur enfant dans les quatre-vingt-dix années à venir tout en ne mécontentant ni grand-père ni arrière-grand-mère…
La "préférence" publique de la présidente du FN est évidemment hors de pertinence.
Domaine strictement privé
D’une part, le choix d’un prénom est une chose personnelle, spécifique, arbitraire mais, avant tout, intime aux raisons multiples, familiales, géographiques, artistiques etc. qui reprennent une histoire personnelle et souvent très sensible. S’ils ne vous ont pas demandé de conseil, essayez de critiquer le choix d’un prénom même auprès de très proches amis et regardez les effets psychologiques ravageurs. Le moindre respect des personnes, c’est au moins de respecter ce choix très particulier qui touche à l’identité même des personnes.
D’ailleurs, ce respect que Marine Le Pen semble oublier, elle n’a pas hésité à l’opposer (avec raison) face aux journaux qui voulaient exposer ses trois enfants au public. En effet, le 6 janvier 2011, Marine Le Pen avait déposé plainte contre le journal "VSD" pour la publication du 23 décembre 2010 de l’article "Les secrets d’une fille à papa". Son avocat Wallerand de Saint-Just avait ainsi expliqué qu’elle avait, entre autres, lancé une assignation au civil devant le tribunal de grande instance de Paris pour atteinte à la vie privée car l’hebdomadaire avait publié le prénom de ses trois enfants mineurs. Cela ne l’a donc pas découragée neuf mois plus tard de disserter sur le prénom d’un bébé (mineur donc) de tiers sans que cela ne la gêne particulièrement.
Nationalisme étriqué
D’autre part, croire qu’il est incompatible d’aimer la France et d’aimer un autre pays, c’est faire preuve d’un esprit très limité. Il paraît au contraire normal que Carla Bruni ne renie pas ses origines italiennes. Marine Le Pen trouverait-elle normale qu’une femme française mariée à un Italien et vivant en Italie rejette ses origines françaises ? Les renie même ?
L’évolution du choix des prénoms a montré d’ailleurs depuis plusieurs décennies que tout se mélange. Nombre de prénoms d’origine étrangère, souvent en raison des séries télévisées qui y sont associées ou de célébrités, comme Anthony, Grégory, Kévin, Enzo etc., sont maintenant complètement français.
Par ailleurs, la mode pour les filles depuis une bonne décennie est aux prénoms qui se terminent par -a (comme Emma, Léa , Lola, Carla, Eva etc.) et généralement, il est rare que ces prénoms soient d’origine française (car ils se terminent plus volontiers en -ie, en -ine ou en -ette).
Même le prénom de Marine Le Pen est d’origine latine (donc italienne !) et les trois saintes catholiques qui y sont associées sont loin d’avoir été françaises : sainte Marine d’Antioche (morte vers 305, à une époque où la France n’existait pas) vivait dans la Turquie actuelle ; sainte Marine de Bithynie (morte selon la légende en 750, à une époque où la France commençait lentement à s’esquisser) vivait elle aussi dans la Turquie actuelle ; enfin, sainte Marine de Nagasaki (morte en 1634) vivait, elle, au Japon. Bref, pour ces trois saintes, des lieux bien plus éloignés de la France que la proche Italie. Est-ce pour autant que ses parents (son père en particulier) seraient de mauvais Français ?
Mais ce n’étaient pas de ses parents, ce prénom ; prenons même le vrai prénom de Marine Le Pen, Marion, qui est d’origine hébraïque. Serait-ce qu’elle fasse partie d’une famille anti-France ?
Coup donc en dessous de la ceinture qui n’est pas nouveau puisqu’une même polémique avait déjà eu lieu il y a plus de deux ans lors de la naissance de la petite fille de Rachida Dati.
Y a-t-il vraiment un lien entre prénom et nationalité ?
Alors que les règles sont de plus en plus assouplies sur ce sujet finalement très privé, Marine Le Pen avait déjà proposé à l’AFP le 30 juin 2011 que les prénoms des enfants nés sur le territoire français soient issus du seul calendrier grégorien : « Le fait de donner un prénom français à ses enfants quand on a obtenu la nationalité française ou quand on est d’origine étrangère a été un des éléments qui a extrêmement bien fonctionné dans l’histoire de France pour que l’assimilation se fasse très rapidement. Cela a été le cas pour les Italiens, les Portugais, les Espagnols, les Polonais. Ils donnaient un prénom français à leurs enfants. (…) C’est un moyen d’assimilation très très efficace, très très performant. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Sous prétexte de conserver ou de montrer le lien avec la nationalité d’origine ou la culture d’origine, on donne aux enfants français des noms à consonance étrangère. Je pense que ça leur rend la vie probablement plus compliquée, cela freine l’assimilation nécessaire, ça la retarde. ».
Sauf que ce sont parfois justement des parents sans aucune origine étrangère qui choisissent des prénoms d’origine étrangère, pour la simple musicalité du mot, pour faire original ou au contraire, par conformisme, par passion quelconque ou pour tout autre raison qui n’ont rien à voir avec une idée bien limitée du nationalisme !
Toute l’évolution des mœurs et des coutumes montre la totale absurdité d’un nationalisme étriqué basé sur l’amour exclusif d’un seul pays à l’heure de la mondialisation des échanges, de la libre circulation des personnes qui apportent la liberté planétaire à tous les citoyens (enfin, ceux issus des démocraties). Cela conduit naturellement à des rencontres interculturelles, forcément à des mélanges de nationalités, à une plus grande mixité et diversité, et, pour finir, à un enrichissement mutuel de l’espèce humaine.
Ne pas confondre les Lamy
Quelques jours auparavant, le 17 octobre 2011 sur RTL, Marine Le Pen avait pourtant fait preuve d’un peu de légèreté sur les prénoms, dans un de ses élans démagogiques.
Elle avait affirmé que Martine Aubry, redevenue première secrétaire du PS, avait eu pendant la primaire pour directeur de campagne… le directeur général de l’OMC (Organisation mondial du commerce) ! « Je vous rappelle quand même, parce que les Français ne le savent pas, que le directeur de campagne de madame Aubry, c‘était Pascal Lamy, le directeur de l’OMC, le pape de l’ultralibéralisme et du mondialisme. Alors, si Martine Aubry est vraiment très à gauche en matière économique, alors Hollande, c’est Madelin. ».
Une erreur qui montre à l’évidence la grande incompétence économique de la future candidate, ou, du moins, de ses collaborateurs, incapables de faire la différence entre Pascal Lamy, né le 8 avril 1947, membre du PS depuis 1969, collaborateur de Jacques Delors rue de Rivoli puis à Bruxelles (1981-1994), commissaire européen pour le commerce (1999-2004) et enfin, directeur général de l’OMC depuis le 1er septembre 2005, et François Lamy, né le 31 octobre 1959, membre du PS depuis 1985, député-maire de Palaiseau et bras droit de Martine Aubry depuis 2008.
Dans la mêlée…
Pourquoi se préoccupe-t-elle d’un domaine strictement privé alors qu’elle assigne en justice ceux qui font de même ?
Tant de nationalisme mal placé, tant de chauvinisme étriqué, tant d’incompétence qui susciterait une grande inquiétude sur ses capacités à gouverner si l’on la prenait au sérieux… Oui, Marine Le Pen devrait parfois se taire dans l’intérêt de la France et des Français.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (25 octobre 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La méthode sournoise de Marine Le Pen.
Marine Le Pen au 2nd tour ?
Le repli sur soi prôné par Marine Le Pen est dangereux pour la France.
Le néfaste programme du FN.
Faut-il abroger la loi de 1973
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