Interview exclusive de Louis Schweitzer, président de la Halde
Louis Schweitzer, président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, a accordé à notre think-tank politique « Place de la Gauche » une interview exclusive, publiée aujourd’hui sur notre site web www.placedelagauche.org
Enquêtes à l’appui, il nous annonce que l’égalité des chances n’est pas réelle en France et déplore l’existence d’un niveau important de discriminations, notamment dans l’accès au travail, et l’existence des grands corps qui freinent la diversité. Il décline ses priorités d’actions : emploi, logement et éducation. Il explique en quoi la Halde n’est pas défavorable aux quotas à l’immigration, et pourquoi l’écart entre les droits des étrangers et les droits des citoyens est souvent trop important.
Louis Schweitzer, président de la Halde, a accordé à Place de la Gauche une interview exclusive. Découvrez pourquoi l’égalité des chances n’est pas réelle en France, l’accord pour la politique des quotas, les inégalités subies par les étrangers.
Questions à Louis Schweitzer, président de la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité).
Quel état des lieux des discriminations en France dressez-vous en ce début d’année 2008, en comparaison notamment de la situation que peuvent connaître nos partenaires européens ?
Louis Schweitzer : Il n’y a pas d’instruments de mesure unique des discriminations et il n’y a pas non plus de classements par type de discriminations (sexe, santé, handicap). Par rapport aux partenaires européens, on peut néanmoins dresser de grandes tendances. Par exemple, la France est en retard par rapport aux pays anglo-saxons sur les discriminations liées à l’âge, mais elle est nettement en avance dans le combat pour l’égalité des sexes. La situation française en Europe est intermédiaire dans l’égalité d’accès à l’emploi et légèrement mieux concernant l’intégration sociale.
Ce que nous pouvons constater dans l’ensemble en France, c’est l’émergence d’une réelle prise de conscience des acteurs (employeurs, administrations, individus) sur ces questions et des actions bien engagées sur l’égalité homme femme ou sur le handicap. La Halde a deux modes d’actions pour lutter contre les discriminations : le traitement des réclamations, d’une part, et les actions de promotions de l’égalité, d’autre part, ces dernières n’étant pas le monopole de la Halde. Nous nous sommes fixés trois grandes priorités dans nos actions : l’emploi, le logement et l’éducation. Dans l’emploi, par exemple, un des objectifs est la diffusion de bonnes pratiques auprès des employeurs du secteur public ou privé, ainsi que la signature de conventions garantissant certains engagements. Nous avons signé une convention avec les intermédiaires de l’emploi (ANPE, agences privées) leur demandant de s’engager à ne pas accepter de demandes discriminatoires de la part des entreprises en recherche de salariés. Les organisations professionnelles doivent aussi faire le ménage chez elles. Enfin, nous avons signé une convention avec la Police nationale afin de mieux l’ouvrir à la diversité et pas seulement formellement.
Quelles sont les actions de la Halde pour lutter contre les inégalités à la source ? Le cas des grandes écoles notamment témoigne des difficultés d’accès pour celles et ceux qui ne disposent pas du bon capital social ou culturel.
LS : En effet, pour certains parcours scolaires, il y a encore trop de sélection sociale et pas seulement au mérite.
D’abord pour beaucoup d’élèves, l’orientation est un enjeu majeur. En situation défavorisée, l’accès à l’information est plus difficile et les élèves ont tendance à être orientés vers des formations très courtes, alors qu’ils auraient souvent la capacité de poursuivre leurs études. Le premier objectif doit donc être d’élever l’ambition pour tous. C’est, par exemple, un des objectifs des conventions signées par Sciences Po Paris avec un certain nombre d’établissements en ZEP. Ensuite, en supposant que cette ambition existe, nous devons assurer les mêmes conditions d’accès aux différentes écoles et universités. L’égalité des chances n’est pas réelle en France, l’absence de diversité constatée le prouve. Dans la Police nationale, par exemple, un coaching, sous forme de préparations intensives aux concours dans des internats, est proposé à celles et ceux qui en ont le plus besoin. Ce coaching gagnerait à être étendu à d’autres préparations. Enfin, certaines épreuves des concours d’accès aux grandes écoles introduisent des biais de sélection sociale et devraient être modifiées, comme l’épreuve de culture générale, par exemple. Ce qui est spécifique est aussi le fait que toute la carrière soit surdéterminée par la formation scolaire : en France, on vous demande encore à l’âge de 50 ans de quelle école vous êtes diplômé, en Angleterre, on vous demande quelle est votre dernière réussite professionnelle...
La Halde a une réelle capacité d’influence morale à travers le discours qu’elle porte. Cela fait partie de son rôle de concrétiser ces objectifs. La Halde le fait en ce moment même puisque je participe à la rédaction d’un livre blanc sur la fonction publique en faisant la promotion de ces bonnes pratiques.
Depuis sa création, plus de 11 000 réclamations ont été déposées (dont 6 200 en 2007, en forte hausse par rapport à l’année précédente), 50 % portant sur les discriminations à l’emploi. La Halde fait-elle de la discrimination positive dans ses actions ? A l’avenir, quelle est la discrimination qui vous semble susceptible de poser le plus problème ?
