Le Forum des Droits sur Internet putsché ? Qui s’en soucie ?
« Le journalisme consiste pour une large part à dire « Lord Jones est mort » à des gens qui n’ont jamais su que Lord Jones existait. » - Gilbert Keith Chesterton - Extrait de La Sagesse du père Brown
Organisme mis en place par le gouvernement Jospin fin 2000 pour contribuer à la co-régulation d’internet, le Forum des Droits sur Internet (FDI) est un OVNI dans le paysage administratif français.
Association loi 1901 principalement financée par les pouvoirs publics mais revendiquant son indépendance sur son site internet, le FDI est présidée par une conseillère d’État contrôlée dans son action par des acteurs privés marchands et non marchands élus par leurs pairs.
Étrange attelage
Étrange attelage que voilà, a priori ... mais force est de constater que le FDI créé sous un gouvernement de gauche a réussi l’exploit de traverser tous les gouvernements Chirac, de résister à tous les coups bas de la technocratie réactionnaire et a vu son action saluée par tous les candidats à la présidentielle.
Mieux encore, le FDI a su traverser plusieurs polémiques soulevées par des associations d’internautes sans voir son image trop écornée. Les consultations qu’il organise ont toujours le même succès, son site et son service de médiation sont de plus en plus fréquentés, ses documents font toujours référence (la commission électorale a ainsi repris l’un de ses avis pendant la campagne).
Sans doute le travail réalisé depuis sept ans est au fond plutôt bon. Sans doute les fautes reprochées sur des dossiers sensibles n’étaient pas si graves. Sans doute aussi la présidente du FDI n’est pas tombée de la dernière pluie politique et ses membres ont su traverser les orages soudés, peut-être conscients que le FDI est une incroyable exception à la sacro-sainte règle : "Vous avez un problème ? Créez un machin administratif." Pas une association ouverte sur le monde...
Turbulences
Malheureusement, depuis quelques semaines, le FDI est entré dans une zone de turbulences venant de l’intérieur et dont la nature se révèle problématique pour son avenir car touchant à son fonctionnement démocratique et à la neutralité de sa présidente, piliers incontournables de sa légitimité.
Le 11 juin dernier, au cours d’une Assemblée Générale Extraordinaire (AGE), plusieurs membres du Collège Utilisateurs du FDI (APRIL, FSF France, OUI, Villes Internet, Wikimedia France) ont ainsi fait inscrire sur le procès-verbal de séance qu’ils contestaient la façon dont une modification de statuts avait été adoptée.
D’après Gérald Lorence, auteur du blog Quelques Watts de Plus, la modification litigieuse permettrait à l’actuelle présidente du FDI, Mme Isabelle Falque Pierrotin, par ailleurs conseillère d’état, commissaire à la CNIL et délégué général du FDI, de conserver la présidence du FDI pour un troisième mandat consécutif de trois ans.
Cependant, même si la présidente du FDI est apparemment soutenue par la majorité des membres du Conseil d’Orientation (dont plusieurs ont déjà bénéficié de la modification qu’elle leur a fait voter), rien n’est acquis.
Ambiance, ambiance
L’association APRIL, qui défend les logiciels libres, a annoncé dans un compte-rendu publié sur son site internet qu’elle se réservait le droit d’entamer toute action relative au déroulement de la dernière AGE.
L’APRIL considére que l’adoption de la modification des statuts, et donc les réélections qu’elle a rendues possibles, l’ont été en violation des statuts et du réglement intérieur du FDI.
Ambiance, ambiance donc au sein du FDI... mais aussi sur internet vu que la Ligue ODEBI, une virulente association d’internautes, a décidé de s’en mêler mettant explicitement en cause la présidente du FDI.
Selon le porte-parole d’ODEBI, repris par G. Lorence, Mme Falque-Pierrotin se serait retrouvée obligée de passer en force le 11 juin car elle n’a pas pu obtenir en avril le poste de présidente de la Commission Nationale de Déontologie des Services en Ligne. Cette commission qui n’a jamais dépassé le stade de projet est un serpent de mer administratif qui resurgit régulièrement des cartons du Conseil d’État et qu’ODEBI se targue d’avoir "abattu en vol" lors de sa dernière apparition.
Et la Ligue de conclure avec son sens des nuances si particulier, « ce putsch de Falque-Pierrotin enterre définitivement le FDI, et malheureusement, le concept de corégulation qu’il portait au départ. »
La majorité a du souci à se faire
Si cela est vrai, la majorité a du souci à se faire car comme l’a démontré l’épisode de la loi DADVSI, et comme l’ont reconnu tous les candidats à la présidentielle, le politique - rarement internaute - n’arrivera pas seul à réguler les usages d’internet. Trop changeants, trop divers, trop pervasifs. Toutes ses échappées belles pour lutter contre la contrefaçon numérique ont d’ailleurs échoué, rattrapées par la réalité.
Seule la multiplication des points de vue et des confrontations au sein d’une structure ouverte et démocratique qui émet des recommandations inspirant effectivement les pouvoirs publics, pourra permettre d’élaborer des règles pérennes et consensuelles.
Dès lors, vu les enjeux, et même si l’affaire est délicate tant les susceptibilités sont grandes dans le milieu associatif de l’internet français, le gouvernement devrait veiller à ce que le FDI ne s’enfonce pas dans une voie si étroite qu’il ne puisse plus se retourner. Sauf bien sûr à aimer jouer sans médiateur sur le Net avec les électeurs ... Pas dit qu’il apprécie. Renaud Donnedieu De Vabres en tout cas s’en souviendra longtemps.
Une leçon à méditer
Si l’ancien ministre de la culture avait utilisé le FDI dans le cadre du travail préparatoire à la rédaction du projet de loi DADVSI au lieu de faire confiance à une commission administrative comme le CSPLA, verrouillée par quelques acteurs économiques et fonctionnaires obtus (et logiquement d’ailleurs puisque ceux-ci conservent leur poste indépendamment des élections et des remaniements), peut-être l’ancien ministre de la culture aurait évité la fronde historique et l’humiliation publique associée que son projet a engendré sur internet.
Peut-être aussi RDDV n’aurait-il pas été battu dimanche dernier à 666 voix près dans une circonscription tenue depuis 49 ans par la droite. Certains internautes locaux ont visiblement eu la mémoire vive et le blog aggressif pendant la campagne...
Voilà en tout cas une leçon à méditer pour le nouveau pouvoir politique à l’approche du réexamen annoncé de la si contestée loi DADVSI et au moment où le FDI vacille sur ses fondamentaux.
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