Hélas la réforme de la formation professionnelle
En 2004 l’Etat a une première fois réformé notre formation professionnelle en transformant en texte de Loi un Accord Interprofessionnel de septembre 2003. Mais la Loi de mai 2004 n’a pas changé la donne éducative en France (c’était pourtant son objet premier). Elle devait permettre de mieux répartir les apprentissages, elle n’est parvenue au final qu’à rendre plus lourde, complexe, inefficace et couteuse notre formation professionnelle continue (ce sont les termes de la Cour des comptes à l’automne 2008).
Après les discours volontaristes du gouvernement et du Président de la République tout au long de 2007 et de 2008, l’annonce d’une réforme d’envergure le 3 mars dernier, la force déstabilisante de la crise économique actuelle et le développement du chômage des non-qualifiés (lié en premier lieu à une inadaptation des qualifications des personnels) on pouvait s’attendre à une rupture, à un texte qui rendrait (enfin) simples, lisibles, appropriables les objectifs et les dispositifs de la formation professionnelle.
Malheureusement il semble n’en être rien et le document de travail remis cette semaine aux partenaires sociaux ne nous laisse augurer rien de révolutionnaire ou d’efficace pour parvenir à changer durablement notre formation professionnelle.
Jugeons-en d’après ce document de travail remis aux partenaires sociaux :
Le préambule :
« La formation professionnelle concourt à l’objectif de disposer et d’actualiser, pour chaque personne, un socle de connaissances et de compétences favorisant son évolution professionnelle et de progresser d’au moins un niveau de qualification dans sa vie professionnelle »
Nos commentaires :
- Le socle de connaissances et de compétences fait flores, après l’éducation des enfants, c’est au tour des adultes qui doivent disposer de ce fameux socle. Mais ce socle ne pourra se construire dans les limites étroites des branches professionnelles (et leurs bras financiers les OPCA), puisque la pratique d’une langue étrangère n’est pas une priorité dans beaucoup de branches (qui refusent à un ouvrier des formations en anglais par exemple) que les compétences de base en maths, sciences et technologie sont rarement finançables au titre du Droit à la Formation. Quant au développement des capacités comportementales dans les relations de travail, c’est la DGEFP qui refuse la plupart du temps de les considérer comme de la formation professionnelle.
- La progression d’au moins un niveau de qualification dans sa vie professionnelle. C’est un bel objectif qui fleure bon les années cinquante quand un travailleur pouvait espérer, dans son entreprise industrielle, progresser d’un niveau de qualification et devenir, à l’issue d’une vie professionnelle stable, contremaître alors qu’il était entré simple ouvrier. Mais cet objectif devient terriblement daté et déconnecté des refondations et des requalifications permanentes que doivent mettre en œuvre les travailleurs durant leur vie professionnelle contemporaine. La mobilité est de plus en plus horizontale d’une entreprise à l’autre et de moins en moins verticale, vers le sommet d’une pyramide désormais bien trop encombrée.
Mais poursuivons cette lecture critique.
« Art 6323-21 : en cas de rupture de travail non consécutive à une faute lourde (quid de la faute grave ? et pourquoi ne pourrait-on maintenir le Droit à la Formation à un travailleur qui aura de toute façon droit aux indemnités chômage ? Le salarié ayant commis une faute grave ou lourde continu de faire partie de la communauté nationale et on ne voit pas pourquoi une faute professionnelle devrait l’empêcher de se reconstruire et de mener un autre projet professionnel (ou alors il faut lui interdire toute activité professionnelle et sociale futures).
Mais continuons : ... les sommes correspondant au solde du nombre d’heures acquises au titre du droit à la formation, multipliées par le montant forfaitaire prévu ......pourront être mobilisées par les intéressés »
Si l’on comprend bien, une somme correspondant à un nombre d’heures de DIF multipliée par le montant forfaitaire prévu dans le cas de la professionnalisation pourra être mobilisée.
