L’échec d’une Nation
Après avoir attendu que la première bouffée émotionnelle soit évacuée de chacun, il est temps d’analyser froidement les évènements que nous venons de vivre. Le 07 Janvier 2015, annoncé comme notre 11 septembre, a suscité un tel émoi qu’il convient d’agir avec la prudence la plus extrême car le passé nous a montré que la récupération politique pouvait nous conduire par aveuglement et par faiblesse momentanée à la privation de nos libertés ainsi qu’à des réactions en chaine regrettables.
Au delà des questions de lutte contre le terrorisme, de l’intégrisme, du vivre ensemble, et des autres problématiques les plus couramment citées, d’autres thèmes sont à évoquer à la suite de ces évènements. On peut rappeler la réaction de la classe politique, l’orgueil populaire, mais surtout la construction de notre société occidentale qui est remise en question.
Mais avant de les évoquer, simplement un mot sur mon sentiment général. Comme tout français j’ai été marqué par la violence des images. Pas moins inhumaines que celles que l’on peut voir en Syrie, au Nigéria, en Palestine ou ailleurs, mais plus troublantes lorsque l’on se sait et l’on se sent concerné. Naturellement, j’ai éprouvé de la compassion pour les familles des victimes et condamné ces actes. J’ai participé à la commémoration soudaine au lendemain de la première série d’attentats, me recueillant pour la minute de silence, mais n’ai pas souhaité manifester et je m’en expliquerai.
Chronologiquement, la première question qui tombait sous le sens fut : Qu’est-ce qui a poussé ces jeunes français à agir de la sorte ? Comment pouvait-on en arriver la ? Qu’est-ce qui amène un homme à commettre une telle boucherie ? Est-ce uniquement du fanatisme, de l’aveuglement, ou l’expression d’une souffrance imperceptible ?
Je ne veux pas tomber dans les clichés en affirmant que le terrorisme est horrible et que c’est notre combat à tous. Ceci est vrai, mais hypocrite. Il faut bien comprendre que derrière l’acte terroriste il y a le mélange contradictoire d’espoir et de désespoir. Par le passé, notamment lors de la Seconde Guerre Mondiale, où des hommes perçus comme des terroristes par le régime de l’époque, exécutant des gradés allemands ou posant des bombes sur les chemins de fer, se sont vus réhabiliter en héros et résistants lorsque le pays fut libéré. N’a-t-on pas également trouvé une forme d’angélisme chez certains lorsque le Mossad s’est vengé des attentats de Munich ? Chaque acte terroriste trouve ses héros et ses détracteurs. Je ne doute pas une seule seconde que des chants de joie ont résonné dans certaines parties du monde tandis que nous pleurions notre liberté d’expression. Nous devons voir la réalité en face : les évènements qui nous précèdent ne doivent pas révéler notre candeur mais au contraire réveiller notre lucidité : Nous sommes en guerre contre une idéologie depuis plusieurs années, et il est rationnel qu’un jour nous en payons le prix. Nous sommes intervenus dans des parties du monde où nous avons participé par notre appui à des exactions, ces attentats en sont la réponse. Je le dis avec le plus grand détachement.
Vous pourrez d’ailleurs réécouter les revendications de ces terroristes, ils affirment sans détour ce qui vient d’être dit. Leur acte est, à leurs yeux, la réponse adaptée, la vengeance propice, la justice rendue. Si un nouvel Hitler envahissait demain la France et commençait à exécuter vos proches, ne trouveriez-vous pas dans l’acte terroriste un commencement de bravoure ? C’est ainsi que l’on raisonne dans certaines parties du globe où Occidentaux sont perçus comme des envahisseurs portant une idéologie capitaliste, destructrice, matérialiste et où s’oppose une idéologie tout aussi extrême : l’intégrisme religieux.
Ce qui est surprenant, n’est pas tant que l’on soit attaqué sur notre sol par les représentants de cette idéologie, mais bien que ces derniers soient en réalité nos propres compatriotes. Car c’est là que se pose le véritable problème. Comment se fait-il que se fussent les enfants des immigrés que l’on a accueillis à bras ouverts, nés en France, qui aujourd’hui choisissent de mourir au nom de cette doctrine ? La vérité est que pour chaque personne née en France, choisissant de mourir au « nom de l’Islam » et contre les valeurs supposées de notre pays, c’est notre société telle que nous l’avons construite et que nous la connaissons qui est remise en cause. Pour que de jeunes français, à peine trentenaires, préfèrent en finir avec leur vie et détruire le pays qui les a vus grandir, c’est qu’il y a tout de même un grand problème d’intégration et d’idéal de vie. La notion d’assimilation à la française est plus que jamais mourante.
