Le sentiment d’impunité
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Rien ne doit entraver sa volonté.
« J » est un garçon qui n'aime pas l'école comme il y en a des milliers d'autres. La chose n'est pas banale ni forcément nouvelle. Ce qui le distingue de ses camarades en rupture de banc, c'est sa haine des adultes censés représenter l'autorité. Il vit dans un univers où l'on n'accepte pas les contraintes d'une vie sociale ordinaire. Celui qui vient en travers de son chemin, qui lui demande de respecter des codes et de remplir des taches est forcément un ennemi.
« J » a déjà franchi la limite. Un jour, dans un autre établissement, face à une autorité qu'il ne pouvait supporter, il a levé la main. Il avait quatorze ans à peine. Un âge où l'on peut déjà se confronter physiquement à l'adulte, porter des coups et en tirer titre de gloire. Nous sommes toujours sur la corde raide avec lui, cherchant simplement à éviter l'incident sans autre possibilité de pression.
« J » est protégé par son clan, pardon sa famille. Sa mère ne se déplace que rarement au collège, refuse de rencontrer les professeurs. Le plus surprenant c'est qu'une autorité accède à ce caprice et valide ainsi la légitimité d'une exigence aberrante. Mais, ne vous en étonnez pas, c'est ainsi que dans ce métier désormais, chacun fait comme il peut pour préserver les apparences.
« J » quand il est en classe se tient au fond, conserve son manteau, n'ouvre jamais son sac et regarde fixement l'adulte. Bien rare sont les moments où il accepte de travailler, plus exceptionnels encore sont les travaux qu'il daigne terminer. Il n'est pourtant pas en difficulté, bien au contraire. À quelques rares occasions, pour des interventions orales, il s'est montré d'une rare pertinence.
« J » a obtenu un statut particulier. Il a eu la possibilité de partir en stage alors que ses camarades n'y avaient pas droit. Depuis, il est revenu désabusé, refusant désormais de chercher un autre stage. Il n'a nullement l'intention de fournir d'autres efforts. Il attend la fin de sa scolarité obligatoire, c'est sa seule perspective et d'ici là, il faut supporter ses regards chargés de mépris et son incommensurable envie de ne rien faire.
« J » a craqué à moins que ce ne fut son professeur qui ce jour là attendait plus d'un élève qu'une station assise contre la fenêtre. Il a élevé la voix, s'est dressé sur ses ergots et a quitté la classe en marmonnant je ne sais quoi. Ce que j'ai entendu c'était simplement la ponctuation finale, son point d'exaspération : « … ta mère ! »
« J » est descendu se calmer devant le bureau mais pour une fois, je ne voulais pas en rester là. J'ai téléphoné pour dire que le joli monsieur avait du certainement m'insulter. Quelle maladresse, entendant cette affirmation insupportable, il est remonté tel un fou furieux exigeant des comptes. L'adulte n'a plus aucun droit devant lui, c'est la règle qu'il faut intégrer.
« J » s'est dressé, il a mis le buste en avant, m'a toisé du regard. « Sors, viens dehors qu'on règle ça. Tu vas voir ! ... » Laissons le à ses propos de petit coq prétentieux, ses rodomontades dérisoires, roulements de biceps si peu crédibles. Il est pathétique mais il écume. Il est ridicule mais possiblement dangereux.
« J » est capable de vous pousser à bout. Une claque qui part et vous vous retrouvez avec un fusil à pompe devant l'établissement. Que faire ? Comment sortir de ce coup de sang ? Faut-il une fois encore lui donner raison, lui permettre de dépasser les limites sans jamais encourir les foudres de la sanction. J'ai décidé de dire stop et j'ai usé de mon droit de retrait. Je ne le prendrai plus car je ne veux pas perdre mon travail pour ce fauve.
« J » apprenant ma décision a quitté l'établissement comme il l'a déjà fait à maintes reprises. Il a enjambé le portail et il est rentré chez lui. Il ne peut accepter la plus petite remarque, il lui faut sortir par la grande porte, celle du déni et de la transgression. C'est inscrit dans son fonctionnement et nous sommes impuissants à infléchir ce comportement qui risque de lui jouer bien des vilains tours.
Voilà un nouvel épisode de mes aventures « pédagogiques ». J'use à dessein de ce vocable ronflant. Le quotidien n'a plus rien à voir avec les sciences de l'éducation. Il faut tenir tant bien que mal la barque, éviter les voies d'eau, ignorer les remous. Il faut faire semblant et ne rien dire. Nous sommes démunis devant des dérapages qu'il faut taire. Que faire ?
Une fois le furieux parti, j'ai mené une séance remarquable avec ses camarades. Du travail et de l'écoute mais pourtant, l'échec était patent. Le droit à l'erreur n'est plus permis. Alors, préparez vos attaques, je suis incompétent et inutile. Je vous en fais ici l'aveu !
Impuissemment vôtre
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