Le tournoi des mêmes : à la veille de la journée de la Femme, le classement de sortie de l’ENA confirme la puissance du modèle masculin. Contrairement à ce qu’avait annoncé le chef de l’Etat, la réforme de la haute fonction publique attendra. Il est plus facile de supprimer la publicité sur le service public que certaines habitudes de sélection.
La Journée de la Femme du 8 mars est traditionnellement l’occasion de faire des bilans pour comparer la situation des hommes et des femmes. Sur ce plan, comme chaque année depuis 60 ans, le classement de sortie de l’ENA vient de rendre le 6 mars 2009 un verdict accablant. Les femmes, qui ne représentent déjà que 30% des 90 élèves de la promotion sortante, ne sont plus que 8 à se trouver dans les quarante premiers du classement final. Cela signifie que l’accès aux fonctions prestigieuses des grands corps de l’Etat, des inspections et de la diplomatie que garantit un bon classement est réservé pour 80% à des hommes. La performance de Françoise Chandernagor, première femme major de promotion en 1969, est remarquable mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Le tri qu’effectue le concours d’entrée est poursuivi et aggravé pendant la scolarité de deux ans.
Le constat est le même si l’on prend pour référence non plus le sexe mais l’âge puisque, toujours dans les quarante premiers, on ne compte qu’une dizaine d’élèves de plus de 30 ans alors qu’ils composent la moitié des effectifs (ils proviennent du concours interne ouvert aux fonctionnaires ayant déjà exercé, ou du 3ème concours, réservé aux cadres du privé avec 10 ans d’expérience).
Ainsi, ce que l’on considère être l’école du pouvoir s’affirme plus précisément comme l’école du pouvoir masculin et toutes les différences par rapport au modèle de l’énarque masculin, jeune et de bonne famille sont reléguées aux marges, en fin du classement.
Il est vrai que cela ne date pas d’aujourd’hui et que les critiques sur le classement final de l’ENA sont nées avec l’école. En 2003 pourtant, le très officiel rapport de l’ex-commissaire européen Yves-Thibault de Silguy (moderniser l’Etat : le cas de l’ENA) commandé par le gouvernement avait déjà pointé ces problèmes et proposé une réforme de la scolarité pour y répondre. Une réforme a bien été mise en place par la suite mais, cinq ans après, force est de constater que les processus de notation internes à l’ENA favorisent encore le modèle, pour ne pas parler de moule, dominant.
Plus d’un an après le discours de Lille du chef de l’Etat du 11 janvier 2008, où il avait exprimé son « souhait » que le classement de sortie des écoles de fonctionnaires soit supprimé au profit de listes d’aptitudes et que soit valorisée l’expérience professionnelle dans la fonction publique, le classement n’a toujours pas été supprimé et du reste, ne le sera pas avant au moins deux ans. Quant à la reconnaissance de l’expérience professionnelle, elle attendra des jours meilleurs : le cru 2009 montre objectivement qu’elle n’est pas reconnue dans le système existant. Face aux pressions corporatistes exercées en sous-main par les « grands corps », il est apparemment plus aisé de supprimer la publicité sur le Service public de l’audiovisuel que le classement de sortie de l’ENA. Réunis en Assemblée Générale le 22 avril 2008, les élèves de l’ENA s’étaient pourtant très clairement prononcés à 76% pour la suppression du classement pour leur promotion.
D’aucuns penseront en cette période de crise économique que ces petits arrangements ne prêtent pas à conséquence, surtout qu’ils concernent une population perçue à tort ou à raison comme privilégiée. Cependant, par delà les cas individuels de ces femmes et « seniors » relégués à jouer les figurants, sans perspective d’accès à des grands corps fermés comme une caste, c’est grave car c’est l’incapacité de la haute fonction publique à représenter et à intégrer l’ensemble de la société qui s’exprime, avec d’évidentes conséquences nuisibles sur sa capacité d’adaptation aux enjeux contemporains. C’est pourquoi il faut continuer à dénoncer ces pratiques d’un autre temps pour que soient mises en place des règles transparentes et équitables, par delà les déclarations d’intention sans lendemain. Affaire à suivre.