LS : Nous observons une montée en régime du nombre de réclamations, mais la Halde traite absolument toutes les réclamations et ne fait pas de discriminations dans ce traitement, même si certaines réclamations ne débouchent pas sur une décision de sa part. Nous n’avons pas, dans le traitement des réclamations, de critères privilégiés, mais, en revanche, nous nous sommes fixés trois objectifs dans nos actions de promotions de l’égalité : l’emploi, le logement, l’éducation. Dès qu’une réclamation est traitée, nous recherchons si nous pouvons en tirer une jurisprudence, voire à faire du cas étudié un exemple. L’exemplarité permet en effet la publicité et la prévention de la discrimination constatée. Le rôle de la Halde est de faire en sorte que l’égalité soit réelle et, à travers le traitement des réclamations, nous réalisons que certaines situations qui pouvaient sembler créer les conditions de l’égalité, ne le font qu’en partie. Par exemple, pour le passage de certains examens ou concours scolaires, nous pourrions avoir des épreuves d’une durée plus longue pour les personnes atteintes d’un handicap.
La commission pour « la libération de la croissance française », présidée par Jacques Attali, recommande la relance de l’immigration. Approuvez-vous cette proposition, vous qui avez dénoncé le caractère discriminatoire de certaines dispositions de la loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, du 20 novembre dernier (Tests ADN, statistiques ethniques, conditions de ressources exigées pour les handicapés, cf. communiqué de presse de la Halde du 15 janvier 2008) ?
LS : La Halde n’a pas à prendre position sur ces propositions de la commission Attali. Ce que je peux vous dire, c’est que les politiques publiques doivent respecter l’égalité et les critères de choix respecter la non-discrimination. Il peut, par exemple, y avoir des quotas sur la base de la formation, de l’expérience ou autres compétences scientifiques, mais pas sur une base ethnique ou de couleur de peau. Les étrangers résidant en France ont des droits qui ne sont pas les mêmes que les nationaux, mais il ne faut pas que les écarts soient supérieurs à ce que les conventions internationales autorisent et deviennent excessifs. La Halde traite aussi les réclamations de personnes en situation irrégulière sur le territoire ayant subi une discrimination. Elle prend en compte les demandes d’enfants de personnes en situation irrégulière. Il n’est pas besoin d’être Français pour saisir la Halde.
Pensez-vous qu’il y ait un risque de communautarisation en France ? Une relance de l’immigration ne risquerait-elle pas de l’accentuer ?
LS : Dans les réclamations traitées par la Halde, nous ne voyons pas de tendance à la communautarisation. Par ailleurs, une étude récente du Pew Research Center (juillet 2006) comparant l’intégration et le communautarisme a montré que la France est le pays d’Europe où il y a le moins de communautarisme (46 % des musulmans en France se déclaraient plus musulmans que français, contre 81 % au Royaume-Uni, 69 % en Espagne et 66 % en Allemagne. 14 % des catholiques en France se déclaraient plus catholiques que français, contre 24 % au Royaume-Uni, 14 % en Espagne, 33 % en Allemagne et 42 % aux Etats-Unis, d’après le PRC. Il n’y a pas eu non plus de revendications ethniques ou religieuses pendant la crise des banlieues de l’automne 2005 d’après le Pew, ndlr). Il y aura un risque de communautarisation s’il n’y a pas d’égalité, car la tendance naturelle des personnes qui se sentent exclues est à se regrouper, soit de manière subie, soit volontairement. La seule manière de lutter efficacement contre la communautarisation est d’ouvrir toutes les portes, de tisser des liens entre les individus.
Vous aviez annoncé votre volonté de poursuivre l’expérience des tests de discriminations à l’embauche en 2007 (après le testing auprès de BNP, LVMH, Sodexho). Une étude du Centre d’analyses stratégiques disponible sur votre site montre l’ampleur des discriminations à l’embauche dont font l’objet les jeunes en banlieue d’Île-de-France. Quelles sont les résultats de votre campagne de tests ?
LS : Nous avons effectivement mené des tests sur cette problématique. Les résultats seront connus dans le courant de l’année 2008, mais des études avec l’OIT montrent que les discriminations à l’embauche sont très importantes en France : les chances d’obtenir un entretien d’embauche varient dans des proportions allant de 1 à 3 en moyenne, suivant son origine ou la consonance de son nom. L’écart est plus grand encore dans les petites entreprises ou dans certains secteurs, les très grandes entreprises ayant pris conscience du problème en faisant preuve de bonne volonté et ne voulant pas non plus pour des raisons commerciales évidentes être montrées du doigt.
Comment allez-vous coordonner votre action avec celle de l’Acsé (Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, créée par la loi pour l’égalité des chances du 31 mars 2006 en réponse à la crise des banlieues de l’automne 2005) ?
LS : Il n’y a pas de risque d’illisibilité de nos actions et de celles de l’Acsé, nous sommes complémentaires. L’Acsé, contrairement à la Halde, ne traite pas les réclamations, mais attribue des subventions. Elle ne traite pas non plus tous les critères de discriminations (comme l’âge ou le sexe), son champ d’action est différent. La Halde a aussi un rôle important d’autorité morale et de prescripteur qui la différencie de l’Acsé. Mais nous avons aussi des missions communes, comme notre travail effectué en 2007 pour « l’année européenne de l’égalité des chances pour tous ».
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