La France est, dit-on, le pays des grèves, des manifestations, des 35 heures, des fonctionnaires fainéants, pays qui a dit « non » au traité constitutionnel européen.
Pourtant la France, c’est aussi la patrie des droits de l’homme et du citoyen, celle des Lumières, l’une des principales propagatrices de l’humanisme, l’une enfin à avoir été l’une des premières à faire sa révolution en faveur de la République.
On assiste aujourd’hui à
une évolution du monde assez difficile à comprendre et analyser et
l’individu (en tant qu’entité individuelle) à souvent du mal à se
situer ; que ce soit en termes de classe, d’opinion politiques, de
vision philosophique... Pourtant certaines personnes déclarent
apercevoir une baisse de la revendication dans notre pays. Je me suis
donc quelque peu penché sur le problème pour voir si tel était bien le
cas.
Cette analyse se scindera en trois parties
distinctes : premièrement, on tentera d’analyser l’évolution
particulière de nos mœurs et de notre société depuis quelques années et
nous tenterons de comprendre pourquoi certains déclarent qu’il existe
une baisse des revendications.
En second lieu,
nous tenterons de nous pencher un peu plus sur l’aspect politique et
essaierons de voir en quoi les politiciens de tout genre (mais plus
spécifiquement le mouvement de gauche et d’extrême gauche car plus
considéré comme "acteur" de la revendication sociale) ont assisté et
contribué à la propable baisse de revendications.
Enfin, la dernière partie se penchera sur la question quasi existentielle : pourquoi le conflit social doit se poursuivre ?
L’évolution
particulière de la France dans la revendication est donc la principale
question posée dans cette partie. Comment en sommes-nous arrivés là ? La
société française, et cela comme toute société dites "civilisées" (c’est-à-dire
toutes sociétés aujourd’hui) est en constante évolution. Mais, depuis
la fin de la Seconde Guerre mondiale nous nous retrouvons en face de
changements plus qu’importants : bipolarisation du monde, puis
effondrement du bloc communiste, plein emplois, puis hausse toujours
grandissante du chômage, fin de tous les régimes de colonisations,
droitisation de la politique, nouveaux conflits... Même si tous ces
changements ne touchent pas directement la France, ils y ont, quoi qu’il
en soit, un impact. L’arrivée de la mondialisation et cette unipolarité
hégémonique des États-Unis sont des facteurs aussi importants dans le
changement de mentalité et de mode de vie française. Dès la fin de la
guerre, après l’acceptation du Plan Marshall, les pontes de la politique
savaient que le peuple ne tomberait jamais sous le "péril rouge" ayant
désormais l’aide de la super puissance américaine et de son modèle
capitaliste dont il faut suivre l’exemple ç tout prix. Pourtant avec
ces 800 000 membres le PCF, aidé des syndicats, était loin d’être une
force négligeable.
"Le conflit social
opposera la nation et le prince, puis les travailleurs et les
employeurs. Existe-t-il un tel conflit aujourd’hui ?"
Alain Touraine
C’est
dans la population ouvrière, le prolétariat que le notion de changement
a été le plus marquée. Le système devait s’effondrer et seul la lutte
contre le capitalisme était la bonne voie ! Fort de l’influence de
l’URSS de Staline et de syndicats révolutionnaires comme la CGT, le
mythe du grand soir a failli bel et bien se réaliser.
A
l’époque, la revendication était le seul moyen de se faire entendre, les
politiques n’ayant que faire des classes populaires et ouvrières.
Blocus d’usine, rassemblement, manifestations (et souvent émeutes)
étaient le pain quotidien de cette classe sociale pour se faire
entendre des "grands patrons".
Cette classe
ouvrière, "en lutte dès sa constitution", est bel et bien la plus
représentative de nos revendications contemporaines. Mais, avec le
temps (et le fameux "changement" du monde et des mentalités), cette
classe ouvrière se réduisit, la société française se généralisant en
une "grande classe moyenne" au point que certains économistes et
philosophes déclarent la fin pure et simple de la classe ouvrière
française.
De même, la montée de
l’individualisme détruisit l’ancienne sacro-sainte "solidarité du
peuple", composante essentielle de l’identité ouvrière.
Ce
qui est frappant aujourd’hui est aussi la baisse du pouvoir des
syndicats français et, par conséquent, de leur nombre d’adhérents : en
1949 plus de 40 % des salariés étaient syndiqués alors que en 1997 ce
taux se réduit a 9 % ...
"40 % de salariés syndicalisés en 49 ; 9 % en 97 !"

