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La Belgique, espoir et modèle ?

Huit mois sans gouvernement ? Et alors ?

Aux moqueries habituelles sur nos amis d'outre-Quiévrain, le conformisme ambiant ajoute ces temps-ci les hochements de tête de ceux qui, sans se demander s'ils doivent vraiment être si heureux que ça d'être gouvernés, plaignent ces pauvres Belges de ne pas avoir de gouvernement depuis des mois.

Seulement voilà : la crise ne s'est pas brutalement aggravée en Belgique, rien n'y va plus mal qu'ailleurs, l'économie, les administrations, les écoles, tout fonctionne exactement comme avant. Tous les jours, depuis huit mois déjà, sans gouvernement, chacun travaille et vit exactement comme lorsqu'il y en avait un. Bien sûr un reste de cabinet ministériel assure les "affaires courantes" : mais justement, ces méprisables affaires courantes, ces petits actes de pure gestion, eh bien ça semble amplement suffire. Etonnant, non ? Un pays, petit mais développé, doté d'une longue histoire, membre fondateur de l'Union Européenne, est tout bonnement en train de montrer à la planète qu'on peut se passer de gouvernement.

Le constat ouvre d'énormes perspectives. Il devrait dessiller les yeux, agir comme une révélation, être un choc salutaire : depuis des millénaires en effet, ceux que ça arrange, c'est-à-dire ceux qui ont fait le projet de "vivre sur la bête", expliquent à l'humanité qu'elle doit être "gouvernée". Ce n'a jamais été démontré, seulement asséné, matraqué, répété avec un constant mépris envers cette espèce humaine, si imparfaite n'est-ce-pas qu'elle a besoin d'être dirigée. Ben voyons. Par qui, au fait ? Les imparfaits d'élite. Ce sera ceux dotés du plus de culot, ou des plus gros bras, en attendant d'avoir les armes les plus puissantes, et la télé. C'est effectivement ainsi que ça s'est passé, toute l'histoire des systèmes politiques est résumée là-dedans, à quelques brefs souffles de liberté près, vite "récupérés" avant d'être étouffés.

Mais si quelque chose a bien été démontré, c'est que le crime, lorsqu'il cesse d'être individuel et artisanal pour devenir phénomène de masse, est typiquement une affaire de gouvernement. Les religions y mettent parfois aussi du leur, mais c'est un autre sujet...

La croyance en la nécessité d'un gouvernement (il y a même des masos qui ajoutent "fort") est une pure croyance. Elle ne repose que sur le mépris de l'homme, et cette longue litanie de la terreur acceptée, terreur devenue aujourd'hui plus "soft" qu'elle ne l'a été, mais non moins verrouillée. Quand cette acceptation n'est pas un réflexe de peur, c'est un acte de foi, pas de raison. L'analogie avec la dimension religieuse mérite d'ailleurs d'être développée : après des siècles de profil bas, voire de difficulté à être clairement pensé, l'athéisme philosophique a fini par acquérir droit de cité. Même si ce n'est pas encore vrai partout, il n'est plus "anormal", "scandaleux", ou "criminel", de se passer de religion. Eh bien il est temps aujourd'hui de passer à que je nommerai un athéisme politique : comme Laplace à Napoléon, répondons à ceux qui déplorent une absence de gouvernement, qu'on peut parfaitement, que demain on pourra définitivement, "se passer de cette hypothèse".

Décrire de quelle façon exigerait un long traité juridico-politique, mais le sujet a été abondamment traité, et chacun peut lire (un nom, à la volée ? Lysander Spooner). Attention, ce qu'on nomme anarchisme et qui pourrait "étymologiquement" sembler être une réponse ne s'est pas historiquement révélé adéquat. C'est que sous ce mot on cachait le plus souvent une version particulière d'autoritarisme. Ce n'est donc pas de cela qu'il s'agit. Simplement d'une conception du pouvoir, quoique le mot devienne alors impropre, qui se limiterait aux affaires courantes, une intendance, une sorte de syndic de copropriété, si on veut. (Les copropriétés ont aussi des règlements, pour répondre d'avance à la sempiternelle objection de la "jungle"). De quoi d'autre avons-nous réellement besoin ? D'adjudants-chefs ?

La relation des peuples avec les techniciens de la gestion en serait plus équilibrée, la situation même étant un rappel constant que les gouvernants ne sont pas les "guides", encore moins les "maîtres" de la population mais ses employés.

Impossible, diront les beaux esprits, surtout ceux sortis de l'Ecole des Nuisances Administratives. Mais comment sait-on que c'est impossible ? Où et quand a-t-on vraiment essayé ?

