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L’État pacificateur

Une idée qui ne fonctionne que s’il y a nation (naissance).

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L’étymologie du mot « payer » est pour moi une obsession constante ces dernières années. Si effectivement payer, c’est pacifier, alors le plus gros payeur de tous, l’État, est celui qui pacifie le plus. Qu’importe qu’il s’agisse de redistribution ou de création monétaire, ce qui reste prioritaire dans cette idée, c’est cette circulation que l’État initie, à travers des chèques, des allocations, des indemnités, des appels d’offres, et qui permet d’apaiser tout le monde.

Au vu du poids de l’État dans l’économie générale à notre époque, on peut faire l’hypothèse plutôt crédible qu’en cas de défaut de paiement, ce serait la guerre civile. Ce ne serait pas la guerre civile qui mettrait l’institution à bas, ce serait l’inverse. La guerre civile aurait lieu parce qu’il y a une défaillance du colosse qui, lorsque tout va mal, fait démarrer des chantiers (incluant la guerre contre d'autres colosses) qui ne sont parfois que des excuses pour occuper la population et lui permettre de se sentir récompensée d’être là.

L’État ne peut cependant qu’être capitaliste. Le principe bien connu « privatiser les gains, nationaliser les pertes » s’applique. Il va de soi (n’en doutons pas) que les rêves de réussite sont majoritaires et que chaque entrepreneur recherche son succès et non celui du voisin. L’égoïste est souvent beaucoup plus déterminé que son prochain, c’est à lui qu’on doit d’abord des comptes. L’altruisme, ça se dilue dans la masse.

Au-delà de la question de l’argent, l’État ne sert que de couverture à des projets d’innovation technologique qui peuvent échouer, les hommes qui les portent importent peu, et qui échoueront car le facteur de complexité des créations humaines a dépassé la compréhension de la majorité des citoyens. La société ne peut se réduire à l’innovation matérielle garantie par un pilier-institution. L’innovation est toujours matérielle et sert une tentative de rendre concrète la communication entre les hommes : le livre diffuse les idées, les téléphones diffusent les paroles, les idées, les images. L’espoir de la consistance concentre tous les efforts humains. La guerre sert à essayer gratuitement les innovations qui ne doivent pas échouer. Ces dispositions ne peuvent s’exercer que dans un cadre national. Sans le cadre national, il serait plus difficile de justifier la guerre. C’est une simple question de communication.

On peut ajouter : 1) l’État est une technologie de domination d’un peuple sur l’autre. Le droit et la paperasse occidentales ont servi à humilier les peuples vaincus après les guerres ou les génocides. La gouvernance internationale peut définir des règles adaptables aux différentes cultures, aux peuples qui les perpétuent, mais elle ne peut pas implanter un État-infrastructure identique sur chaque territoire qui appliquerait la même formule partout. Déjà, l’État lui-même est le résultat d’une culture. Et puis, bien qu’elle passe par des traités qui garantissent d’abord le transport sans conditions de toutes les marchandises afin de produire avec le temps une culture uniforme qui permettra une fois le labeur fait de s’approcher d’un traitement unique à l’échelle mondiale, cela ne peut pas mener à un État mondial. Les mêmes réglementations sur le droit du travail amèneraient la classe dirigeante à sa faillite. On peut jouer sur le marché des changes si le salaire minimum n’a pas la même valeur partout. 2) L’État qui paye est une technologie de domination d’un peuple sur l’autre, y compris en période de paix (au sens de silence des armes), mais à la condition que les citoyens regroupés sous cet État payeur apportent des innovations aux citoyens regroupés sous des États qui ne paient pas ou paient moins, ce qui implique une guerre intérieure constante pour trouver dans la nature, humaine ou pas, la nouveauté qui intriguera le voisin plus ou moins lointain. L’État implique l’étude. Les appétences varient.

Ces garanties qu’on veut concrètes prennent la forme d’une abstraction éternelle. Le problème de cette chose, c’est son nom. Les typologies ont été faites, les schémas de distribution de pouvoir ont été fixés, le régime politique ne sait pas se passer d’une autorité centrale. L’anarchie même n’est possible que si elle est imposée. L’absence de loi nécessite une armée de policiers, sans quoi elle n’est pas respectée. Rien de pire qu’un monde figé qui bouge sans cesse, comme un corps criblé de balles.

Il ne saurait donc y avoir de paix sans État, d’autant plus aujourd’hui quand la majorité des personnes ont intégré sa présence au point d’imiter sa structure quand il s’agit de mener des activités contraires à la paix. Le seul prix de cette paix est la servitude pour dettes, aujourd’hui universelle. Afin de garder les comptes en équilibre, chacun se doit de travailler, y compris de travailler à la survivance de son État en se contentant d’en être fonctionnaire ou allocataire.

Revenons à l’étymologie (la langue dit tout, au moins de nous) : le mot État même dérive de « stature » (l’expression « il a la stature d’un homme d’État » est une tautologie de premier ordre), dans le sens de quelque chose qui se tient droit – station debout. Une organisation qui pousse ses membres à se tenir courbés ne peut donc être un État.

On figure souvent quelqu’un qui est en paix en position allongée (l’image de Philippe Noiret dans « Alexandre le bienheureux » me revient immédiatement). On ne peut être plus droit qu’allongé. On ne peut donc être plus en paix qu’allongé. L’État qui assure le mieux sa fonction pacificatrice est tenu par des hommes qui dorment sans rêver. Le Parlement idéal est constitué des sénateurs les plus paresseux.

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Toujours selon le dictionnaire, « Sénat » est apparenté à « sénile » dans le sens où il désigne le conseil des anciens. Avançons donc encore : l’État qui assure le mieux sa fonction pacificatrice retient les gens les plus vieux, les plus statiques, les plus conservateurs.

Malheureusement, ces personnes-là n’existent plus. Il ne reste plus que des jeunes gens qui veulent faire vivre, qui veulent faire naître, même quand ils sont vieux. Et ces vieux jeunes envoient des jeunes jeunes au front pour perpétuer le pouvoir que le temps leur retire patiemment mais sûrement.

La solution viendra des jeunes qui accepteront de vieillir contre ce que leur corps leur demande. Ils y sont déjà d’ailleurs. Regardez-les allongés devant leurs écrans. Ils sont l’avenir. Ils sont la paix. Ils sont la mort.


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3 réactions à cet article    


  • Laconique Laconique 23 décembre 2024 16:07

    L’Etat est pire que ça. C’est une réalité métaphysique. D’après Jacques Ellul, dans son ouvrage L’Apocalypse, architecture en mouvement, c’est l’Etat qui est désigné à travers la fameuse Bête de l’Apocalypse : « La bête que tu as vue était, mais elle n’est plus. Elle va monter de l’abîme et s’en aller à la perdition. Et les habitants de la terre, dont le nom n’est pas écrit, depuis la fondation du monde, dans le livre de vie, s’étonneront en voyant la bête, car elle était, n’est plus, mais reviendra » (Ap 17, 8).

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