Comment
expliquer cette baisse de pouvoir des syndicats français ? Les conflits
inter syndicaux telles les scissions ou encore cette baisse d’intérêts
des Français pour tout ce qui touche de près ou de loin à la politique
en sont des causes considérables.
Pourtant on
peut aussi penser à l’inexorable montée de l’individualisme ou encore à
la montée du chômage, la précarisation de l’emploi, tous ces facteurs
qui poussent les gens et en particuliers les jeunes à moins revendiquer
ou se syndicaliser de peur de perdre leurs emplois ou certains
privilèges. Sur ce point le paradoxe d’Olson est assez représentatif : un individu dit "rationnel" (c’est-à-dire qui ne considère que ses intérêts
individuels et qui ne cherche qu’à maximiser ces revenus) n’aura aucun
intérêt participer aux grèves ou encore à se syndiquer puisque les
bénéfices qui en découlent sont des biens collectifs, soit appartenant
à tous, grévistes ou non, syndiqués ou non... Une perte de salaire
(dans le cas d’une grève) ou se faire mal voir de son supérieur sont
des élément à prendre en compte et qui vont pousser l’individu à
espérer récolter les bénéfices de ces actions collectives sans pour
autant se "mouiller".
Ce paradoxe nous emmène
obligatoirement à la baisse des grèves. Prenons quelques chiffres pour
exemple : 3 000 000 de journées individuelles non travaillées pour
cause de conflit social en 1955, 150 000 000 en 68 (année plus
qu’exeptionelle), 5 000 000 en 76 ; et depuis 78 une baisse constante
(sauf en 95) pour atteindre 500 000 en 2000.
"3 M de JINT pour cause de conflit social en 55 , 150 M en 68 , 500 000 en 2000..."
L’association
de tous ces facteurs (baisse des classes les plus revendicatives,
précarisation du travail, chômage, baisse d’influence des syndicats,
individualisme...) a comme résultat une baisse significative de la
mobilisation revendicative française. Pourtant de nouveaux facteurs
viennent encore aggraver le coup.
Les
mentalités changent et les problèmes aussi : de nouvelles formes de
discriminations viennent remplacer l’ancienne "lutte du prolétariat".
Les nouveaux mouvement sociaux (NMS) se battent aujourd’hui contre le
racisme, pour un monde écologiste, pour les droits de la femme, ceux
des homosexuels et cela plus que pour la hausse des salaires ou encore
l’apparition de nouveaux "droits sociaux". Pourtant, il reste clair que
ces NMS sont loin d’avoir autant d’importance que les anciens conflits
sociaux. Comme le déclare E.neveu : "Les anciennes luttes se déclaraient
des classes [...], les nouvelles renvoient à d’autres principes."
La
société dans laquelle nous vivons fait donc moins entendre sa voix par
le biais des syndicats. Son action a changé au fil du temps et seuls
certains mouvements prônent une action directe contre l’Etat. On assiste
donc dans la plupart des manifestations, grèves, à des gens qui se
battent pour conserver leurs acquis sociaux plus que pour en défendre de
nouveaux...
"C’est
la défense des droits culturels et sociaux des individus et des
minorités, aujourd’hui, qui est le but positif des mouvements sociaux."
Alain Touraine

Pourtant, tous ces facteurs ne sont pas l’entière cause du problème :
on peut facilement penser à une faute des politiques et plus
particulièrement de la gauche (modérée et extrême), véritable ancien
bastion de la revendication. Le désenchantement des Français pour la
politique en général et le fait que la plupart des voix dites
"populaires" anciennement imcombées à l’extrême se retrouve désormais
au Front national de M. Le Pen et, plus proche de nous, à notre nouveau
président. On peut donc voir que le mécontentement français est toujours
là, mais qu’il a changé du tout au tout : de la gauche révolutionnaire on
arrive à une "droite décompléxée" ; de la peur de la vague rouge, du
fameux péril, on en arrive à la vague bleue (qui fait tout aussi peur à
certains).
La gauche a bel et bien déçue et
autant au niveau des modérés (PS) que des extrêmes (PCF, Verts). Avec
une guerre fraticide au PS, avec un PCF qui est incapable de définir la
notion "être communiste aujourd’hui" et qui, malgré son nombre
important de militants actifs, peine à recueillir plus de 2 % des voix à
la présidentielle. Nous avons aussi les Verts qui sont en pleine crise
: après leur score plus que décevant, on en arrive à penser à la
reformation totale du parti ou, pis encore, à la création d’un nouveau.
