Je suis AVEC Charlie
Je participe de tout cœur à l’union sacrée contre les barbares qui flinguent des journalistes, des flics et des Juifs. Mais je n’adhère pas à la pensée unique consistant à reprendre de manière quasi obligatoire le slogan « Je suis Charlie ». Voici pourquoi.

Les djihadistes minables (et non pas « lâches » ; encore un mot-réflexe contre-productif) qui ont semé la terreur et la mort dans notre pays ont réussi à faire la quasi unanimité contre eux. Je m’en réjouis, et j’espère que notre pays va enfin saisir l’occasion de sortir de sa torpeur et de sa médiocrité, et qu’il va redéfinir les valeurs sur lesquelles il voudra construire ce vivre-ensemble qui nous fait tant défaut.
Ich bin ein Berliner ?
Pour autant, sommes-nous sommés d’« être Charlie », nous qui, pour l’immense majorité, n’y étions pas abonnés ; nous qui, très souvent, étions outrés par ces dessins où des ecclésiastiques enculent ou se font enculer, sans que ça fasse le moins du monde avancer le débat ; nous qui, même si nous ne sommes ni cathos, ni musulmans (comme Pale Rider ; voir ma fiche), étions choqués de voir les croyants insultés de manière stérile par des caricatures offensantes ? Certes, tous les dessins n’étaient pas inutiles, et le « C’est dur d’être aimé par des cons » de Cabu était, en fait, un hommage au prophète. Il faudrait que les musulmans aient un peu d’humour (y a-t-il des blagues musulmanes comme il y a des blagues juives, faites par les Juifs ?), ce qui leur éviterait de foncer tête baissée sans s’apercevoir que « les cons », ce ne sont pas les musulmans, mais les extrémistes musulmans.
Le droit au blasphème, d’accord (d’ailleurs, le blasphème n’atteint que l’autre, c’est-à-dire le croyant dont la religion est visée). Il n’est pas question qu’une religion interdise, en régime de laïcité, qu’on critique le prophète, Bouddha, Jésus, etc. Marianne a publié en couverture un dessin posthume de Tignous qui dit, fort justement, qu’Allah est assez grand pour se défendre tout seul. L’évangéliste Billy Graham ne disait pas autre chose quand il affirmait que Dieu n’a pas besoin de défenseurs mais de témoins. Je rejoins le généticien Axel Kahn qui rappelait que, tout simplement, si on trouve une publication offensante, on peut toujours porter plainte ; et je rejoins aussi Régis Debray qui a provoqué un grand silence sur France Culture (le 12 janvier) en rappelant que la République réprime l’injure envers quelqu’un du fait de son appartenance religieuse. Les absolus ont basculé en France : interdit d’insulter les homos (et c’est heureux), mais bien dans l’air du temps de chier ou de pisser sur le Christ. Ce que je reconnais à Charlie, c’est le courage de ne pas avoir été sélectif là où d’autres, lâchement, s’en prenaient à toutes les religions sauf l’islam. En ce sens, les victimes de ce massacre sont héroïques, et je leur rends hommage.
Museler la parole croyante ?
Il n’en reste pas moins quelques questions gênantes à soulever. Cabu s’était donné comme objectif de discréditer impitoyablement les religions, synonymes pour lui d’obscurantisme. Comme si l’athéisme militant devait être le nouvel absolu, comme du temps d’Auguste Comte, contre les religions historiquement condamnées à disparaître. Dans ces conditions, suis-je Charlie ? Non. En revanche, je suis avec Charlie pour qu’on lui laisse le droit de dire même des grosses conneries. À charge pour les croyants de répliquer.
Il n’est pas acceptable que la minute de silence n’ait pas été respectée par certains élèves de certains collèges. Il n’est pas acceptable que le darwinisme soit en passe (comme dans certains endroits des États-Unis…) de ne plus être enseigné parce que Dieu aurait créé le monde en 6 jours de 24 heures ; il n’est pas acceptable que la shoah ne soit plus enseignée dans certains collèges parce que ça offense le révisionnisme islamiste de certains ; il n’est pas acceptable que des enfants musulmans refusent de faire des additions parce que le + ressemble à la croix du Christ !
Tout cela étant dénoncé, précisons quelques points : le darwinisme n’est pas un dogme, et il y a de sérieux arguments scientifiques pour le remettre au moins partiellement en question ; et dans ce cas, rien n’interdit aux élèves de croire autre chose s’ils le souhaitent, mais ils doivent se soumettre aux programmes officiels de la France.[1] Faire une addition en dessinant un + ne fait pas de l’élève un Croisé ; donc, on fera les additions. À l’inverse, quand des collégiens disent : nous réprouvons ces meurtres, mais nous nous sentons insultés parce qu’on a caricaturé le prophète, cette réprobation doit être 1) entendue et 2) débattue. Et elle doit l’être intelligemment. Par exemple, quand le même collégien dit qu’il est interdit même de dessiner le prophète, il faudrait lui rappeler que le prophète a été abondamment dessiné dans des miniatures musulmanes conservées à la University Library d’Edimburg. Ce n’est qu’un exemple qui donne entièrement raison à Régis Debray : « Le pire, c’est la religion sans la culture. » Or, la France brille par son inculture religieuse, y compris dans le monde journalistique.[2] Et notre malheur vient en partie de là.
Croyant et républicain
Un ami athée s’étonnait que, dans un autre article, je puisse me dire croyant et républicain : il trouvait cela contradictoire. Dois-je rappeler que les protestants, dont je suis, ont été aux avant-postes des promoteurs de la laïcité, celle-ci étant comprise non comme la relégation des religions dans la sphère exclusivement privée, mais comme la neutralité de l’État en matière religieuse tant que la religion ne trouble pas l’ordre public. J’ajoute même que l’État a pour mission de veiller au libre exercice des cultes (ce qui relève, c’est significatif, du Ministère de l’Intérieur).
Charlie Hebdo n’est donc pas dans la ligne de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État lorsqu’il tire à boulets rouges sur les religions. La France, depuis la Révolution, n’est pas un État athée mais un État non-religieux, ce qui est très différent, et ce qui est parfaitement acceptable pour les croyants.
Voilà exactement pourquoi je ne dis pas : « Je suis Charlie » mais que je peux dire, très sincèrement : « Je suis avec Charlie ». Que j’aurai acheté le 14 janvier.
[1] Ce que font parfaitement les écoles catholiques.
[2] Lors de l’investiture d’Obama, le traducteur de France 2 a été incapable de restituer le Notre Père ; et quand le pasteur Rick Warren a cité le très beau passage d’Ésaïe sur les armes transformées en socs de charrue, il y a eu un blanc ! Ce n’était pourtant pas cité en hébreu, mais en américain !
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