Le dernier Wiesel : Le cas Sonderberg
Le Prix nobel de la paix fête ses 80 ans en publiant un cinquantième livre. Le cas Sonderberg, chez Grasset. A travers une double intrigue bien construite, le problème de l’ambivalence, du "coupable ET coupable". Un chef d’oeuvre. Nettement au-dessus des lvres promus par la critique promotionnelle pour l’actuelle "rentrée littéraire".
« Si prier c’est croire en Dieu, écrire, c’est croire en l’Homme » a lancé Elie Wiesel. dans l’ un de ses 47 ouvrages.. « Aller à l’essentiel »
Lire Wiesel, écouter Wiesel, c’est croire en sa propre perfectibilité.Dans cette « marche du Destin » où « Angoisse et espoir persévèrent dans leur inlassable combat ».
Ce prix Nobel de la paix (qui aurait dû aussi recevoir le Nobel de littérature) est de ceux qui enrichissent ceux qui l’approchent. Par ses œuvres ou directement.
Parce qu’il met sa vie au service de réflexions sur La vie, « ce couloir entre deux abîmes ». Sur le sens qu’a la vie « même quand elle semble insensée ». Sur les interrogations et les doutes qu’entraîne cette vie où « nous sommes tous plus ou moins des exilés »
Parce qu’il écrit en aimant ses lecteurs, il parle en aimant ses auditeurs. « Croire en l’humanité de l’autre, cela s’appelle l’amitié » Ce qui n’empêche pas de voir en face les déchaînements d’inhumanité, surtout quand le choix est « entre posséder le fouet ou subir les coups ». Quand « l’indifférence au Mal » ---qui est pire que le Mal-nous empêche de « haïr la haine »
Privilèges d’un Témoin qui sait qu’on ne vit pas dans le passé mais que « le passé vit en nous ». D’un Sage qui a pleine conscience que l’on ne peut pas tout savoir. D’un Veilleur qui tente de savoir « où en est la nuit » D’un Messager qui sait que « tant que tu vis tu es immortel car ouvert à la vie des vivants ». D’un Etre qui sait que l’essentiel est de « vivre la vérité de chaque instant » En « brin de poussière qui sait s’élever au-dessus des étoiles »...En tentant de faire et d’être pour que « l’espérance de l’un de se fonde pas sur le désespoir de l’autre ». Pour que « les larmes de joie de l’un n’entraîne pas chez l’autre les sanglots de détresse »
Le dernier roman d’Elie Wiesel « Le Cas Sonderberg », un récit excellemment tissé qu’il ne faut surtout pas résumer, nous plonge, bien sûr, dans l’atmosphère Wiesel. Parfums d’enfance, mémoire, paroles de Sages hassidiques, anecdotes et historiette, humour, amour, haine, âme, fou, mendiant, Jérusalem, jeux de scènes, regards de journaliste, chants du conteur, mélodies du poète, morale du philosophe...
Mais l’intrigue, les destins croisés, le récit posent surtout « le problème le plus grave que l’homme puisse rencontrer ». L’ambivalence. Individuelle et collective. Dans le Bien comme dans le Mal.
« Où commence la culpabilité d’un homme et où s’achève-t-elle ? » Ce n’est pas question banale (mais trop souvent transformée en alibi facile) du fameux « responsable mais non coupable » ou des « circonstances atténuantes ». C’est l’état dans lequel nous nous trouvons plus souvent sans doute qu’on peut le reconnaître du « coupable ET non coupable ». Simultanément.
« Coupable et non coupable »...Une option acceptable en philosophie, mais pas en justice. Et pourtant... « La pureté n’est valable qu’en chimie. Pas dans les agissements de l’âme ». Secrets des personnalités et des destins ! L’ambivalence soulève tous les problèmes liés à ceux de la liberté ; « Nous ne sommes pas libres, mais nous rêvons de la vraie liberté » (...) Le JE qui pense n’est pas forcément le JE qui est ». Et fait ou ne fait pas. « L’âme humaine, quel labyrinthe ! »
Ambivalence. C’est aussi la question du pouvoir sur soi-même et sur les autres, sur le cours des événements, sur notre aptitude à juger. « Si tu souhaites critiquer, commence par te critiquer toi-même ( ...) Je n’ai jamais aspiré à la moindre parcelle de pouvoir sauf celui que tout homme devrait exercer sur lui-même (...) « Nous sommes tous des juges, mais alors qui jugera les juges ? »
Ambivalence ? « Pour Camus le choix se situe entre l’innocence te la culpabilité. Pour moi, c’est plutôt entre l’arrogance et l’humilité qu’il faut choisir ». A lire. En priorité. Malgré le battage et le tapage des titres qui émergent de la marée qu’on nomme « rentrée littéraire »... Ne serait-ce que parce que le « cas Sonderberg » aurait pu être titré, comme tous ses ouvrages ou presque d’ailleurs, le « cas Wiesel »....
Souvent, dans l’immensité de la littérature talmudique, en plein débat ou en plein recueillement, il arrive qu’un Sage interroge ses collègues sur lui-même : " Mais qu’est-ce que tout cela signifie ? "
La signification de ce roman ? Il tourne autour d’un procès, donc d’une rencontre.
D’un côté, un vieil Allemand et son petit-fils : deux générations s’affrontent. Le vieil homme est jugé non par un tribunal, mais par son descendant. Ils sont partis ensemble dans la montagne. Le plus jeune est revenu seul... Coupable ou non coupable ?
De l’autre côté, un journaliste, Yedidyah. Il évolue dans la rédaction d’un quotidien new-yorkais avec ses intrigues et ses fidélités. Critique théâtral, époux d’une actrice, il participe de la " comédie new-yorkaise ". Les succès éphémères, les gloires oubliées : rien n’est plus joyeux qu’une nouvelle étoile, rien n’est plus mélancolique que son crépuscule.
Yedidyah aime le théâtre qui constitue un temps sacré, intime : tous les soirs, sur un plateau aussi limité qu’une boîte d’allumettes, les acteurs créent un monde avec ses instants de lumière ou de colère. Mais voilà qu’on lui demande un jour de " couvrir " le procès d’un certain Werner Sonderberg, ce qui déclenche en lui d’étranges et puissants échos. Sentant qu’il se heurte à un secret familial, Yedidyah tente de sonder sa propre mémoire. Qui est-il vraiment ? D’où vient-il ? Qui est l’ami, lequel est l’ennemi ? Comment retrouver les visages disparus d’un père, d’une mère qui l’a quitté encore enfant, d’une sœur ?
Offre de mission clandestine pour Israël, fuite du bonheur facile, épisodes de l’Occupation et de l’après-guerre, camaraderie de combat et désillusions : tout s’enchevêtre dans sa conscience.
Obsédé par l’appel de la folie, il redoute de se définir par elle. Est-elle un péril ou un refuge ? Un regard des dieux rieurs ou un sanglot muet des morts sans sépulture ? Est-on capable de guérir ce genre de folie ou du moins de l’apprivoiser ?
Alors, la signification de ce roman, c’est peut-être de s’efforcer d’éclairer un peu cette simple question : comment vivre dans un monde qui nous renie, comment inventer un avenir sur les ruines de tant d’espérances ? "
Elie Wiesel
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