Le système universitaire français est fondé sur la notion d’« université républicaine », un service public ouvert à tous, sans condition de milieu social, de culture, d’appartenance religieuse ou de nationalité. L’université républicaine assure de nombreuses missions, pour ses usagers mais aussi envers l’ensemble de la population. Une très bonne définition de l’université républicaine est donnée par l’extrait suivant de la Loi n° 84-52 (du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur) : « Le service public de l’enseignement supérieur contribue […] à l’élévation du niveau scientifique, culturel et professionnel de la nation et des individus qui la composent ; [… ] à la réduction des inégalités sociales et culturelles et à la réalisation de l’égalité entre les hommes et les femmes en assurant à toutes celles et à tous ceux qui en ont la volonté et la capacité l’accès aux formes les plus élevées de la culture et de la recherche ». Il est important d’y ajouter le rôle de l’université dans le rayonnement international de notre pays.
Le mouvement de protestation que nous traversons en ce moment – exceptionnel par son ampleur et sa pérennité – est perçu par certains, par beaucoup même, comme une volonté de conservatisme, d’immobilisme du milieu universitaire. Si une crainte du lendemain, poussant au protectionnisme et au statu quo, existe à l’université comme dans toute organisation sociale, cette crainte reflète majoritairement une volonté de défense des différentes missions et statuts du service public universitaire. Il est par contre fondamentalement inexact de dire que l’université française n’a pas évolué depuis plus de 25 ans et qu’elle est, par nature, réfractaire au changement.
En un lapse de temps relativement court, depuis le début des années 1990, l’université française s’est adaptée à une transformation de son public, due à l’augmentation massive du nombre des étudiants et à l’élargissement du nombre de filières de baccalauréat dont sont issus ces étudiants. Elle s’est également, en termes d’enseignement comme de recherche, fortement diversifiée, avec une large ouverture vers le monde professionnel notamment par la professionnalisation de ses diplômes. Les Instituts Universitaires Professionnalisés constituent un bon exemple, parmi d’autres, de cette mutation. Lancés au début des années 1990, ils ont fonctionné jusqu’à ces dernières années, en étroite collaboration avec le monde professionnel (participation forte des professionnels aux conseils d’administration et de perfectionnement, part importante des enseignements assurée par des professionnels, projets, stages…). Le succès des IUP a été incontestable et reconnu par le ministère, avant que la réforme LMD vienne bousculer cet état de fait et supprime ces formations. Plus récemment, les universités se sont employées à mettre en place les licences rénovées ainsi qu’une fonction nouvelle, confiée par ses tutelles, la mission d’insertion professionnelle. L’ensemble de ces transformations a été réalisé ou initié, malgré un contexte très difficile, du à l’absence préalable de dialogue et de concertation pour la définition de ces réformes, au cadre général controversé de la loi LRU, au caractère précipité et à l’accumulation des réformes à gérer et, enfin et surtout, à la quasi-absence de moyens humains (nouveaux ou existants) dédiés à ces nouvelles fonctions
La recherche universitaire présente la même intensité en termes de mutations, sur une période quasi identique. Alors que cette recherche était très centrée sur l’hexagone, avec un caractère académique marqué, elle est maintenant réalisée majoritairement dans le cadre de collaborations internationales et industrielles. Les études doctorales ont également été transformées en profondeur, avec la mise en place des écoles doctorales, un travail important sur la qualité des doctorats (sélection des étudiants, suivi de thèse, quota de publication en préalable à l’autorisation de soutenance…) et une évolution de la formation (formations durant le doctorat, journées doctorales, sensibilisation à l’après thèse…). Le mode de financement des activités de recherche a, lui aussi, suivi un virage important. Il y a encore une dizaine d’année, ce financement était assuré en quasi-totalité par une source unique, la contractualisation quadriennale avec l’état. Or, il est maintenant issu d’une multitude de sources et découle principalement de la participation des chercheurs à des appels à projets, souvent en association avec des partenaires industriels. Pour répondre à ces appels, les chercheurs ont du construire des réseaux, nationaux et internationaux, ils ont du adapter leur mode de travail à la préparation des réponses aux appels d’offres, à l’incertitude de ce financement, à l’horizon temporel réduit et à l’appauvrissement de la diversité thématique qu’il entraîne. Malgré ces contraintes, il suffit d’observer l’évolution d’un indicateur objectif, le nombre de soumissions de projets aux appels d’offre de l’ANR, en très forte augmentation, pour montrer que les chercheurs académiques ont, une fois encore, répondu aux changements que les tutelles leur proposaient parfois, leur imposaient souvent.
