La sondagite, ou le mépris du citoyen
Les Français ont appris la leçon du 21 avril 2002. Les médias, non. Cette leçon est celle de l’abstentionnisme. Deux candidats à la magistrature suprême voudraient que cette leçon soit toute différente, et confisquent le débat démocratique.
Aujourd’hui, toute la médiacratie crie au loup : "Français, arrêtez de penser, ne lisez pas les programmes... Allez voter comme tout le monde, Le Pen revient !".
Et dans cette logique, aujourd’hui, 2 décembre 2006, un sondage vient de tomber : Sego-Sarko 50-50%...
En 2002, souvenez-vous en, les sondages annonçaient dès janvier un affrontement "Chirac-Jospin" au second tour avec alternativement la victoire de l’un ou de l’autre, selon l’institut de sondage et l’actualité propre aux deux candidats-vainqueurs annoncés. L’abstentionnisme qui s’ensuivit a conduit l’extrême-droite au second tour en 2002. Lionel Jospin a manqué le second tour de quelques poignées d’électeurs qui, pantouflards du dimanche, confiants dans les sondages, se sont abstenus, mais clamaient dès le lendemain dans les rues : "J’ai honte d’être Français". En faut-il encore ?
Aujourd’hui, il y a du progrès : dès mai 2006, un an après le référendum sur la constitution européenne et douze mois avant l’élection présidentielle de 2007, les instituts de sondage nous abreuvaient déjà de leurs prédictions.
Ils nous présentent aujourd’hui deux personnalités incontournables, dont l’une, en l’occurrence, et c’est un comble, n’a pas encore présenté son programme.
Dans le cas de Ségolène Royal, qui s’étonnera de savoir qu’elle a signé dès le mois de mai 2006 un contrat de douze mois avec une des plus grosses agences de communication de Paris (Mather) ? Il fallait être bien convaincue de l’appui des médias, en mai, pour deviner le résultat des urnes du PS de novembre, et prendre contrat jusqu’en avril 2007 ! (ascencion buzzométrique de Sego-Sarko)
Les médias nous présentent deux candidats qui se trouvent être deux personnalités ayant appelé à voter oui en 2005 : Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. En un mot, le prochain président de la République française sera de toute façon un perdant, un minoritaire sur la question cruciale de la construction européenne. Quelle perspective !
La France a-t-elle besoin d’un président de la République qui la représenteminoritairement sur un sujet aussi important que l’Europe, dont découlent la politique de l’emploi, les questions économiques, l’énergie, la stratégie de défense ?
Comment la conscience du citoyen est-elle prise en otage, dans ce cirque ?
- 1) Les journaux font un battage médiatique sur l’une ou l’autre personnalité en fonction du plan média des personnalités politiques. Les instituts de sondage ne sont pas indépendants : ils travaillent en début de campagne sous contrat pour l’un ou pour l’autre des candidats, via leur parti.
- 2) Les agences de communication et les journaux transcrivent les statistiques de l’opinion. C’est-à-dire rien d’autre que le niveau d’efficacité d’une campagne médiatique orchestrée, rien d’autre que la "disponibilité cérébrale" des citoyens. A ce propos, les médias se regardent eux-mêmes en lisant les sondages.
Nulle opinion dans cet étalage de réactions affectives. Du sentiment dirigé.
- 3) Les médias exposent des sondages performatifs. C’est-à-dire qui créent par leur parution même -et par l’effet de leur répétition- l’évidence d’un prétendu choix à opérer entre deux personnalités.
Dans cette histoire, les électeurs sont-ils considérés comme des citoyens éclairés ?
Pourquoi se déplacer aux urnes lors du premier tour, en effet, quand le résultat du second est annoncé avec six mois ou même un an d’avance ? Telle a été la question que se sont posée les électeurs en 2002 , et notamment les plus jeunes.
Exemple de démocratie participative efficace : par respect pour la sérénité démocratique, et pour libérer l’exercice du débat politique de la tyrannie des sondages, je demanderai à Messieurs et Mesdames les députés de voter une loi interdisant tout sondage visant à réduire l’espace démocratique (sondage des vainqueurs du premier tour de la présidentielle) au moins six mois avant les échéances officielles.
Idée simple : interdire les sondages sur le second tour quand le premier tour n’est pas encore réalisé. Ce serait la moindre des politesses, et un retour à une vraie citoyenneté.
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