Il y a un peu de nouveau cette fois : tous les salariés licenciés seront certes logés à la même enseigne avec un Droit à la formation égal au (faible) montant de 9,15 euros de l’heure (montant des contrats de professionnalisation (on suppose que ce prix est arrêté pour tout le XXI ème siècle !) multiplié par le nombre d’heures DIF capitalisées soit une somme fixe de 915 euros par exemple pour 100 h de DIF. C’est un (petit) progrès mais si peu au regard des coûts de la formation professionnelle. Rappelons que la Cour des comptes estimait en février dernier que le coût moyen du DIF était de 42 euros par heure. Avec la somme de 915 euros un salarié pourra donc envisager de réaliser 25 heures de formation, soit 3,5 journées. On est loin du compte évidemment, notamment pour les personnels peu qualifiés qui devront s’engager dans des reconversions professionnelles de 100 ou 200 heures. Quant au tarif de 9,15 euros il est déconnecté des prix et des coûts pratiqués en France. Peut être « pôle emploi » devra-t-il envoyer en Roumanie ou en Inde les stagiaires se former !
Mais les choses se compliquent encore par la suite pour la mise en œuvre le DIF lors de la rupture du contrat de travail.
« En accord avec le référent chargé de leur accompagnement......... et en priorité pendant la première moitié d’indemnisation du chômage »
Le salarié perd donc la main sur son droit à la Formation durant sa période de chômage, ce n’est plus l’employeur qui donne son accord (et on pouvait le comprendre pour une personne en emploi) mais le référent du demandeur d’emploi indemnisé. Sur quels critères se basera ce référent pour donner son accord ou refuser le DIF à une personne et surtout comment déterminer par avance la période prioritaire pour se former avec une « première moitié d’indemnisation du chômage » ? Le chômeur devra-t-il consulter sa voyante qui lui apprendra que son chômage durera 14 mois et qu’il devra donc prendre son DIF au cours de ses 7 premiers mois de chômage !
Si donc la personne veut réaliser une formation au début de sa période de chômage (comme semble logiquement le souhaiter les pouvoirs publics), il faudra avec son référent qu’elle parvienne très vite à trouver une formation adéquate, un organisme de formation qui travaillera pour le prix de 9,15 euros de l’heure (et il faudra chercher longtemps) tout en sollicitant les fonds de l’ancien OPCA de branche (qui sera quant à lui très occupé pendant les deux ans qui viennent à se restructurer et à se rapprocher d’autres OPCA comme le souhaite le gouvernement).
Avec une telle configuration on peut estimer que « Pôle emploi » va devoir recruter beaucoup d’experts en ingénierie financière, pédagogique et des parcours de formation car les besoins vont être importants et les formations très complexes et lourdes à organiser et à financer.
Mais la complexité ne s’arrête pas là !
Si notre demandeur d’emploi trouve un travail et n’a pas utilisé son DIF, celui-ci devra être utilisé pendant les deux premières années chez son nouvel employeur, avec cette fois un financement assuré par le nouvel OPCA de branche (le transfert d’un OPCA à l’autre promet de sympathiques discussions et beaucoup d’aller-retour)
Il va falloir donc opérer un subtil transfert de fonds entre les OPCA en cas de nouveau travail occupé par la personne. Il faudra tout d’abord s’assurer qu’elle ne s’est pas formée durant son passage au « pôle emploi », qu’en cas de formation celle-ci a été prise en totalité ou non sur le DIF (pourquoi prendre sur son DIF si on peut avoir une formation financée par le pôle emploi ?) et puis ensuite organiser le transfert de fond entre OPCA sur la base des renseignements fournis par « pôle emploi ».
Pour couronner le tout, le DIF chez le nouvel employeur aura une durée de vie limitée à deux années, au bout de ces deux années il sera perdu chez le nouvel employeur. Il faudrait donc que l’OPCA prévienne la personne qu’elle perdra ses droits non utilisés (mais tout de même transférés) au bout de deux années. Ainsi on introduira une différence entre les salariés stables qui garderont éternellement leur compteur DIF sur 120 heures et les nouveaux venus qui devront reprendre tout à zéro en cas de non consommation durant deux années (si l’employeur refuse le DIF durant ces deux premières années on ne voit pas comment les salariés pourront éviter de perdre leurs heures de DIF).