Nous vivons dans un pays, où les valeurs de patriotisme, d’amour de la Nation, le respect de la Famille et de l’Ordre, sont quotidiennement remises en question par, au mieux, du dénigrement, au pire, de la dévastation. On parle souvent d’amalgame lorsqu’on évoque l’islam et l’islamisme, je vais vous donner un autre amalgame qui n’est pas toujours reconnu comme tel pour des raisons politiques, c’est celui du rapprochement courant que l’on fait entre les valeurs préalablement citées et l’extrême droite. Or, vous vous souvenez probablement du fameux « Travail, Famille, Patrie » de Vichy, qui après la guerre, s’est vu annihilé par l’esprit soixante-huitard. Je crois que les conséquences du manque de repères de la jeunesse actuelle, et plus particulièrement des jeunes musulmans qui culturellement et religieusement ont une histoire différente du reste de la population, sont dues à l’exécution sommaire de ces valeurs que nous avons cautionnée pour des raisons idéologiques et par crainte délirante de revoir le spectre du fascisme.
Dans notre société contemporaine, pour le moins hédoniste et matérialiste, que reste-t-il de commun aux membres d’une même Nation lorsque l’on ne cesse de cracher sur l’appartenance nationale, le patriotisme, et la place de la famille au sein de notre société ? Nous sommes français car derrière notre drapeau tricolore et notre marseillaise tant décriée, nous souhaitons partager des valeurs fortes de liberté et d’espoir. Ce n’est pas en brûlant nos symboles et en détournant nos chants que l’on sauvegarde ces héritages. Notre pays a réalisé son propre autodafé.
Le communautarisme est le vainqueur d’une France abattue. On voit désormais que le vivre-ensemble est une façade trahissant notre échec profond à donner une direction, un espoir, un avenir tout simplement à l’ensemble de la population. Et je ne suis pas étonné d’apprendre que parmi les français qui s’en vont combattre en Syrie, certains soient des convertis. On a tellement rien d’autre à leur offrir… J’imagine déjà les exclamations de certains à la lecture de mon article, mais je vous le dis : Soyons réalistes, quelles grandes valeurs défendons-nous au sein de notre société occidentale ? La liberté d’expression ? Demandez à Dieudonné, Zemmour, Le Pen et consort ce qu’ils en pensent. Si vous les jugez trop extrêmes, posez simplement la question aux sept cents mille signataires de la pétition contre le mariage pour tous ou aux enfants victimes des gaz lacrymogènes lors des manifestations en découlant… Une preuve supplémentaire que ceux qui défendent encore les valeurs d’antan sont mis au ban de notre démocratie. Elles n’ont pourtant, intrinsèquement, rien à envier à celles de notre société actuelle. Le consumérisme outrancier ? On voit bien que les I-phones et tablettes ne suffisent pas à elles-seules au bonheur d’une nation. Selon un indice de ce dernier, la France serait l’un des pays où les gens se sentent le moins heureux dans le monde, derrière l’Inde, le Nigéria, et j’en passe… Comme un léger malaise non, pour la cinquième sixième puissance mondiale ?
C’est grâce à ce climat et à l’absence de toute alternative crédible que le désespoir engendré nourrit les terreaux du terrorisme. Lorsque le monde tel que nous le percevons nous semble à ce point mauvais, qu’est-ce qui nous retient d’y vivre ? Autrefois, la religion occupant une place importante dans notre société, jouant un véritable rôle social, il y avait une retenue, un échappatoire, une croyance que l’on peut juger à juste titre utopiste, mais salvatrice. Mais aujourd’hui, la religion si souvent décriée, montrée du doigt, bannie par un laïcisme négatif, par le sarcasme, a laissé un vide que les nouvelles doctrines libertaires n’ont pas su combler.
Il serait si simple de pointer du doigt l’extrémisme religieux comme cause unique des évènements. Oui, il est vrai que c’est bien le fanatisme qui est responsable des tueries qui ont eut lieu, mais si ce fanatisme s’est développé c’est en partie à cause d’une carence en spiritualité. Avec le peu d’enseignement moral et éthique dispensé, pas étonnant que les esprits perdus en recherche d’un idéal plus grand soient la proie d’extrémistes et finissent par être séduits par les thèses les plus scabreuses.