Peu d’institutions auraient su se transformer aussi profondément, dans ces conditions et à un rythme aussi soutenu ! Au vu de ces considérations, relevant de l’histoire récente du monde universitaire, il apparaît injustifié de présenter l’université comme une institution ancrée dans les traditions et le passé, refusant l’évolution ou même la rénovation. Cet argument n’est donc pas admissible pour expliquer la crise actuelle !
L’explication majeure de cette crise est plutôt à chercher dans l’instauration d’un climat de défiance entre le monde universitaire et le gouvernement. La dégradation des conditions matérielles et humaines au sein des universités est un facteur important de cet état de fait, avec en particulier un nombre très élevé de contractuels, maintenus pendant des années dans une situation indigne de notre pays, en termes salariaux et, surtout, de précarité. La qualité de la gouvernance universitaire centrale – jamais évaluée – n’a pas aidé à contrer ce sentiment…
Cette défiance s’est accrue de manière notoire avec l’accumulation des projets de réforme, du statut des fonctionnaires de l’enseignement supérieur (enseignants chercheurs et BIATOSS), de la formation des enseignants du secondaire, du mode d’allocation des moyens financiers et humains (le modèle « SYMPA »), …, pour mener à une situation de crise, avec un mouvement social concernant l’ensemble des acteurs du milieu universitaire, toutes tendances confondues, qui dure maintenant depuis plus de six semaines. Et qui se radicalise de semaine en semaine…
Il est temps que nous, membres de la communauté universitaire, rétablissions la vérité. Il est nécessaire de montrer à tous, du politique au citoyen lambda, que l’université n’a pas été et n’est pas immobile. L’université souhaite continuer à changer, à suivre la société, à s’adapter à celle-ci, comme elle l’a toujours fait.
Il est temps pour nous de prendre la parole, de donner une autre lecture du mouvement de contestation, de dire que nous sommes décidés à faire vivre l’université, dans le respect du modèle français : un service public universitaire, républicain.
Il est temps pour nous de devenir une force de proposition, de prendre à notre compte les grands concepts qu’on nous oppose. Qui, dans le cadre de l’université de la république, serait contre une vraie autonomie, offrant un fonctionnement pensé au niveau de chaque université, adapté à celle-ci, permettant plus d’initiative, de diversité ? Qui refuserait de lutter contre l’échec en premier cycle ? Qui soutiendrait que l’université n’a pas à se soucier du devenir professionnel des étudiants ? Comment, nous qui sommes évalués en permanence, sans règle claire, sans transparence, sans réflexion de fond sur les critères même de l’évaluation, pourrions nous refuser une vraie évaluation, basée uniquement sur la qualité scientifique, réalisée par des évaluateurs que nous reconnaissons (pour les avoir élus par exemple), respectueuse de la diversité des activités et des disciplines auxquelles elle doit s’appliquer ? Et, qui s’opposerait à un financement complémentaire basé sur des appels à projet, si le financement récurrent des équipes (des équipes déjà sélectionnées, évaluées à plusieurs reprises) était par ailleurs assuré ?
Enfin, pour conclure, comment faire savoir à tous que l’élément que nous souhaitons pour continuer à construire ensemble une université française plus forte et mieux reconnue, pour contribuer activement à sa rénovation, est seulement une garantie forte, inconditionnelle, de respect par nos tutelles du principe fondateur de notre université, principe présent dans la Loi ? Et, bien sûr, la transcription de cette garantie dans la réalité montrée par les décrets, les statuts, les moyens des universités…