Le débat est un sport de combat
Battre la démesure.
« Il convient de battre son compère quand on fait show ! » Le spectacle a pris le pas sur le dialogue et les plateaux télé se sont tranquillement transformés en champ de bataille, en pétaudière infâme sur lesquelles il convient de clouer le bec à ses interlocuteurs, non par la force des arguments mais par la puissance de l'organe vocal.
Couper la parole est la première règle de cette stratégie qui a dessein de rendre inaudible toute discussion. Cette pratique cache bien des travers à commencer par l'absence de convictions sincères. L'autre tient des propos qu'il a choisi par pure stratégie et qui aurait très bien pu être ceux de celui qui élève la voix. Dans un univers sans aucune sincérité, le bruit seul peut couvrir l'absence de réflexion.
Le deuxième motif tient à cette volonté égocentrique de tenir le crachoir, de se montrer le plus virulent, le plus agressif car c'est devenu la norme, le critère de réussite du débat. L'observateur neutre en vient à penser que les analystes examineront la chose avec des sonomètres, la victoire revenant à celui qui hurle le plus fort.
On peut supposer encore que l'absence d'éducation de nos palabreurs tient aussi à leurs parcours qui leur a imposé d'étouffer leurs collègues pour arriver en haut de l'affiche. Les coups bas en interne les ont accoutumés à ne jamais prendre en compte l'autre, à imposer leur parole par tous les moyens possibles. Nous en avons l'illustration permanente dans les assemblées.
Il est à noter un effet de contagion puisque même en dehors du champ politique, la pratique se généralise au point de transformer ce qu'ils nomment en Vieux Poitevins des « Talk-show ». Les micros sont ouverts pour chacun afin que le brouhaha soit la règle. Chacun y allant de son intervention sans se soucier d'avoir la parole.
Nous constatons le même phénomène dans les réunions, les assemblées, les tablées, les conseils de toute nature. Les apartés sont légion, les coupures fréquentes. L'absence d'écoute est la loi tandis que le maudit portable attire bien plus l'attention que le locuteur du moment. L'éparpillement de l'attention est le principe fondateur désormais de ce qui ne relève plus jamais du débat.
Fort heureusement, ceci n'entraîne pas encore le combat des corps quoique les échanges sont si vifs désormais que le dérapage est toujours possible. La tolérance a battu en retraite dans une société fracturée dans laquelle plus personne ne prend la peine d'écouter l'autre. Il en est même qui conservent dans l'oreille un écouteur pour donner priorité à d'autres sources sonores.
Le débat est mort, l'écoute en deuil, la compréhension moribonde. Rares sont désormais nos semblables en mesure d'écouter plutôt que d'entendre, de donner du sens aux propos de l'intervenant, d'être en mesure d'en saisir la substantifique moelle. Le bâton de parole devrait être la règle pour prendre la parole en société. Il s'agit de résumer l'intervention précédente avant de d'avoir le droit de parler à son tour.
Hélas ceci n'est plus possible tant les parasites sont nombreux, le bruit gênant et les esprits déconnectés. Pire encore, si jamais un quidam entend intervenir : le plus souvent pour se montrer, il va soigneusement préparer mentalement son intervention sans plus se soucier du cours des propos. Il arrivera alors comme un cheveu sur la soupe, à contre-temps, contre-sens et souvent hors propos.
L'éducation à l'oralité est de fait le parent pauvre de l'enseignement et le grand oral s'il apprend à tenir discours, ne prépare en rien la capacité à écouter et donner du sens à une parole. Ajoutons à ce désastre la vitesse d'élocution de bien des gens, leur refus d'articuler et leur mauvais usage de la langue pour déplorer une situation qui favorise la cacophonie générale.
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