Hollande, Le Pen, Mélenchon, Sarkozy… Quelle démocratie ?
Le bon, la belle, la brute, et le truand... Ces quatre-là sont les parrains de la mafia politique en France : le doigt pointé vers le haut, nos quatre chefs de meute prennent le peuple à témoin pour rallier à leur cause le plus grand nombre de fidèles et les exhorter à servir leur cause dans leur guerre des gangs. Ils sont tous les quatre ardents défenseurs de la démocratie représentative, système de gouvernance oligarchique idéal pour réussir une carrière politique.
En contrepoint du titre annoncé, ce billet fait un bras d’honneur à la Ve République. Les Français sont exaspérés par la guerre fratricide des partis, destructive de la démocratie représentative.
Va-t-on enfin pouvoir passer à la démocratie participative ? L’idée n’est pas nouvelle. Elle ressurgit depuis ces dernières années à cause de la gangstérisassions croissante observée chez les professionnels de la politique.
Démocratie représentative ou participative, quelles différences ?
Dans la Ve République, c’est le règne de l’élection et du vote qui désigne les représentants du peuple. D’où son appellation démocratie représentative. Or, la démocratie est avant tout une activité civique qui concerne tous les citoyens. Cette activité civique ne peut plus se réduire aujourd’hui à se rendre aux urnes, puis attendre passivement la fin du mandat donné à l’élu pour voter à nouveau. Les citoyens aspirent de plus en plus à participer activement aux décisions qui les concernent.
On observe de plus en plus dans les sociétés contemporaines, des formes de contrôles, de surveillance, sorte de contre pouvoir pour tenter de limiter les dérives ou la corruption des élus. On leur demande de s’expliquer et rendre des comptes. Les élus évoluent sous le regard de l’opinion et des institutions chargées de contrôler leurs actes. La participation active aux décisions qui les concernent est une aspiration grandissante chez les citoyens, notamment les jeunes diplômés de plus en plus nombreux.
Pierre Rosanvallon, historien et théoricien de la démocratie au Collège de France et à Paris-8, dit que « La démocratie n’est pas un régime qui serait défini une fois pour toutes ; c’est une expérience permanente. Elle consiste à essayer de donner le pouvoir au peuple. Il y a beaucoup d’expérimentation pour savoir comment le faire ». L’un de ses concepts clefs est celui de l’indétermination démocratique. En effet, la démocratie se définissant comme « le pouvoir du peuple », l’histoire des civilisations montre l’évolution permanente des peuples, liée à cette indétermination qui pousse au changement (de direction).
Pierre Rosanvallon insiste par ailleurs sur la nature polymorphe du peuple : « Le peuple n’existe jamais représenté dans la rue. On connait le peuple électeur (arithmétique), le peuple des manifestations, ou celui qui s’exprime lors d’évènements particuliers, le peuple opinions, le peuple principe, c’est-à-dire celui qui se définit par les grandes valeurs organisatrices de la vie sociale. Ces différents peuples coexistent ensemble, et d’une certaine façon il faut les représenter tous. » C’est là encore une source d’indétermination de la démocratie, car son sujet – le peuple – est insaisissable dans sa globalité. Il ajoute : « Il faut trouver un moyen de définir le peuple, qui ne peut pas être résumé par la seule élection de ses représentants. Il n’y a pas de réalisation simple de la démocratie. »
Venons-en à une définition concrète :
La démocratie participative se fonde sur le renforcement de la participation des citoyens à la prise de décision politique. L'élaboration des décisions procède d’une délibération entre des citoyens lambda, en nombre suffisant pour refléter la polymorphie idéologique du peuple. Des modèles de fonctionnement participatif (appelé parfois délibératif) ont déjà été instaurés sur le terrain de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme, et dans les champs de l'environnement (à visée consultative, mais non exécutive).
La démocratie participative permet de pallier le paradoxe du gouvernement représentatif :
Le politologue Bernard Manin souligne le paradoxe du gouvernement représentatif : « alors qu'il fut conçu en opposition avec la démocratie, le rapport entre les représentants et les représentés est maintenant perçu – à tort – comme démocratique ». L'Histoire est jalonnée d'expériences participatives : Athènes, Florence, Venise, Nouvelle-Angleterre... Elles ont eu peu d'échos dans la pensée politique contemporaine, car l’idéal des révolutionnaires (pendant la Révolution française notamment) n’était pas l'autogouvernement du peuple, mais l'aristocratie élective. Au nom du gouvernement des élites, les démarches politiques participatives (telles que le tirage au sort) vont être écartées au profit d'une démocratie représentative dont l'horizon s'est progressivement élargi au suffrage universel.
La dualité de la démocratie représentative est donc liée à son histoire :
· Démocratique, parce que chaque citoyen peut donner son suffrage (dans les limites du vote).
· Aristocratique, parce que l'élection sélectionne nécessairement les élites.