Quand je vois des gens défiler au nom de « Je suis Charlie » pour y défendre tant la liberté d’expression, que leur ligne éditoriale, je me dis qu’ils ne voient pas que c’est par leur doctrine libertaire condamnant la religion dans son ensemble que l’on a créé une absence, un vide, qui se révélait spirituel et indispensable à l’individu pour maintenir son équilibre psychique. Cette insuffisance s’ajoutant fatalement à l’acculturation voir à la déculturation des individus.
C’est une des raisons principales qui m’a poussé à ne pas défiler dimanche car je pense qu’il y a une récupération idéologique derrière cela qui masque l’une des causes de nos dérives. Et je ne parle pas de la conception de me retrouver dans un cortège où étaient présents juste derrière les familles des victimes une ribambelle de politiciens tout aussi condamnables les uns que les autres en matière de droits de l’homme et de libertés d’individuelles quand il ne s’agit pas directement de soutien informel au terrorisme.
Pourtant on a vu un sursaut, de l’orgueil de la part des manifestants, de tous ces français. Comme si en un instant, l’élan patriotique habituellement pusillanime se mutait en une symbiose fraternelle et expansive. On a même vu des gens applaudir des forces de l’ordre… Comble pour les membres de Charlie Hebdo qui aurait peu goûté à la marseillaise pour leur hommage. Mais preuve en est que l’unité d’une Nation se révèle à travers ses symboles et quand les victimes sont Juifs, Chrétiens, Musulmans, Policiers, ou Journalistes engagés, il n’y a qu’un vecteur qui nous unit : La Nation.
Aussi, il faudra dès demain se poser les bonnes questions : Quelle société voulons-nous ? Quand admettrons-nous que l’origine du climat violent que nous connaissons trouve sa source dans le vide spirituel que nous avons créé depuis ces cinquante dernières années ? Il ne suffit pas de prendre des mesures pour combattre le terrorisme. Par définition, ce dernier est imprévisible. Toutes les frontières et forces de police du monde ne suffiront pas à lutter contre lui. La seule manière de nous en prémunir est d’éveiller les consciences, mais cela passe au préalable par le recouvrement d’une unité nationale. D'une vraie, pas un simple slogan publicitaire politicien. On ne peut pas vivre dans une même direction si nous n’avons pas à la tête de la Nation des personnes qui soient aux yeux de tous, des modèles. Nous ne pouvons pas vivre les uns à côtés des autres si nous ne partageons pas les mêmes idéaux de la vie. Et encore une fois, je suis sévère à l’égard des plus libertaires qui ont cru que leurs croyances athées étaient au-dessus de tout et ont fait preuve d’un grand sectarisme ces vingt dernières années.
Regardez cette jeunesse, observez le nombre de nos adolescents qui ont refusé la minute de silence dans les collèges et lycées, il y a là très probablement des générations de terroristes à venir. Car si on ne parvient pas à redresser le cap moral de notre pays, nous finirons par sombrer. Ces évènements ne sont que les prémisses de ce qui nous attend si nous ne changeons pas de logique. Et cela passe aussi par l’évitement du deux poids, deux mesures. On ne peut pas tolérer les atteintes à la foi de Charlie Hebdo au nom de la liberté d’expression et s’acharner sur Dieudonné pour un sketch sur les colons israéliens. Car si l’on crée ce type de déséquilibre, on accentue les différences entre les idées et on rompt nos principes démocratiques. Ces failles ne peuvent donner lieu qu’à des réactions extrêmes – comme celle de Dieudonné qui est tombé dans le piège et n’en est jamais ressorti.
On ne peut pas, non plus, continuer à faire comme si le peuple n’était qu’une notion abstraite, éloignée du pouvoir. Lorsqu’une nation affirme un « non » à un référendum, le balayer du revers de la main quelques années plus tard est un signe assez négatif pour la démocratie. Je ne crois pas non plus qu’on puisse donner des leçons en la matière lorsque l’on prive 25% de la population française d’une soi-disant union nationale, en les insultants par dessus tout de xénophobes et autres doux noms. Si une unité doit naître, elle ne pourra voir le jour que si chacun s’en sent concerné. Quelle que soit… son opinion. Mais cette vérité éclatante doit être douloureuse à admettre pour les esprits les plus sectaires forts des années de propagande d’une classe politique « bien-pensante ».
Nous avons tous à réfléchir et reconsidérer nos certitudes. Les plus inflexibles me reprocheront de céder aux menaces terroristes, je leur réponds que non. Car tout d’abord, ce constat ne date pas d’hier et malheureusement ces évènements étaient prévisibles. D’autre part, refuser de voir cette vérité nous expose à un avenir qui accentuerait nos divergences.
Or, plus qu’un mariage pour tous, notre pays a besoin plus que jamais d’un destin pour tous.
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