LO semble s’enraciner dans des ideaux plus que vieillots (même pour les
utopistes...). Seuls la LCR, et son leader charismatique O. Besancenot,
arrive à remonter la pente avec 9 %. Peut-être est-ce ce qui manque à la
"gauche de la gauche" : un nouveau souffle, une nouvelle jeunesse et,
enfin et surtout, des actions concrètes à la place des mots.
"La politique du PCF 2007, c’est celle des socialistes d’après-guerre à leur époque."
Pourtant cet échec de l’extrême gauche et de la gauche "paraît d’autant
plus cinglant qu’il fait suite à une période d’euphorie", dixit Frédéric
Lebraon : victoire du "non" au référendum constitutionel, mouvement
anti-CPE, "bataille de Seattle", discrédit de l’OMC... Le manque
d’unité et de (re)définition du mouvement est sûrement l’un des
facteurs clés de cet émiettement. Et comment les revendications peuvent-elles avancer si l’unité n’est pas au rendez-vous ?
Pour
prendre un exemple concret, dernièrement à la télévision, un
politologue déclarait dans un débat que la politique du PCF lors de la
présidentielle était quasiment la même que celle des socialistes d’après-guerre à leur époque.
Qui plus est, la
droitisation occidentale (Sarkozy, Aznar, Berlusconi, Bush...) pousse
la gauche et son extrême à se "droitiser" elle-même pour toucher plus
d’électeurs.
Certains diront que c’est
l’évolution et que la plupart des idéaux apportés par l’extrême gauche
sont vieillis et passés, mais personne n’a eu une place plus importante
que ces diverses formations politique (la CGT étant un organe du PCF à
une certaine époque) dans le conflit social.
Aujourd’hui,
on en arrive à se demander si le peuple veut vraiment que ce soit J.M.
Le Pen ou N. Sarkozy qui remettent le conflit social en place (du moins
leurs versions du conflit social et des revendications...)
Seules
les diverses ONG et associations sont en mesure de relancer le débat
social et pourtant, là encore, le manque d’unité et certaines fois de
cohésion nuisent à l’intégrité du mouvement.
Mais pourquoi une poursuite du conflit social est-elle préférable ?

Dans
la société actuelle le rôle du conflit social n’est pas clairement
ancré dans notre esprit. Peu de gens (et surtout ceux des jeunes
génération) ont eu à se battre pour acquérir de nouveaux droits. Les
congés payés et compagnie sont un droit fondamental et non un acquis.
Pourtant ce sont nos aïeux qui se sont battus pour avoir ces droits
et ce n’est pas arrivé tout seul.
Mais, si ce n’est le peuple, qui va défendre ou demander de nouveaux droits ?
Le militantisme s’efface peu à peu des priorités : perdre du temps (qui plus est pour les autres) c’est de l’argent !
Et même si la plupart des gens ont du mal à se poser toutes les
questions qu’il faudrait sur leur vie il y en a une dont la réponse est
certaine : l’avancée sociale n’avancera que par la revendication.
Cette vision peut paraître quelque peu à contre-courant ("la France qui
se lève tôt") et ce n’est sûrement pas le président ou ses ministres
qui vont nous pousser dans la rue pour revendiquer. Tout le monde sera
d’accord sur le fait qu’il est difficile d’imaginer un monde meilleur
dans le conservatisme présent.
Tout (et je dis bien "tout") Français
est prêt à admettre que le monde change ; et pas en bien. Au lieu de
demander plus de sécurité, moins d’aide à ceux qui en ont besoin, ne
serait-il pas temps de dire aux dirigeants de cesser la répression,
d’arrêter de brader éducation et santé, d’utiliser nos soldats là où ils
sont attendus (Darfour) et non dans des bourbiers comme le fait si bien
Bush ?
Le problème est que tous ces facteurs
sembleront naturels à nos enfants... Faire la guerre pour du pétrole,
laisser nos sans-abris mourir de froid, frapper et enfermer quand il
faut du dialogue... Pour éviter qu’une nouvelle génération qui ne se
posera plus de questions, qui acceptera sans broncher et qui ne
revendiquera pas n’apparaisse, il est peut-être temps de faire quelque
chose au lieu de s’écrier que le monde va mal ! Car si ce n’est pas
nous, qui va le faire ?
Faire comprendre à ceux
qui nous dirigent que l’argent n’est pas un dieu et que nos enfants
sont en droit de vivre dans un monde au moins aussi bon que le nôtre,
sinon meilleur et non dans une Babylone effondrée, éventrée, dans
l’abîme...