Loin de s'opposer aux fondements de la représentation, la démocratie participative peut parfaitement s’instaurer comme une forme complémentaire – mais indispensable – de partage des décisions, conservant une place à l'élu. En contrepartie, à l’opposé du système consultatif actuel, aucune décision ne peut se prendre sans la participation active et réelle des citoyens désignés par tirage au sort.
La principale résistance invoquée est la mise en doute de la compétence des citoyens tirés au sort.
N'importe quel citoyen peut avoir une place centrale dans le processus démocratique participatif. Cette nouvelle forme de partage du pouvoir décisionnaire implique la reconnaissance d'une compétence citoyenne légitime. C'est l'établissement d'une désignation fondée ni sur la naissance, ni sur l'argent, ni sur le supposé savoir. J’ai souligné « supposé », car il n’existe en effet aucun contrôle sur le savoir des candidats. Aucune formation exigée, aucun examen ni concours, aucune sélection autre que par les aptitudes à la communication et le charisme personnel du candidat. Ainsi, un chirurgien esthétique sera nommé ministre des Finances, un médecin sera élu maire de Toulouse, un prof d’allemand maire de Nantes, puis premier ministre. Parmi les élus, on trouve des ingénieurs, des instituteurs, des agriculteurs, des informaticiens, des rentiers, fonctionnaires, etc. Deux liens pour en savoir plus sur l’origine sociale des élus : élus locaux et députés.
Le sociologue et politologue Yves Sintomer définit plusieurs types de savoirs. Entre autres, le savoir d'usage, qui éclaire le savoir technique des experts. « C'est la personne qui porte la chaussure qui sait le mieux si elle fait mal et où elle fait mal, même si le cordonnier est l'expert qui est le meilleur juge pour savoir comment y remédier. [...] Une classe d'experts est inévitablement si éloignée de l'intérêt commun qu'elle devient nécessairement une classe avec des intérêts particuliers et un savoir privé – ce qui, sur des matières qui concernent la société, revient à un non-savoir – » (John Dewey, 1927).
Lors des jurys d'assises, c'est une autre forme de savoir qui est reconnue au citoyen : le bon sens, la capacité de bien juger, sans passion, en présence de problèmes qu’aucun raisonnement scientifique ne saurait résoudre. Ce bon sens doit être distingué du sens commun. Il correspond à la formation d'une opinion éclairée, sur la base d'une information suffisante, lors d'une délibération de qualité. En politique, c’est ce savoir qui fonde la notion même de démocratie : la reconnaissance pour tous les citoyens d'une égale dignité de principe.
Existe-t-il des modèles participatifs susceptibles d’être applicables dans notre démocratie ?
Depuis les années 1970 à travers le monde des modèles participatifs ont vu le jour :
· En 1971, le tirage au sort est réintroduit simultanément en Allemagne et aux États-Unis, avec l'organisation de jurys citoyens.
· En 1989, la ville de Porto Alegre (Brésil) élabore une expérience exemplaire de budget participatif.
· À la fin des années 1980, les pays scandinaves mettent au point les premières conférences de consensus...
· Des expériences sont également utilisées au Canada.
· En France, sauf exception dans le domaine la culture (Agenda 21), il ne s’est pas instauré de processus participatifs exécutifs. Ils sont restés au stade de la consultation (loi de 1976 sur l'aménagement du territoire, loi Bouchardeau de 1983), ou au mieux de la concertation et du débat public (loi Barnier de 1995 instituant la Commission nationale du débat public et loi Vaillant de 2002 sur la démocratie de proximité, Grenelle de l'environnement en 2007).
Prêt pour une VIe république ?
Pourquoi pas ? Mais l’étape intermédiaire idéale, à l’occasion du prochain renouvellement des mandats municipaux, pourrait être la désignation des maires et des conseillers municipaux sur le modèle participatif. Autrement dit, par tirage au sort des citoyens sur les listes électorales. Bien entendu, seuls les volontaires exerceront les fonctions publiques. Par exemple, dans une commune où l’équipe municipale comporte 20 conseillers, un premier tirage au sort dégage une liste de 200 personnes parmi lesquelles, pour les besoins de l’exemple, on dira que 50 se portent volontaires. Un deuxième tirage au sort désigne parmi ces 50 les 20 citoyens qui constitueront l’équipe municipale.
Pour en savoir plus sur la démocratie participative, il existe des centaines d’ouvrages publiés (en français), dont une cinquantaine référencé sous ce lien
Documentation sur le web :
Pierre Rosanvallon (Wikipédia) :
Théorie générale de la démocratie (1)
Théorie générale de la démocratie (2)
La démocratie participative (avec Yves Sintomer)
Le projet d’Étienne Chouard :
Discussions pour une constitution
Présentation du projet par Étienne Chouard
Autres ressources :
Démocratie participative (Wikipédia)
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