La « caravane des mal-logés » frappe à la porte de l’Elysée
Partie de Pau le 18 octobre 2008 à l’initiative du droit au logement, la caravane des mal-logés, des sans-logis, des locataires et des expulsés est arrivée à Neuilly-sur-Seine ce dimanche 26 octobre après avoir fait une ribambelle d’étapes dans nombre de villes judicieusement sélectionnées car exemplaires de la spéculation qui a enflammé le marché du logement durant ces dernières années. L’enjeu, encore une fois, n’était pas tant de sensibiliser l’opinion publique que le monde politique à la problématique fondamentale du logement en France. Toujours d’actualité, la situation s’est considérablement enkystée du fait d’un marché devenu fou sous la pression d’une spéculation largement malsaine.
Avec la crise mondiale qui s’installe, financière au départ mais qui contamine peu à peu l’économie dite réelle, la caravane des mal-logés, des sans-logis, des expulsés et autres personnes en grande difficulté au regard du logement prend un relief tout particulier. En effet, alors que le monde de la finance mondiale se voit épaulé, accompagné et fortement soutenu par les principaux Etats, à grand renfort de milliards de dollars et d’euros, afin d’écoper un navire à la dérive qui prend l’eau de toutes parts, la France doit encore faire face à ses millions de foyers en prise avec une situation d’hébergement précaire [1].
La tension est extrême, le bilan est catastrophique et la spéculation à outrance aura fini de mettre à mal un secteur pourtant essentiel quant à la paix sociale. De plus, ce n’est pas la loi Boutin qui aura pu apaiser les choses, ce texte remettant explicitement en cause le quota de 20 % de logements sociaux fixé par la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbains). Heureusement que les sénateurs ont su être sages en rejetant sèchement le texte proposé, gageons que l’Assemblée nationale saura elle aussi faire diligence dans le même sens. Il serait très mal venu de la part du législateur de rendre opérationnelle une législation qui ne ferait qu’accroître les inégalités déjà criantes.
A ce titre, la dernière étape de cette pérégrination militante se voulait comme un symbole fort. En choisissant Neuilly-sur-Seine, "la caravane des mal-logés" souhaitait mettre en avant cette agglomération qui ne compte que 3,2 % de logements sociaux. Certes, il s’agit de la commune la plus riche de France, pour autant, elle connaît aussi son lot de mal-logés puisque le maire de la richissime cité, Jean-Christophe Fromantin, estime à un millier le nombre de personnes en grande difficulté par rapport au logement. Même s’il profite de l’occasion pour accueillir respectueusement la caravane, il serait très étonnant que les habitants de la célèbre ville soient désireux d’une plus grande mixité sociale. Il est de loin préférable de s’acquitter des pénalités fixées par la loi, que de voir une horde de gueux envahir la prospère commune, doivent penser une majorité de ses contribuables résidents.
Aussi les organisateurs de la caravane (DAL, Emmaüs de Pau, la Coordination antidémolition, le Comité des sans-logis, le réseau Halem) avaient de la suite dans les idées en réalisant un parcours qui aura ciblé les villes et les régions où le logement aura fait les frais d’une spéculation outrancière, notamment dans le grand Ouest de la France. A Bordeaux, le collectif a souligné l’intolérable en positionnant des banderoles sur la façade d’un immeuble inoccupé et de demander l’application de la loi de réquisition lorsque cela est la dernière solution. Jean-Batiste Eyrault (DAL) de rappeler qu’il y a 1,7 million de logements vacants en France et qu’il faudrait en fait cumuler les différentes solutions disponibles pour résorber l’essentiel des difficultés posées par le logement. Soit bâtir du logement social, suspendre les expulsions et faire pression pour que les loyers soient orientés à la baisse.
Dans ce contexte, le droit au logement opposable fait pâle figure et reste en l’état largement inapplicable comme nous l’avions souligné dans un précédent billet. Cette législation ne viendra pas à bout d’une situation inextricable tant les chiffres disponibles restent effrayants [2].
En effet, comme le souligne le rapport 2008 de la Fondation Abbé Pierre, chaque année en France, 4 millions de personnes sont en quête d’un logement ce qui crée une tension très forte sur un marché livré aux spéculateurs, d’autant que l’Etat ne joue pas pleinement son rôle de régulateur. Et les maisons Borloo me direz-vous, vaste plaisanterie qui n’aura pas fait rire grand monde, tout comme les maisons Boutin à 15 euros par jour, ad vitam eternam. Des solutions en trompe-l’œil auxquelles peu auront cru tant l’effet d’annonce se voulait aveuglant, chacun de ces ministres se prenant pour un père Noël au discours creux et à la hotte bien vide.
Bien sûr, les solutions relèvent d’une politique de fond, ambitieuse et volontaire, avec un Etat qui devrait s’octroyer le même rôle que celui qu’il vient d’endosser pour prendre à bras le corps une crise financière qui pourtant était envisagée depuis bien longtemps par nombre d’observateurs plus ou moins aguerris. En effet, nul besoin d’être prix Nobel d’économie pour mesurer combien le capitalisme financier spéculatif était en train de dériver inexorablement vers les hauts fonds acérés d’une avidité sans fin, bien loin des fondamentaux perdus de vue depuis fort longtemps.
C’est donc cela que tous les mal-logés, sans-logis et autres expulsés sont en droit d’attendre d’un Etat digne de ce nom. Etablir des règles équitables pour tous, compenser les effets pervers d’un système qui produit de plus en plus d’exclusion. Maintenant que la nation a volé au secours de l’univers impitoyable de la finance, il est grand temps désormais de commencer à prendre en compte les plus fragiles de nos concitoyens, au-delà d’un revenu minimum d’insertion (d’exclusion devrions-nous écrire) qui ne fait que maintenir dans la précarité un quart-monde toujours diabolisé.
Mais, la caravane qui devait achever son parcours devant les grilles de l’Elysée s’est vue signifiée que cette destination lui était interdite, faut-il y voir là un symbole pour l’avenir ?
[1] Rapport 2008 sur l’état du mal-logement en France. Fondation Abbé Pierre.
[2] Quelques chiffres concernant le logement.
Photographie AFP, la caravane devant la mairie de Bordeaux.
14 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON