La Convention citoyenne pour le climat ou l’agonie annoncée des petits commerces
D’octobre 2019 à juin 2020, 150 Français ont participé à la Convention citoyenne pour le climat. Si l’intention de départ était louable sur les thèmes environnementaux, certaines recommandations d’ordre économique ressemblent à de fausses bonnes idées. Et les premiers à trinquer seront très probablement les petits commerçants déjà fragilisés.
« Si jamais je ne peux plus passer de publicités dans les bulletins de quartier ou organiser la distribution de prospectus dans les boîtes aux lettres, je mettrai la clé sous la porte dans les mois qui viennent, s’alarme Patrick, l’un des nombreux commerçants de la rue d’Avron, dans le 20e arrondissement de Paris. Je sais que ces publicités me ramènent beaucoup de clients, car j’organise souvent des promotions ou des ventes discount. Les gens du quartier apprécient beaucoup ça, ils en ont besoin. » A l’image de Patrick, dans les quartiers populaires de Paris comme partout en France, les petits commerçants ont lu avec beaucoup d’intérêt les conclusions de la Convention citoyenne pour le climat. Avec beaucoup d’intérêt, mais surtout beaucoup d’inquiétude car la publicité locale est aujourd’hui dans la ligne de mire des pouvoirs publics. Un enjeu essentiel pour eux.
La publicité pointée du doigt
A l’heure où l’écologie politique surfe sur le succès des dernières élections (européennes en 2019 et municipales en 2020), à l’heure où la décroissance séduit de plus en plus de citadins, la publicité est devenue une cible privilégiée, car accusée d’être une source de surconsommation. Au sein de la Convention citoyenne, le groupe de travail chargé de la consommation a donc préconisé l’interdiction de la publicité pour « des produits les plus émetteurs de gaz à effets de serre, sur tous les supports publicitaires », une diminution du nombre de publicités « pour limiter fortement les incitations quotidiennes et non-choisies à la consommation », ainsi que la mise en place de « mentions pour inciter à moins consommer ». En résumé, l’idée est de consommer moins, de consommer mieux.
Sur le papier, les intentions sont louables. Mais dans les faits, les recommandations finales de la Convention citoyenne vont plus loin. Elles proposent « d’interdire les panneaux publicitaires dans les espaces publics extérieurs, hors information locale et culturelle ainsi que les panneaux indiquant la localisation d'un lieu de distribution ». Pour un secteur – la publicité – déjà au bord de la crise de nerf comme le rappelle Libération, les répercussions seront évidentes. A cela s’ajoute une disposition destinée à réduire à peau de chagrin la distribution d’imprimés sans adresse (ISA), autrement dit les prospectus que nous recevons tous dans nos boîtes aux lettres. Si certains Français accolent déjà la mention « Stop Pub » sur leurs boîtes (depuis 2004), une nouvelle disposition pourrait entrer en vigueur prochainement avec l’instauration de la mention « Oui Pub », fortement souhaitée par certains députés écologistes.
Oui mais. L’effet d’une telle disposition sera catastrophique pour les annonceurs. Et les premiers d’entre eux ne sont pas des multinationales surpuissantes ou les chaînes de la grande distribution, mais les petits commerçants au bout de la rue. D’autant que le gouvernement a fait passer une directive en mars dernier synonyme de double peine : « Le dépôt dans les boîtes aux lettres de cadeaux promotionnels non sollicités ainsi que la distribution d'imprimés publicitaires sur les parebrises des véhicules seront interdits. Les entreprises qui ne respecteront pas ces dispositions seront passibles d'une amende de 1500 euros. » Un acharnement que les commerçants ne comprennent pas.
Les petits commerçants, victimes collatérales de la bien-pensance
Tous les commerçants de France s’accordent sur un point : les prospectus sont le plus sûr moyen – bien plus efficace que les campagnes d’e-mails ou les encarts publicitaires sur Internet – de faire venir à eux la clientèle. Les chiffres avancés par la profession font réfléchir : « 9 Français sur 10 (90%) estiment que les petits commerces dynamisent et animent les territoires. Presque autant (87%) considèrent qu’ils contribuent au lien social. Les petits commerces sont associés à des valeurs fortes. Les clients apprécient leur taille humaine (pour 90%), leur convivialité (pour 86%), leur savoir-faire (pour 84%) et leur qualité (pour 84%). » Ces petits commerçants ont donc un besoin vital de se faire connaître. Pour les professionnels du secteur, trois raisons essentielles justifient le maintien de la distribution de ces imprimés sans adresse : distribuer des prospectus augmente la visibilité dans son quartier, permet d’expliquer son offre et son positionnement, et contribue à fidéliser la clientèle. Sans prospectus publicitaires locaux, ce sera donc mission impossible pour les petits commerçants de se faire connaître. Et les conséquences – sur l’emploi en particulier – pourraient être désastreuses pour un secteur – celui des commerçants indépendants – qui représente tout de même 20% du PIB selon la Confédération des commerçants de France (CCF).
Effet dominos sur les sous-traitants
Face aux projets du gouvernement, tous les acteurs font front commun : les associations de commerçants comme la CCF ou la FFAC (Fédération française des associations de commerçants) ainsi que l’industrie des arts graphiques qui sera elle aussi touchée car dépendante de la création et de la fabrication des prospectus publicitaires. Très préoccupée par les conséquences sur les emplois de la filière, l’UNIIC (Union national des industries de l’impression et de la communication) s’inquiète aussi en effet des conséquences environnementales délétères des projets de lois en cours et à venir : « Nous ne saurions souligner les impasses environnementales vers lesquelles peuvent paradoxalement mener une cabale contre des produits imprimés à la fois mal définis et injustement amalgamés les uns aux autres, dans un contexte général de dématérialisation de la communication. » D’un bout à l’autre de la chaîne pour le fonctionnement économique des commerces de proximité, l’inquiétude est donc réelle.
Dans sa boutique de prêt-à-porter de la rue d’Avron à Paris, Patrick, lui, ne sait toujours pas quelle parade il pourra trouver à partir de 2021 pour faire connaître ses bons plans aux habitants de son quartier : « Cela fait 32 ans que je suis ici, et 32 ans que je distribue de la publicité dans les boîtes de mon quartier et que ce système fonctionne. Je ne vais pas commencer à faire de la publicité sur Facebook à mon âge. En plus, tout le monde dit que ça coûte cher et que ça ne sert à rien. » A l’image de Patrick, les commerçants français vont devoir se battre contre cette mesure inique. Sous peine de baisser le rideau !
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