L’impasse du « vote blanc »
De nombreux électeurs s’apprêtent à voter blanc aux prochaines élections. Un comportement électoral qui s’assume de plus en plus et qui n’a pas attendu les prises de position publiques des personnalités comme Mathieu Kassovitz appelant à la reconnaissance du « vote blanc ». Si on accepte que le vote blanc porte un message politique incontestable, il n’est pas évident d’en tirer les conséquences dans une démocratie « responsable ».

La légitimité du vote blanc
A l’origine du vote blanc se trouvent les carences de l’offre politique. Pourtant, aux termes de l’article 4 de la Constitution, « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». La démocratie française, ne limitant pas le nombre des partis et mouvements politiques susceptibles d’être créés, elle garantit au citoyen une diversité d’offres politiques allant de l’extrême droite à l’extrême gauche en passant par les « ni gauche ni droite ». Elle offre même à l’électeur le droit de voter pour des candidats sans étiquette politique affichée.
Paradoxalement, l’offre politique ainsi garantie ne semble pas assez diverse pour répondre aux aspirations de certains électeurs, toujours plus exigeants. Ce qui conduit au développement de deux comportements électoraux : l’abstention et le vote blanc, sans compter les non inscrits volontaires. S’il arrive aux commentateurs politiques d’accabler les abstentionnistes avec des mots peu aimables comme la paresse (aller à la pêche), l’incivisme, et appeler à l’instauration du vote obligatoire ; il est, en revanche, difficile de formuler ce genre de reproche à l’encontre d’un électeur qui prend l’initiative de se déplacer de chez lui, d’attendre dans la file devant un bureau de vote pour déposer un bulletin blanc dans l’urne. Il n’y a pas de comportement plus civique.
Sauf que, à l’état actuel du code électoral français, l’acte citoyen ainsi accompli par l’électeur est au mieux assimilable au vote nul, au pire, ignoré purement et simplement. En janvier 2003, le groupe UDF à l'Assemblée Nationale avait rédigé une proposition de loi visant à intégrer les votes blancs dans la catégorie des suffrages exprimés. Mais la majorité UMP avait transformé ce texte ne retenant que la distinction entre bulletins blancs et bulletins nuls pour que les bulletins blancs puissent être décomptés séparément et annexés au procès-verbal sans pour autant entrer en compte dans la détermination des suffrages exprimés. Au grand dam des militants pour la reconnaissance du vote blanc, le sort des bulletins blancs semble comparable, même dans les démocraties ayant consacré la reconnaissance du vote blanc.
En Belgique, où, par ailleurs, le vote est obligatoire, les « bulletins blancs » sont considérés comme valables, contrairement aux bulletins nuls, mais ils ne sont pas pris en compte dans l’attribution des sièges, puisqu’ils sont mis à l’écart lors du décompte des voix en vue de déterminer les listes majoritaires. Aux Etats-Unis, le débat sur le vote blanc est allé encore plus loin jusqu’à consacrer la notion de « none of the above » (aucun des candidats proposés). Dans le Nevada, par exemple, depuis 1978, les bulletins de vote portent, en plus des noms des candidats, la case (aucun de ces candidats). En cochant cette case, on ne vote pas blanc, mais on exprime sa désapprobation vis-à-vis des candidats proposés par les formations politiques. Une façon (intéressante) d’associer l’électeur, tous bords politiques confondus, aux choix d’investiture opérés par les partis. Dans l’hypothèse où les bulletins « aucun de ces candidats » obtiennent la majorité des voix, plusieurs options se présentent : soit le poste reste vacant, soit il est pourvu par voie de nomination, soit de nouvelles élections sont organisées, ce qui correspond aux revendications des partisans de la reconnaissance du vote blanc.
Ils voudraient que, si le nombre des bulletins blancs atteint un certain seuil, le vote soit annulé et qu’un nouveau scrutin soit organisé avec de nouveaux candidats, ce qui risque de mener à une impasse.
L’impasse
Il est évident qu’un score important du vote blanc cause de graves désagréments aux partis politiques ayant investi des candidats pour concourir à une élection. Mais si la loi prévoit l’organisation d’un nouveau scrutin, dans l’éventualité d’un tel scénario, on se demande bien comment les organisations politiques devraient s’y prendre. En effet, on considère que les candidats initialement investis l’ont été dans le respect des procédures internes aux partis dont l’organisation est censée être démocratique. L’article 4 de la Constitution souligne « le respect des principes de démocratie » auquel les partis doivent se conformer. Leur fonctionnement interne est donc censé être démocratique. Comment dès lors remettre en cause le choix « démocratique » d’un parti au motif qu’un vote blanc, quelque part, change la donne ? Les partis organisés se trouveraient ainsi dans l’incertitude ou, pour forcer le trait, sous la tyrannie d’un hypothétique vote blanc.
Par ailleurs, rien ne permet de croire que l’investiture de nouveaux candidats garantirait le recul du vote blanc initial. Elle pourrait même l’aggraver puisque les électeurs ayant voté pour les candidats initialement investis peuvent décider, à leur tour, de voter blanc, un scénario qui pourrait se reproduire ad vitam æternam. D’autant plus que les nouveaux candidats, du fait d’être à quelque sorte, imposés de l’extérieur, risquent de pâtir du manque de cohésion interne, au sein de leurs partis respectifs, subir des critiques de leurs propres camps et s’avérer finalement moins préférables aux candidats initialement investis. En tout cas, cette forme d’incertitude et de « chantage » imposé aux partis par le vote blanc ne peut conduire la démocratie que dans un marasme inextricable.
Car, autant un électeur de gauche ou de droite adresse un message assez précis, qui atteste de son adhésion à la personne et au programme clairement présenté, autant l’électeur du vote blanc n’adresse aucun message précis. Les hypothèses sont si nombreuses que la démocratie ne peut raisonnablement pas le suivre. Préfère-t-il un candidat de gauche ou de droite différent de celui qui a été investi par les partis ? Considère-t-il qu’il n’y a pas assez de contenu dans les programmes proposés ? Proteste-t-il contre les institutions telles qu’elles sont organisées ? Est-il juste à la recherche d’un candidat idéal ? Et puisque le « candidat idéal » est une pure utopie, comment ramener cet électeur à un peu plus de réalisme ? En tout cas la démocratie ne peut pas s’adapter à toutes ces exigences, et considère qu’en définitive, « voter », c’est « désigner ».
Voter, c’est désigner
A la différence de la monarchie où la continuité de l’Etat est assurée par le fait héréditaire, la démocratie n’est pas à l’abri d’un vide politique, même si la loi, dans de nombreux pays, permet de combler le vide avec une autorité intérimaire, qui se contente d’expédier les affaires courantes. L’électeur qui vote n’exprime donc pas seulement sa volonté. Il assure la continuité des affaires publiques en dotant les candidats d’une garantie de légitimité pour agir au nom de tous. Le non choix que représente le vote blanc, s’il devait s’imposer, laisserait la société dans l’incertitude.
Et pourquoi la démocratie devrait-elle se donner autant de mal pour essayer de se conformer à la volonté des électeurs indécis et irrésolus alors que le fonctionnement de la société exige l’engagement d’hommes et de femmes qui assument les conséquences de leurs votes et gouvernent en rendant des comptes à leurs électeurs, dont ils tiennent à solliciter la confiance aux prochaines échéances ? Pourquoi s’embarrasser d’un « vote blanc » qui n’est assumé par aucun candidat ?
Car, en fait, le vote blanc n’a pas de candidat parce qu’il ne porte pas de message clair. Il serait d’ailleurs trop prétentieux de se revendiquer l’incarnation du vote blanc. On passerait pour un candidat indépendant, ce qui dégage l’espace au vote blanc authentique, qui lui n’a pas de candidat.
Finalement, dans une démocratie pluraliste, le vote blanc reste à la fois une énigme et le choix de l’impasse, heureusement surmontée par la mise à l’écart des « bulletins blancs ».
Boniface MUSAVULI
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