Une petite communauté s'en est peut-être approchée partiellement et brièvement, avant de devenir hélas bien autre chose : la toute première Amérique, mais plutôt avant la déclaration d'indépendance qu'après : dans la période où le pouvoir anglais avait déjà perdu la main, sans que ce soit officiel. C'est souvent dans les temps un peu indécis que la liberté -et l'efficacité, sans cinéma- trouvent discrètement à s'exprimer. Nos temps incertains pourraient en être une nouvelle occasion.

Tiens, on vient juste de découvrir la totale inutilité du Ministère des Affaires Etrangères, dont la capacité prédictive s'est avérée aussi nulle que la capacité réactive ; en plus, celui de notre pays emploie autant de monde que l'équivalent U.S. , ce qui laisse rêveur. Une belle économie à faire, non ? (vu les résultats, les Américains pourraient d'ailleurs la faire aussi)

Mais il est peut-être un peu tôt pour aller tout de suite jusque-là, même si pourtant l'évidence est déjà criante. On pourrait commencer par les collectivités locales, car en France nous sommes bien pourvus, jusqu'à la surcharge : communes, cantons, départements, régions. Le tout sur une surface correspondant à celle du Texas, qui à ma connaissance n'est pas fractionné en 22 régions, 96 Départements, et les poussières restantes. Nos 36000 communes à elles seules sont une farce séculaire, qui se prend hélas d'autant plus au sérieux qu'elle est la plus ancienne, sans parvenir pourtant à cacher son indigence : quoi, des Conseils, des Adjoints, des "Commissions" des "Services", pour gérer les horodateurs et le jour de ramassage des poubelles jaunes ? Un bon secrétaire de Mairie suffirait. Dans les petites communes, la fonction a d'ailleurs longtemps été un emploi complémentaire pour les Instituteurs, ce qui montre bien qu'elle relève du temps partiel. Certes, le maquis des règlements, arrêtés et autre "plans" était moins touffu, mais sa prolifération actuelle est justement l'effet pervers du cercle autoreproducteur "complication-administration".

Et ne parlons pas des régions, autre sommet du ridicule en marbre blanc et voitures noires. C'était quand, la dernière fois que vous avez eu à faire à la Région ? Jamais, comme tout le monde, et pour cause : il n'y a pour le citoyen lambda pas une seule raison d'y aller, même pas pour chercher un de ces bouts de papier dont notre Etat est si friand. Ah oui, il y a les lycées, il paraît que c'est du ressort du Conseil régional. Le seul défaut, c'est que les lycées existaient, et fonctionnaient (au moins) aussi bien qu'aujourd'hui, plus d'un siècle avant qu'on invente les régions. On les leur a transférés pour les occuper, et justifier, avec quelques autres jouets pour apparatchiks inéligibles autrement qu'au scrutin de liste, de lourdes machines qu'une réunion trimestrielle entre chefs de services départementaux suffirait à remplacer, décorum et dépenses de réception en moins. Routes, hopitaux, aide sociale, etc, étaient également fort bien gérés avant qu'on crée un niveau administratif de plus. C'est peut-être là que l'inutilité parasitaire des institutions gouvernantes se mesure le mieux (ceux qui en doutent pourront lire le livre de Zoé Shepard "Absolument dé-bor-dée", éclairante vision de l'intérieur). Bref, avant de passer à la simplification du niveau national, il y a une énorme forêt à élaguer dans la "gouvernance" locale à la Française. Ce sera une bonne façon de s'entraîner à une citoyenneté non confisquée.

En Belgique en tout cas, on est en train de prouver que c'est possible. Sans le faire exprès, mais c'est un début. Merci, amis Belges, de nous aider à voir la réalité avec un regard neuf, et de nous inviter à chanter, avec un célèbre quoique vieillissant Franco-Belge : Demain la vie va commence-e-er...


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4 réactions à cet article    


  • bart153 bart153 15 février 2011 13:01

    La raccourci n’est-il pas un peu facile ? Un pays comme la Belgique, petit, avec une population éduquée et riche d’épargne personnelle, peut en effet « survivre » à une absence de gourvernement. Mais 8 mois, sur l’échelle des changements dans les sociétés (ceux là mêmes qui engendrent des besoins de réformes ou autres), c’est très peu. Quant à prétendre que "(la Belgique) est tout bonnement en train de montrer à la planète qu’on peut se passer de gouvernement."... cela me semble complètement irréaliste.


    • impertinent3 impertinent3 15 février 2011 14:01

      Il y a en tout cas une chose que la Belgique démontre : il vaut mieux ne pas avoir de gouvernement que d’avoir un gouvernement comme celui qui « gouverne » actuellement la France.

      Cela fait moins de dégats !


    • Mmarvinbear Mmarvinbear 15 février 2011 13:03

      Un pays sans gouvernement, cela ne se voit pas au premier abord grâce au gouvernement précédent qui reste en fait en place en attendant le suivant et qui pendant ce temps gère les affaires courantes.

