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La Psychanalyse à l’épreuve de l’Autisme

Début septembre 2011 sortait le film « Le Mur : la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme ». Peu connu du grand public, ce documentaire a fait grand bruit dans le petit milieu des familles et professionnels concernés. En effet il dévoilait sans fioritures ce que pensent des psychanalystes de renom de l’autisme et de ses causes, notamment la culpabilité des mères. Devant le tollé dévastateur provoqué par ce film, trois des psychanalystes interviewés dans le film réussissent à faire interdire le film début 2012 par le biais d’un procès en justice, estimant que la réalisatrice Sophie Robert avait dénaturé leurs propos au montage. Il aura fallu deux ans de procédure pour qu’enfin la Cour d’Appel de Douai infirme le jugement le 16 janvier dernier.

 A la sortie du film, nous écrivions l’article « Autisme : les psychanalystes dans le Mur » dans lequel nous résumions les passages du film les plus marquants. Tel celui où une psychanalyste explique doctement que « mieux vaut un inceste paternel qu’un inceste maternel, parce qu’un père incestueux, ça donne une fille juste un peu débile, alors qu’une mère incestueuse ça fait un garçon psychotique » (comprendre : autiste). Ou celui, devenu culte, dans lequel une psychanalyste exerçant dans le Nord de la France expliquait la notion de « mère crocodile » qui veut symboliquement dévorer son enfant, empêchée en cela par le « phallus du père ». Le crocodile est depuis devenu un symbole de ralliement pour beaucoup de mères courageuses et combatives qui se débattent contre des professionnels les soupçonnant encore, malgré les avancées de la science, d’avoir causé l’autisme de leur enfant…

Ce film (que vous pouvez visionner ici) montre clairement l’impuissance des psychanalystes à « soigner » ce qu’ils persistent à considérer comme une « psychose » de l’enfant, et malgré cette impuissance, leur rejet farouche des méthodes comportementales et développementales qui ont été mises au point depuis 40 ans outre-Atlantique et qui, elles, donnent des résultats remarquables. Il brise un tabou : celui d’un milieu médical et médico-social français largement imprégné des thèses psychanalytiques sur la question de l’autisme, qui s’y réfère constamment, et qui a bien du mal à accepter de se former aux « nouveaux » modes de prise en charge que les parents réclament. On comprend donc l’ampleur des intérêts en jeu : il y a tout un système à faire bouger, contre les corporatismes et les intérêts financiers du « marché du handicap autistique ». Rappelons qu’une journée d’un enfant autiste en hôpital de jour pédopsychiatrique est facturé entre 500€ et 800€ à la Sécurité Sociale… Certains acteurs en place n’ont aucun intérêt à ce que leur impuissance soit dévoilée au grand jour, et encore moins qu’on les oblige à se réformer dans le but, non plus de fournir une "hospitalité pour la folie" aux enfants « psychotiques », mais bien d’apprendre le plus possible d’autonomie aux enfants autistes dans le but de les voir quitter leurs institutions.

Sophie Robert, la réalisatrice du « Mur », a pris conscience de cette situation dramatique petit à petit. Comme elle l’explique elle-même, « au début je n’avais aucune intention de réaliser un documentaire sur l’autisme. Ma démarche était de faire une série de trois films, intitulée « la psychanalyse dévoilée », dans lesquels je tenterais de montrer au grand public dans des termes simples et compréhensibles comment opère la psychanalyse. » C’est graduellement qu’elle a pris conscience que l’énormité des propos tenus sur l‘autisme justifiait amplement d’en faire un sujet à part entière. A sa sortie, le film est accueilli par les familles et les associations avec un mélange de triomphe et de soulagement : enfin, on dévoile au grand jour ce qu’ils subissent depuis des années de manière dissimulée. Enfin on va les croire, eux, les parents, qui dénoncent des médecins injustement culpabilisateurs. Evidemment du côté des soignants d’obédience psychanalytique c’est la consternation qui règne. Le film est diffusé librement sur Internet, des projections sont organisées un peu partout en France, la vérité éclate et se propage. Il est temps d’agir et d’éteindre l’incendie.

Ainsi, début 2012, trois protagonistes du film portent plainte contre Sophie Robert qu’ils accusent d’avoir dénaturé leurs propos et de les avoir tournés en ridicule. Le Tribunal de Grande Instance de Lille leur donne raison et interdit la diffusion du film en l’état, tout en condamnant la réalisatrice à plus de 30000€ de dommages et intérêts. Pour elle et sa petite société de production, c’est la catastrophe : aucune diffusion possible donc aucun revenu, et tout démarchage en vue de diffuser les autres volets prévus de sa série sur la psychanalyse devient de fait impossible. En effet aucun diffuseur n’ira risquer un nouveau procès sur ce sujet sensible.

