Le Parlement, en quête d’indépendance... choisit l’asservissement
Selon l’article 1er du projet de loi visant à réviser la Constitution, les parlementaires doivent déclarer s’ils sont oui ou non dans la « majorité » ou dans « l’opposition ». Cette déclaration devant entraîner la mise à disposition de « droits spécifiques » en fonction de cette déclaration de soutien au gouvernement. Il s’agit donc ici, tout bonnement, de l’instauration pure et simple d’un mandat impératif à l’égard du gouvernement… Alors que les parlementaires n’ont de loyauté qu’envers leur souverain. De contrat qu’avec les citoyens. Un contrat moral, un contrat engageant les deux partis (citoyens et élus), qui ne contraint pas le parlementaire, mais l’engage, à travers un programme électoral qu’il défend librement (et non de manière impérative).
Aucun député ou sénateur ne doit se voir contraint de « soutenir » le gouvernement. Tout simplement parce que cela signifierait concrètement que les parlementaires, qui « soutiendraient » le gouvernement, devraient voter les lois sans savoir de quoi il est question. Vous me direz que c’est déjà le cas ? Pas exactement. Car, aujourd’hui, un parlementaire peut « s’abstenir », il peut « oublier » de venir à la séance de vote, amender un texte… Il n’est en revanche pas contraint par la Constitution de soutenir le gouvernement ! (C’est-à-dire de voter le projet de loi en bloc).
Ce genre de « mandat », c’est ce qui existait du temps de la monarchie. Et ce « mandat » concernait les « députés » des Trois Ordres. Ceux-ci avaient pour mission de présenter les « doléances » non du peuple français, mais des Trois Ordres (qu’on pourrait apparenter à des partis). Choisis (par le biais de l’élection ou de la nomination (selon l’Ordre) pour défendre l’intérêt partisan de l’Ordre, les « députés » ne représentaient aucune souveraineté populaire. Ils avaient un mandat impératif à l’égard des Ordres, lesquels pouvaient les révoquer, s’ils défendaient d’autres doléances que celles inscrites dans les fameux « cahiers ». Ils n’avaient, par ailleurs, pas de permanence. C’est-à-dire qu’ils étaient « convoqués » par le roi, lequel n’avait pas d’obligation particulière en la matière. Leur « vote » n’était pas plus « contraignant », puisque le roi ne faisait que les « consulter ».
Est-ce donc ce retour en arrière qu’on souhaite pour le Parlement ? A quoi bon conférer au Parlement des dispositions nouvelles… S’il est contraint, dès le départ, de voter en faveur de son « Ordre » (« opposition », « majorité »), c’est-à-dire en se définissant par rapport au gouvernement devant qui il n’est pas responsable, et n’a pas à être « loyal », et non en fonction de ses convictions personnelles, de ses engagements devant les citoyens ? Et de sa responsabilité devant le peuple ?
A quelle mascarade assisterions-nous, si le Parlement se voyait priver, par cet article 1er de son « libre arbitre », à l’égard du gouvernement, du président ? De son choix personnel, pourtant garanti par la Constitution ? Et cela en plusieurs endroits ?
Ainsi donc, les parlementaires seraient ramenés à un clivage simple, mais qui fait honte à la France : les « pour » et les « contre ». Plus besoin d’amender un projet de loi, de travailler en commission ou de faire un rapport. Plus besoin de faire l’effort de s’enfoncer dans les comptes de Bercy, de faire un diagnostic de la mise en œuvre des lois, de réfléchir à comment on pourrait améliorer les choses en France.
Incidemment, « soutenir » le gouvernement fera perdre aux élus leur capacité à représenter non pas DES Français, mais LES Français. Les parlementaires, par cet article 1er, sont donc convier à « choisir un camp » et non à « défendre l’intérêt général ». Est-on sûr que cela va « revaloriser » le Parlement ?
On rappellera tout de même que, historiquement, le Parlement s’est posé comme le contre-pouvoir naturel du gouvernement. Il est donc contradictoire de vouloir revaloriser un Parlement, qui s’estime, à plus ou moins juste titre, comme trop dépendant, et de l’autre, d’annihiler la capacité des parlementaires à s’exprimer librement, puisqu’on verrouille leur libre arbitre par un article scélérat qui viole consciencieusement les principes fondamentaux, à commencer par la séparation des pouvoirs. Les parlementaires et le gouvernement ne savent apparemment pas que violer l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen signifie supprimer purement et simplement la Constitution elle-même… La France ne reconnaissant comme régime politique valable, que ceux qui respectent les droits de la Déclaration et la séparation des pouvoirs.
Si on souhaite faire plus de place à l’expression des parlementaires qui ne sont pas issus du même groupe politique que celui du président de la République, il est possible de le faire. On pourrait ainsi penser à faire élire par le Parlement le Premier ministre choisi par le président de la République. Ceux qui acceptent ce Premier ministre sont appelés sur un plan politique (et non juridique) la « majorité », ceux qui rejettent cette candidature « la minorité ». A partir de là, on définit un « statut » du parlementaire, en fonction de cette « confirmation » du Premier ministre. Mais cela ne préjuge pas d’un quelconque « soutien ».
C’est simplement pour marquer, auprès du Premier ministre, la capacité d’action de ce dernier. Il y a encore plus simple sinon : on se base tout simplement sur le vote de confiance. Ceux qui votent la confiance sont dits (là encore sur un plan politique et non juridique, constitutionnel) « de la majorité », les autres « de la minorité ». Cela permet dès lors de conjuguer une certaine « confiance » affichée à l’égard du gouvernement, mais qui ne se confond pas avec un « soutien », une « loyauté » anticonstitutionnelle par définition, qui vide de son contenu toute idée de « libre arbitre » de la part du Parlement. Toute idée de débat contradictoire. Or, c’est pourtant à cela que sert le Parlement : à être le lieu où l’on débat prioritairement. Le Parlement doit définir « l’intérêt général ». Il ne peut le faire que si le respect et la garantie de la valeur personnelle du vote du parlementaire sont reconnus. C’est en son âme et conscience, que le législateur doit se prononcer. Pas en fonction de son « soutien » ou « non-soutien » au gouvernement.
Un Parlement n’a pas à « soutenir » un gouvernement, à être « solidaire » vis-à-vis de ce dernier. Par contre, il peut lui accorder sa confiance. La différence ? Le soutien renvoie à la notion du rapport hiérarchique, à la contrainte, au mandat impératif. La confiance, elle, doit se mériter.
Et c’est d’ailleurs pourquoi, à mon sens, il faut lier ce vote de confiance à un « geste » du gouvernement : l’engagement du Premier ministre, pendant toute la législature, de ne pas utiliser contre le Parlement, ce qu’on qualifie de « pouvoirs spéciaux ». Il m’est toujours apparu aberrant de voir le Premier ministre utiliser de tels pouvoirs, quand il détient un nombre suffisant de parlementaires pour l’aider, c’est-à-dire au sens politique du terme une « majorité ». Cela revient à dire à la « majorité » que l’on n’a pas confiance en elle, ce qui est grave en soi. C’est de surcroît prendre le risque d’aggraver le conflit social.
Cet article 1er viole purement et simplement le fait que les parlementaires représentent les citoyens. Et que c’est cette représentation qui justifie le mandat « non impératif » des élus.
Cela sous-entend par ailleurs que la représentation d’un peuple se limite à un conflit ou une vassalisation au gouvernement ! Un député ou un sénateur n’est-il pourtant que cela : un courtisan ? Un opposant ? Sa mission n’est-elle pourtant pas de « légiférer » c’est-à-dire de « faire la loi » (ce qui suppose une initiative de propositions de loi et une réflexion), de « voter » celle-ci, et d’évaluer « l’efficacité de la dépense publique » ? Sans parler du rôle « constituant » du Parlement ?
Partir du principe que des parlementaires « soutiennent » le gouvernement, c’est donc suggérer que les élus se dispenseraient de faire leur travail de législateur, de constituant et de représentant du peuple… Puisque la vassalité au gouvernement serait effective ! Ceux ayant choisi de « soutenir » le gouvernement devant dès lors voter systématiquement, et sans en lire un seul mot, les projets de loi ! Pendant que de leur côté, les parlementaires ne « soutenant » pas le gouvernement, auraient comme seule fonction de critiquer les projets de loi issus d’une formation politique différente de la leur ! Y compris s’ils sont pourtant favorables au texte.
Dans ces conditions, il n’y a pas nécessité de faire venir les parlementaires, pour voter. Puisqu’on sait dès le départ le résultat ! Belle démocratie !
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