La politique du caniveau

« Votre opinion ou l'avis ! »

Se peut-il que notre société soit tombée si bas, qu'à force de micros-trottoirs, d'enquêtes au débotté, de sondages de plus en plus superficiels, nous soyons passés imperceptiblement à la politique du caniveau tandis que journalistes et élus nationaux se font les égoutiers de cette nouvelle manière de mener leur barque dans les immondices de la société du tout numérique ?

Voilà un préambule qui ne manque pas de complexité dans un univers qui privilégie le simple au complexe, le rapide au mûrement réfléchi, l'effet de manche et l'élément de langage à l'analyse circonstanciée. Pourtant, les médias et nos chers responsables ne cessent d'évoquer des enquêtes d'opinion pour expliquer un phénomène ou justifier une décision, alors qu'il ne s'agit malheureusement que de l'émanation d'avis non éclairés.

Comment peut-on considérer qu'interpeller un individu lambda sur un trottoir ou par téléphone en lui posant une question forcément biaisée pour satisfaire aux intentions des commanditaires de la démarche, permette de révéler les profondes convictions d'une population qui du reste n'en a plus guère.

Une opinion suppose, je ne me fourvoie pas, d'avoir au préalable étudié les tenants et les aboutissants d'un dossier qui a nécessité une étude sérieuse, étayée par des sources variées et compétentes, dégagées de l'influence des parties prenantes. Vous pouvez soudainement mesurer l'écart entre ces critères et la réalité de terrain que nos sondeurs en mission doivent qualifier de variables d'ajustement.

Ils s'ajustent tellement bien qu'ils parviennent toujours à faire dire à cette masse informe qu'ils nomment « Peuple » ce pour quoi ils ont été payés. Comme de l'autre côté, la majorité silencieuse, tellement habituée d'être condamnée au silence et au mépris, se réjouit soudainement d'être ainsi consultée, d'avoir de l'importance aux yeux de ses gouvernants, la réponse va toujours dans le sens des espérances.

Le plus insupportable dans ce jeu de dupe c'est que c'est avec de l'argent public que l'on finance ce qui relève de la désinformation, de la manipulation et du conditionnement. Il y a tromperie sur la marchandise et plus encore sur ce qu'ils nomment « Une photographie de l'opinion ! ».

Souriez, vous êtes consultés et surtout regardez bien l'objectif qu'il vous appartient de ne pas perdre de vue tout en répondant dans l'instant à une question qui eut jadis, mérité une longue réflexion. Le miroir déformant se contente de saisir un instant qui ne se fonde sur rien d'autre que la répétition de ce qui se murmure un peu partout.

Nous sommes entrés dans la dictature du café du commerce, des propos de comptoir que l'on répète à la manière de perroquets qui se redressent fièrement sur leurs ergots. Rien de ce qui se trame ici n'est digne d'une démarche scientifique. Devinant la vacuité de ce système, de temps à autre, naissent des comités citoyens qui sont réunis pour étudier à fond un sujet de société en consultant les experts que l'on veut bien leur présenter.

Au terme de ce travail inhabituel qui demande compétence, motivation et outils intellectuels d'analyse, des recommandations arrivent dans les allées du pouvoir qui servent le plus souvent de paillasson à des élus qui ont depuis trop longtemps pris le parti de mépriser le peuple. Pour une fois que de véritables opinions émergeaient du marigot habituel qu'on nomme honteusement « opinion publique », celle-ci est dénaturée, censurée, déconsidérée, oubliée.

Dans pareil contexte, il n'est qu'une chose à faire : « Refuser systématiquement de répondre à ces enquêtes ou de participer à ces comités ad-hoc qui ne sont là que pour vous mener en bateau par le bout du nez. C'est là non point mon avis mais une opinion affirmée en connaissance de cause.

Dessins de Marius Rossillon