Sophie Robert refuse de se laisser décourager. Vigoureusement soutenue par les associations de familles d’enfants autistes, elle va se battre sur deux fronts. Du côté judiciaire, elle fait appel et se tourne pour cela vers deux avocats de renom, Me Stefan Squillaci et Me Nicolas Bénoit. Du côté professionnel, elle prépare plusieurs projets, d’une part la suite de sa série sur la psychanalyse, d’autre part la sortie d'un film sur les méthodes comportementales et développementales mises en œuvre avec succès depuis 40 ans, et recommandées depuis 2012 par la Haute Autorité de Santé.

Après plusieurs reports, l’audience d’appel a lieu le 8 novembre 2013 à la Cour d’Appel de Douai. L’ambiance de l’audience est grave. Tout le monde est “dans ses petits souliers”, conscient des enjeux. Et Sophie Robert, comment se sent-elle ? « Ca me fait toujours très drôle, je me dis : mais c’est de moi qu’il s’agit ? »

Deux des psychanalystes plaignants, Alexandre Stevens et Esthela Solano, arrivent dans la salle en même temps que Sophie Robert et son avocat, accompagnés par quelques parents. Dans la salle, côté psychanalystes, une équipe de choc constituée d’un vieux bonhomme menant un bataillon de jeunes éducatrices tente d’occuper le maximum de places assises. Le camp des « pro-Mur » oppose une résistance vigoureuse pour préserver quelques sièges destinés à ceux encore coincés dans les embouteillages.

La Présidente de la Cour d’Appel fait d’emblée bonne impression à Sophie Robert : « L’ambiance était franchement différente du procès en première instance, où la Présidente me semblait hostile aux parents d’enfants autistes présents dans la salle. Là, la Présidente restait impassible, neutre. » Du coup l’avocat des psychanalystes semblait avoir perdu de sa superbe par rapport à l'audience du TGI de Lille. « Il avait une mine un peu grise, raconte Sophie Robert. Disons qu’il ne se sentait pas en territoire conquis. »

L’avocat de Sophie Robert, Me Squillaci, plaide longuement. Il commence par expliquer le contexte du problème posé par la psychanalyse dans l’autisme. Il argumente ensuite sur le plan juridique, sur la requalification des faits en diffamation, qui est prescrite. Puis finalement sur le fond de l’affaire : les accusations de déformation des propos des psychanalystes, qui ne tiennent pas debout. A l’appui de son discours, il cite un rush non diffusé qui montre Mme Solano à la pause café. Croyant à tort la caméra arrêtée, elle y tient des propos encore plus choquants que ceux diffusés dans « Le Mur ». Par honnêteté, Sophie Robert avait choisi de ne pas inclure ce passage dans son documentaire… A ce point de la tirade de l’avocat, Mme Solano encaisse visiblement le coup.

L’avocat des psychanalystes, quant à lui, paraît bien hésitant. Il commence d’une voix à peine audible avant de discourir longuement au sujet d’un « parfois pas » de M Stevens escamoté au montage, alors que l’avocat de Sophie Robert venait justement de démonter cette accusation. Sophie Robert le trouve bien moins assuré qu’en 2012 : « Visiblement ce n’était plus le même homme. » Il parle de “méthodes américaines” pour parler des opposants à la psychanalyse, puis s’attarde sur le fait que le titre du film inscrit dans l’autorisation de droit à l’image n’était pas celui du film. Alors que n’importe quel professionnel de l’audiovisuel vous le dira : le titre d’un film est toujours provisoire, et peut changer dix fois, voire au dernier moment avant la diffusion !

Les plaidoiries durent en tout près de deux heures, puis l’audience prend fin et le délibéré est annoncé pour le 16 janvier 2014.

C’est donc avec une grande appréhension que tout le monde attendait le verdict. Au final, les trois psychanalystes sont déboutés. « C'est une victoire pour les autistes », a déclaré à l'AFP Me Squillaci, « Mme Robert est réhabilitée pour le travail qu'elle a fait ». Les psychanalystes peuvent encore tenter un pourvoi en cassation ; ils n’ont pas encore déclaré une telle intention. Mais dans ce feuilleton judiciaire, au-delà de la question de l’autisme, c’est la liberté d’expression du réalisateur qui était attaquée, et c’est pour cela que Sophie Robert a eu gain de cause en appel. Si tel n’avait pas été le cas, plus aucun réalisateur n’aurait pu effectuer son travail de montage d’interviews sans craindre un procès dès lors qu’il coupait un mot ou deux pour synthétiser un discours ; tout travail documentaire serait devenu extrêmement risqué.