      Le problème arrive quand des décisions doivent être prises et qu’elles ne peuvent l’être car le personnel ministériel n’en a pas le droit.

      Aujourd’hui, les dossiers s’accumulent. Aucune décision n’est prise quand à la construction ou la rénovation de nouveaux hôpitaux ou de nouvelles écoles. Les services techniques ne savent pas quelle route ils vont construire ces prochains mois, ni quelles parties du réseau routier ils devront entretenir et réparer en priorité car leur budget n’est pas voté et les caisses se vident.

      Le monde économique tourne à peu près tout seul, mais les travaux d’extension et de rénovation des ports tels que Anvers sont gelés depuis près d’un an, tandis que Rotterdam fait tourner son Europoort voisin à plein régime.

      Les administrés attendant depuis 10 mois la validation de leurs nouveaux droits. Leurs dossiers sont prêts mais ils s’accumulent car les fonctionnaires n’ont plus d’instructions pour les traiter en conformité avec le Droit, faute de textes signés par le gouvernement.

      Les investisseurs étrangers ont réduit leurs avoirs et leurs investissements. Ils ne savant pas si dans 6 mois, le pays existera encore, ni si leur usine sera en Flandre, rattachée aux Pays-Bas, en Wallonie indépendante ou en France. Ils ne savent pas quel droit social et fiscal leur sera imposé.

      La Belgique est comme une vieille femme qui aligne les opérations de chirurgie esthétiques pour ravaler et lifter continuellement une peau qui ne cesse de se détendre. Sauf que son chirurgien doit faire face à une grève de ses infirmières et qu’il doit attendre avant de recommencer à opérer. Et pendant ce temps, faute d’entretien, la peau de sa cliente se détend lentement.

      Un jour, le chirurgien ne pourra plus dire que « c’est trop tard, la peau ne tient plus, il n’y a plus rien à faire. »

      Et vous verrez que les infirmières se plaindront les premières...


      • Regis Tence Regis Tence 16 février 2011 13:50

        Bien sûr que dans ma référence à la Belgique il y a un peu de provocation (je n’aime pas trop le mot, il suppose l’insincérité, et quand j’écris qu’on peut se passer d’Etat je suis sincère) : Actuellement, la Belgique n’est pas (pas encore) une société sans Etat, et on va évidemment y trouver tous les dysfonctionnements possibles, dès lors qu’on se place en situation d’attente... du retour de l’Etat. Mais l’occasion était bonne pour commencer à réfléchir, et les objections faites y sont justement utiles.
        - Les dossiers non traités : les fonctionnaires ont des TONNES de textes et instructions en vigueur pour les traiter ; il n’y a aucun « vide juridique » dans les pays développés, qui souffrent plutôt de l’excès de réglementation.
        - le budget : à ma connaissance, les Belges ne sont pas depuis huit mois dispensés de payer impôts et taxes, qui rentrent exactement comme d’habitude. On devrait pouvoir entretenir le réseau routier, par exemple. Et savez-vous que chaque année, le parlement ne peut réellement modifier que 5% environ du Budget ? Les autres 95% sont ce qu’on nomme les « services votés », (c’est à dire considérés comme votés d’avance) : tous les salaires, frais de fonctionnement, entretien,etc, des services publics et assimilés, qui sont automatiquement reconduits.
        En fait ces « difficultés » n’apparaissent pas si on ne fait rien de nouveau, et ceci nous amène au coeur du problème : faire du nouveau, c’est prendre des décisions, et la vraie question est : qui prend les décisions, (en principe, le peuple, non ?) et selon quelles procédures ? C’est là qu’un regard neuf ferait du bien. Gardons l’exemple des « Affaires étrangères » : la politique étrangère d’une nation ce devrait être l’affaire non de spécialistes mais directement du Parlement.
        On pourrait en dire autant de tous les domaines où il y a un ministère. Que des structures techniques soient nécessaires pour appliquer les décisions du parlement, chacun l’admet. Mais ce n’est pas la situation qui prévaut dans les pays « démocratiques » modernes : les parlements y sont réduits à l’état de croupions, chambres d’enregistrement même pas maîtres de l’ordre du jour de leurs réunions et votes. N’oublions pas en particulier que 90% des 590000 textes des lois, décrets et réglements en vigueur découlent de la voie dite « règlementaire », sans vote parlementaire. Si en permanence les représentants du peuple pouvaient se saisir de tout sujet, et prendre toutes les décisions concrètes, il n’y aurait nul besoin de « gouvernements » mais simplement de services techniques. Ce n’est pas nécessairement un bouleversement de la vie des hôpitaux ou des D.D.E., mais c’est un énorme changement d’esprit... et pas mal d’économies car les superstructures construites pour capter le pouvoir de décision sont très budgétivores et tendent à s’auto-entretenir à l’infi. C’est à cela qu’il est temps de réfléchir, et donc : vive les Belges...

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