Le consommateur dévore-t-il le citoyen ?
Le consommateur telle la mante religieuse aura -t-il bientôt fini de dévorer le citoyen. Le consommateur ne sera alors plus seulement un acteur de la vie économique, il consommera aussi et consumera sa propre citoyenneté.
Dans un discours prononcé à l’occasion de la présentation de ses vœux au Président de
L’anthropologue Marc Abélès évoquait récemment dans le quotidien Libération la "démocratie des petits moi, je" ». Dans cette démocratie-là, les « vrais gens » pré formatés par les agences de communication ont remplacés ceux de «
Tout tournerait autour de l’individu qui serait au cœur des projets de société des uns et des autres. Mais construit-on un projet de société avec et pour des consommateurs ou avec et pour des citoyens ?
Pour des consommateurs, répondent-ils en cœur. « Le cœur des choses, explique symptomatiquement Alain Mergier, sociologue[1], c’est de faire du citoyen, de tout citoyen un acteur de la vie économique »(sic). On a bien lu : faire du citoyen un acteur ...économique. Dans le cas contraire, il le répète : « il faut que chacun, à son niveau de compétence et d’envie, puisse avoir un rôle économique ».
Et la solidarité, n’est pas le ciment d’une société qui nous est commune. Non, ça c’est du passé, « la solidarité est un vecteur de compétitivité des entreprises ».
Le rôle du citoyen n’est ni démocratique, ni politique, il est ....économique. De quelle économie ? Une économie dans laquelle, écrit Jérémy Rifkin dans son livre L’âge de l’accès « toutes sortes de ressources culturelles, comme les arts, les fêtes, les mouvements sociaux, les activités spirituelles et communautaires, et même l’engagement civique peuvent être consommées sous forme d’activité récréative payante »[2].
Même l’engagement civique est en passe de devenir une marchandise. « ...C’est tout le tissu d’une existence qui est peu à peu colonisé, et la sphère marchande prend ainsi en otage une part croissante de notre vie quotidienne »[3].
Cette réflexion fait bien sûr penser à toutes ces délégations à des sociétés de services marchandes de nos relations avec autrui y compris à nos enfants ou à nos parents, que ce services soient humains ou confiés à des gadgets technologiques. Qu’on pense par exemple au formidable essor du coaching en tout genre et jusqu’au plus intime.
Dans un récent article , le journal Le Monde nous décrit la mode des accessoires high-tech pour bébé , mode « alimentée par des discours sécuritaires et pseudo-éducatifs » qui nous promet un « bébé technologique" équipé, dès ses premiers balbutiements, d’écrans qui lui permettront de regarder des dessins animés et de disposer de jeux vidéo dans son siège auto. Ou d’écouter de la musique dans sa poussette et vivre sa vie dans un lit qui s’occuperait (presque) de tout.Ce n’est pas de la science-fiction. Le « lit intelligent », capable de materner bébé du soir au matin, existe : « ... le lit Cencio berce le bébé, grâce à un système de balancelle qui se déclenche dès qu’il remue. Un système d’air conditionné intégré, à déclenchement automatique, le préserve aussi des chaleurs étouffantes ou des coups de froid. Enfin, au premier signe de comportement anormal du petit, un système de vidéo déclenche une alarme qui, connectée en Wi-Fi, retentit dans la télévision, la chaîne hi-fi ou le téléphone mobile des parents.[4] ».
L’homme de la société hyperindustrielle explique pour sa part Bernard Stiegler[5], c’est-à-dire de la société de contrôle, « voit une part toujours plus grande de ses comportements sociaux prise en charge par le système techno-économique, de sorte qu’il se trouve toujours plus dépossédé d’initiatives et de responsabilités, tandis qu’il ne cesse d’être infantilisé (et par là même coupé des ses enfants qui ne trouvent plus en lui aucune autorité) par les industries culturelles qui ont pour fonction de lui faire adopter de nouveaux modes de vie qui sont essentiellement des modes d’emploi remplaçant et court-circuitant ses savoir-vivre ».
[1] Auteur du livre « Le descenseur social », téléchargeable sur le site de la fondation Jean Jaures.
Entretien dans Libération 21 février 2007
[2] J. Rifkin : L’âge de l’accès. La révolution de la nouvelle économie. La découverte pg 14
[3] Ibidem page 129
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