L’école de la mémoire
La débat autour de l’enseignement de la Shoah à l’école paraissait définitivement clos quand les sages - réunis par l’exécutif - ont affirmé la portée traumatique de confier à un écolier la mémoire d’un enfant juif assassiné dans les camps. Pourtant, Xavier Darcos (ministre de l’Education nationale) tient à ce qu’une classe, plutôt qu’un élève seul, perpétue la mémoire d’une jeune victime de l’holocauste. L’école est-elle inévitablement un lieu de mémoire ?
Si de nombreuses écoles historiques ont su influencer la manière de concevoir l’histoire, son enseignement n’a jamais remis totalement en cause le dogme édifié par Ernest Lavisse. L’historien méthodiste avait jugé opportun d’enseigner l’histoire au travers d’une lecture partisane. Les fameux "manuels Lavisse", plus doctrinaux qu’instructifs, accompagnèrent des générations d’élèves en leur inculquant des références républicaines et fondamentalement patriotiques. "Nos ancêtres les Gaulois" ne pouvaient s’opposer qu’à une noblesse descendante des Francs, étrangère à la population, germanique comme l’ennemi allemand. L’histoire, au service du régime, devait faire disparaître le monarchisme des consciences populaires. Au fond, qu’importe si elle tronquait la réalité en servant la Révolution et ses principes, c’était le sens de l’instruction des masses pour Lavisse. Et cela est devenue effectif avec les lois de Jules Ferry.
Lois qui, avec celle de la laïcité en 1905, ont institué l’école comme le temple de la République par excellence. Les principes supérieurs de l’Etat français, signe d’un désenchantement du monde annoncé par Max Weber et par Marcel Gauchet, a depuis longtemps produit ses rites avec la célébration du 14 Juillet, son clergé dont le président sacro-saint est une figure emblématique, son canon qui trouve essence dans le "bloc de constitutionnalité" édifié en 1971 et sa doctrine républicaine, forcément. Ainsi, l’école détient la mémoire de la nation et incarne ses principes par excellence. Gratuite donc égalitaire, obligatoire donc ne divisant pas le corps de la nation, laïque donc au-delà de la singularité des consciences, elle façonne le citoyen et le pousse à adhérer à la concorde civile. Somme des individualités et origine des destins, elle réunit de ce fait la mémoire aux mémoires.
Jules Ferry, père de l’école moderne, disait justement : "Messieurs, ce que nous vous demandons à tous, c’est de nous faire des hommes avant de nous faire des grammairiens." Ainsi, si l’histoire dessert toujours un intérêt qui lui est supérieur car elle peine à être totalement objective, elle se base sur la mémoire des hommes qui la font et de ceux qui l’écrivent. Mais un homme sans mémoire des âges ne sait bâtir l’avenir. Le tout est que l’école, temple de la République et donc garante de ses principes, puisse lui permettre d’avoir accès à l’ensemble des mémoires afin qu’il construise la sienne sous les auspices d’un futur pluriel. S’il est évident de transmettre celle de la Shoah, il me paraît autant justifié d’y intégrer celle de tous les opprimés au titre de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : "Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression."
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