La prothèse cellulaire
Les sens en question.
Les scientifiques vont devoir très vite se pencher sur une curieuse évolution de l'homo-sapiens. Depuis quelques années, ceux-ci ne sont plus capables d'utiliser deux de leurs sens sans avoir recours à une prothèse qui semble leur servir de substitut à leurs systèmes oculaires et auditifs. On s'interroge sur ce phénomène qui non seulement est particulièrement inquiétant sur la santé mentale de ceux qui en sont victimes mais de plus, sur la gabegie énergétique qu'engendre cette folie collective.
Étrangement, ce symptôme ne semble pas préoccuper les autorités qui font tout pour l'encourager et le prennent du reste à leur propre compte, puisque nombre de nos responsables sont eux aussi touchés par ce mystérieux dérèglement structurel. Nulle action publique ne vient mettre un frein à une dérive qui altère grandement les facultés individuelles des victimes tout en ayant une influence négative sur la vie collective.
Tout a commencé de bien étrange manière par la métamorphose d'un appareil téléphonique qui en plusieurs étapes insidieuses est devenu progressivement la prothèse générale de l'individu moderne. L'instrument en question, non content de transmettre la parole à distance a considérablement étendu sa palette technologique au point désormais de remplacer pratiquement toutes les fonctions cognitives de l'individu.
Comme les pouvoirs publics se sont engouffrés dans la brèche afin qu'il devienne leur plus fidèle rapporteur, dénonçant en permanence tous les faits et gestes de son propriétaire, rien n'a été fait pour entraver cette pandémie mondiale. Aucun laboratoire du reste n'envisage de lancer des recherches pour un éventuel vaccin, ce qui devrait vous mettre la puce à l'oreille.
Alors, nous devons accepter désormais qu'en tout lieu et en toute occasion, des contaminés s'emparent de leurs prothèses pour filmer, enregistrer tout ce qu'ils vivent. Il en est même qui sont devenus le principal sujet de cette pratique, passant leur vie à se filmer eux-mêmes dans toutes les activités d'un quotidien pourtant d'une banalité sidérante.
Malheur à qui veut se rendre à un spectacle de quelque nature qu'il soit, en espérant pouvoir le regarder et l'écouter avec ses propres outils mis à sa disposition par une nature pourtant généreuse. Il devra se contenter de regarder ses milliers d'écrans lumineux qui font barrage entre lui et la scène. Faute de profiter de l'animation il n'aura plus qu'à se rendre sur les réseaux sociaux pour découvrir ce dont il fut honteusement privé.
Car non seulement ces malades font une captation parasite mais qui plus est, inonde la toile de ce qu'ils se sont appropriés au détriment de quelques autres. Ceci avec une débauche de moyens technologiques pour permettre à cette folie de se répandre sur la planète tout entière. Désormais, on envoie des satellites dans l'espace pour permettre à ces aliénés d'exister par le truchement d'un petit film qui atteste de la vie trépidante qui est la leur.
Faudra-t-il organiser des cures de désintoxication pour ramener à la raison ces malades chroniques ? Devra t’on leur proposer des stages afin de découvrir les règles de vie en société ? Sera-t-il nécessaire de brouiller les pistes et les cartes pour mettre hors d'état de nuire ce maudit appareil qui empêche de jouir pleinement de n'importe quel spectacle ?
Et surtout, parviendra-t-on à clouer sur leur siège tous ces virtuoses de la prise de vue, qui se permettent de bouger pour réaliser des travellings saisissants, des cadrages mirobolants avec des angles de vue qui supposent de gêner tout le monde ? Je crains que le mal soit si profond que plus rien n'est à attendre de ces générations condamnées à ne plus voir, entendre, penser, parler, communiquer, aimer, manger que par le truchement de cet effroyable destructeur du lien social.
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