De plus, les psychanalystes concernés peuvent aussi se dire qu’à prolonger cette douloureuse affaire, ils courent peut-être plus de risque à donner encore plus de notoriété à Sophie Robert et ses films – ce qui n’irait sans doute pas dans le sens qu’ils souhaitent. C’est le bien connu « effet Streisand »…

Quant à Sophie Robert, aujourd’hui elle se tourne vers l’avenir avec une détermination intacte : « Après deux années de chômage technique du fait de la pression judiciaire, je vais enfin pouvoir reprendre ma série documentaire en trois volets « la psychanalyse dévoilée ». Je viens aussi de sortir un documentaire sur une structure ABA : « Autisme et ABA, quelque chose en plus », grâce à une campagne de financement participatif sur internet largement soutenue par les parents d’enfants autistes. Je compte capitaliser sur ce succès en tournant maintenant un film sur l’inclusion scolaire des enfants autistes. »

On ne peut qu’être frappé par la pugnacité de Sophie Robert, qui avoue compter sur les doigts de la main les soutiens reçus de ses collègues au milieu de sa traversée du désert. Quand on compare ses difficultés pour financer et diffuser ses documentaires, avec la récente sortie d’un film à la gloire d’une institution psychanalytique implantée en Belgique, largement financé par l’argent public à travers notamment une chaine de télévision, on reste songeur. Surtout quand ledit film sort juste au moment du jugement en appel sur « Le Mur ». Surtout aussi quand on s’essaie à compiler des statistiques sur le nombre de responsables du milieu audiovisuel français qui s’allongent plus ou moins régulièrement sur le divan d’un psychanalyste.

Nous lui souhaitons donc, évidemment, toute la chance possible pour poursuivre avec un succès mérité son remarquable travail. Et que celui-ci connaisse la diffusion la plus large possible. En attendant chacun peut visionner ses documentaires sur son site internet Dragon Bleu TV. (NB : le film est visible en VOD pour 1.99€, les trois premières minutes sont gratuites.)


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10 réactions à cet article    


  • Alpo47 Alpo47 4 février 2014 15:23

    La psychanalyse n’a jamais guéri, encore moins aidé, quelqu’un ... de quoi que ce soit.
    Une des plus grosses arnaques du 20e siècle


    • Buddha Hotah 4 février 2014 15:46

      Personnellement j’aurais écrit l’autisme à l’épreuve de la psychanalyse....


      • Stoïque Stoïque 5 février 2014 12:54

        Il y aurai eu un top comment :
        Personnellement j’aurais écrit : « La psychanalyse à l’épreuve de l’autisme »


      • _Louloutte38\ 4 février 2014 17:49

        Merci à EgaliTED pour cet article de qualité


        • guitoune guitoune 4 février 2014 20:44

          1000 fois d’accord avec votre article ... et MERCI SOPHIE ....


          • Bernard Pinon Bernard Pinon 5 février 2014 10:13

            La France est un des derniers pays a accorder un quelconque crédit à la psychanalyse. Le reste du monde la considère pour ce qu’elle est : de la pensée magique déguisée en science. Mais les intérêts financiers sont tels qu’on verra encore longtemps ces escrocs pérorer sur les plateaux télé sur tout et n’importe quoi...


            • trevize trevize 5 février 2014 11:14

              En pratique, je ne sais pas trop ce que vaut la psychanalyse, c’est vrai que ça a l’air d’être un attrape-couillons, mais elle a quand même eu quelques résultats, et surtout permis des avancées sociétales profondes. Sans parler du monumental travail d’analyse et de synthèse de nombreux courants de philosophie qui l’ont précédée (chez Jung surtout).
              Mais c’est vrai qu’on y trouve une bonne part d’approximation, d’hypothèse un peu bancales, sans compter que les résultats sont très variables d’un individu à l’autre. Tout cela fait de la psychanalyse une discipline au carrefour de la médecine, de l’histoire et de la philosophie... un drôle de mélange, d’où tout peut sortir, le meilleur comme le pire !

              Et le pire, c’est quand on a de nombreuses preuves que les explications que la psychanalyse fournit au sujet de l’autisme sont complètement à côté de la plaque, mais qu’ils ne veulent pas l’admettre car, au-delà de l’aspect financier, ça remet en cause tout l’édifice de leur pratique. Alors, comme les politiques qui s’entêtent à ne pas écouter leur peuple, les psychanalystes s’attirent le mépris de leurs patients.


            • legrind legrind 5 février 2014 10:46

              Je me souviens que sur France Culture Caroline Eliacheff (pédopsychiatre et psychanalyste) avait traîné dans une de ses chroniques le film Le Mur ( & sa réalisatrice) dans la boue

              J’ai retrouvé le lien :

              • Buddha Hotah 5 février 2014 12:47

                En fait pour moi, nous faisons de la psychanalyse toute notre vie et tous les jours sans jamais le savoir....mais là j’ai vraiment pas envie d’en parler....j’ai faim..

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