La burqa et les droits de l’Homme
L’opinion publique s’ennuyait. La crise économique, le réchauffement climatique, l’état de notre système judiciaire et de nos prisons, la situation des migrants en France, le manque d’intérêt des européens pour la politique européenne… - pour ne citer que quelques exemples - ne sont pas des sujets assez sérieux. Il fallait en mettre un autre sur la table, le port de la burqa et du niqab (voile qui laisse uniquement apparaître les yeux) dans les lieux publics1.
Cette initiative s’inscrit dans la continuité du débat sur le port des signes religieux dans les établissements d’enseignement. Rappelons-nous les critiques qui avaient alors été adressées à la France au niveau international, et pas uniquement par des pays musulmans. Des experts internationaux des droits de l’Homme, notamment de l’ONU, s’étaient aussi exprimés. Le Président Obama nous le répète. Encore une fois, ce sont les musulmans en général qui sont montrés du doigt.
Comme je l’avais indiqué dans un précédent article (Des politiques de la diversité contre les droits de l’Homme ?), les questions liées à l’affirmation d’une identité particulière sont très souvent le symptôme d’une situation économique et sociale qui va mal : les inégalités s’accroissent, le désenchantement social conduit à la recherche de nouveaux absolus, l’intolérance crée un phénomène d’exclusion auto-entretenu… Le port de la burqa et du niqab ne fait pas exception. L’approche adoptée passe dès lors à côté du problème ,quand elle n’aggrave pas la situation.
En effet, dans le meilleur des cas, on exige alors des personnes concernées un « récit de soi » pour justifier des choix ou des faits qui, la plupart du temps, relèvent de l’intime. Le sentiment de foi est un sentiment profondément intime2. Dans le pire des cas, un récit sur l’Autre est imposé. C’est notamment le cas quand nous cherchons à répondre à la question du caractère religieux ou non du port de la burqa.
La question n’est pas ici de savoir quelle est la réalité objective des justifications religieuses au port de la burqa, mais celle de la représentation que s’en font les personnes concernées. On ne peut douter a priori de la sincérité de la majorité des femmes qui portent ces vêtements. Selon Bernard Godard, spécialiste de l’islam, si certaines femmes souffrent de ce voile qui les ensevelit de la tête au pied, « la majorité a volontairement adopté cette tenue » (Le Figaro, 19/06/09).
Enfin, les discriminations et violences dont sont victimes certaines de ces femmes ne peuvent être niées. Il existe cependant des dispositifs juridiques qui permettent de lutter, toujours plus efficacement, contre ces phénomènes. Les services sociaux, les mesures de lutte contre les dérives sectaires peuvent tout à fait répondre aux enjeux posés par la burqa et le niqab.
Pourquoi cette question surgit-elle maintenant ? Le soutien à cette proposition visant à créer une “Commission d’enquête sur la pratique du port de la burqa et du niqab sur le territoire national” ne peut manquer d’interroger l’observateur attentif : 3 PCF, 7 PS, 49 UMP, 2 Nouveau Centre, 3 Non inscrits. Demandons-nous : pourquoi le 30 novembre ? Quels projets de lois seront discutés par le Parlement à cette période (ils sont pour la plupart déjà déposés aux bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat) ? De quoi souhaite-t-on détourner notre attention ?
Si l’enjeu d’un tel débat ne portait pas à conséquence, nous pourrions ne pas y prêter attention. Cependant, le problème d’une telle proposition est qu’elle ressuscite la tentation de la négation de l’Autre, en encourageant tous les amalgames. Elle permet d’oublier la complexité du réel au profit d’un discours sécuritaire. A cet égard, le lien fait par les députés André Guérin et Pierre Lellouche avec l’Afghanistan (Libération, 17 et 18/06/2009) n’est pas innocent.
La question soulevée par le port de la burqa renvoie à des interrogations fondamentales de tout un chacun et peut très facilement, au moyen de quelques manipulations populistes, devenir consensuelle, à l’instar de la loi du loi 15 mars 2004 sur le port de signes religieux ostensibles dans les écoles publiques primaires et secondaires. L’acharnement de la majorité contre une minorité et leurs défenseurs ne devrait pas être possible dans une démocratie digne de ce nom. Les droits de l’Homme nous rappellent qu’un gouvernement démocratiquement élu, même au nom d’une majorité, ne peut pas faire n’importe quoi.
1 Pour consulter le projet de résolution : http://www.andregerin.com/admin/img/eve/00001.1832.prop_resolution_burqa.pdf
2Je précise que, pour ma part, je suis athée.
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