Le plus surprenant concernant les OPCA vient de l’article L 6332-7
En effet, on nous apprend que les OPCA reconstruits pourront être agréés au titre :
- Du plan de formation des entreprises (- de 10 ou 50 salariés ou encore plus de 50)
- Des contributions au titre de la professionnalisation
- Des contributions au titre du CIF.
Si l’on comprend bien les OPCA ne géreront plus du DIF, mais ils financeraient tout de même les DIF des personnes perdant leur emploi ou retrouvant un emploi dans les deux années. Sachant que les fonds sont utilisés tous les ans on aimerait comprendre et savoir si oui ou non les OPCA continueront à organiser le DIF de tous les salariés sur le mode des priorités de banches professionnelles comme c’est le cas actuellement ou s’ils vont perdre la main au profit d’un organisme public unique de type UNEDIC.
Terminons par le futur article L- 6321-2 « Toute action de formation suivie par un salarié pour assurer son adaptation au poste de travail ou le maintien de sa capacité à occuper un emploi constitue un temps de travail effectif et donne lieu pendant sa réalisation au maintien par l’entreprise de la rémunération »
Si l’on accepte que l’adaptation au poste de travail reste du domaine du plan de formation, donc sur le temps de travail, on a du mal à comprendre pourquoi une action permettant de continuer à occuper un emploi (il s’agit donc aussi du développement des compétences) devrait elle aussi être prise sur le temps de travail. A quoi peut donc bien servir le Droit à la Formation si ce n’est pas à maintenir sa capacité à occuper un emploi ?
Avec une telle formulation les employeurs pourront estimer que le Droit à la formation ne doit s’exercer que lors d’un licenciement, en cas de plan social, certainement pas pour se reconvertir dans un autre emploi dans l’entreprise. Pourtant nous sommes le pays européen où les salariés se forment le moins sur leur temps libre. Les choses ne seront donc pas prêtes de changer et les TPE/ PME ne développeront pas la formation de leurs salariés puisque celle-ci sera toujours réalisée majoritairement sur le temps de travail (et c’était pourtant la raison principale qui rendait si difficile le départ en formation dans les petites structures).
Nous aurions pu encore aborder le cas des travailleurs précaires (CDD, saisonniers, intermittents, Intérimaires) qui une fois de plus sont oubliés et ne verront pas la couleur du DIF (personne ne souhaite payer pour les personnes les plus fragiles qui ont vocation à toujours servir de variable d’ajustement, sans sécurisation professionnelle ni aucune garantie quant à leur droit à la formation).
Arrêtons là cette lecture critique du futur projet de Loi. S’il est adopté tel quel nous lui prédisons un impact quasi-nul et cette seconde réforme de la formation risque ne sera pas à la hauteur des enjeux économiques, sociaux et professionnels actuels. Le président de la République citait l’exemple de la formation professionnelle comme un domaine où les injustices sont les plus criantes, ses paroles n’étaient-elles qu’un affichage de circonstance ou l’appareil d’Etat résiste-t-il au changement ?
Les solutions pour développer la formation des moins qualifiées ont pourtant été dressées par la commission présidée par le Sénateur J. Carle dès 2007 :
- Création d’un compte épargne formation transférable et provisionnable
- Abandon de l’obligation légale de contribution patronale au profit d’une obligation de former tous les salariés
- Gestion du DIF des salariés par un organisme collecteur unique et publique dans une logique interprofessionnelle et de sécurisation professionnelle.
Ces solutions sont peut être trop simples et faciles à mettre en oeuvre. Elles auraient évidemment le gros défaut de sortir notre pays de sa torpeur éducative et de remettre en cause certaines positions économiques acquises. Si l’Etat ne rectifie pas rapidement le tir avec un texte prenant en compte les enjeux du XXI ème siècle nous n’imaginons guère que la formation professionnelle continue ne sorte de ses schémas dépassés et puissent permettre à tous de s’adapter aux conditions du travail contemporain..
D Cozin
Auteur des ouvrages Histoire de DIF et Reflex DIF publiés aux éditions Arnaud Franel.
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