Le SMA : quand les politiques perdent le sens des mots
On sait que les « politiques » aiment inventer de nouveaux mots. Ainsi, Mme Royal avait elle parler de « bravitude », M. Sarkozy de « kärchériser » les cités. Même le simple mot de « flexsécurité » est un mot étranger aux mots de la langue française. En revanche, utiliser un mot pour lui faire dire le contraire est assez neuf en politique… Même si cette pratique a été utilisée aussi bien par la « gauche », le « centre », que la « droite ».

Le gouvernement actuel nous en a donné quelques exemples, appelant ainsi « réformes » aussi bien les petites innovations que les plans d’envergure, niant le terme « rigueur » pour y substituer le synonyme de « bonne gestion ». Parlant de « faillite » de l’Etat, au lieu de « banqueroute », alors même qu’un Etat n’étant ni un ménage ni une entreprise, garantit sa solvabilité.
Aujourd’hui, le gouvernement, suivi par les parlementaires UMP, désire mettre en place un « service minimum à l’école », sous prétexte que les enseignants doivent assurer leur fonction d’agent du service public, et donc permettre la « continuité » de ce service… Chose à laquelle, et on n’en attendait pas moins, la gauche s’oppose… Tandis qu’au « centre » on reste indécis, sans doute pour ne gêner personne.
Mais en quoi consiste ce « service minimum » que le président souhaite rendre obligatoire ? Il s’agit d’un « droit d’accueil des enfants ». Cette vision des choses, montre donc que le gouvernement, et les parlementaires (tout parti confondu) ne connaissent pas la langue française, et ne savent pas en quoi consiste une « mission du service public ».
Il faut en effet se référer à la Constitution pour comprendre si les motivations gouvernementales, ou des partis de « l’opposition », sont recevables, et justifiables. Que dit celle-ci ? Que le droit de grève est un droit fondamental, reconnu par notre Constitution, et protégé par le préambule de 46, lequel empêche sa suppression, puisqu’il fait partie de ce que le Conseil constitutionnel appelle le « bloc de constitutionnalité » de la République. C’est en s’appuyant sur ce droit, que la gauche s’oppose au SMA. De son côté, le gouvernement, rétorque en se basant sur le principe de « continuité de service public » lequel peut restreindre le droit de grève des fonctionnaires (et les enseignants en sont)… Mais, attention, en fonction des « lois qui réglementent » cette atteinte au droit de grève. S’appuyant par ailleurs, sur l’autorisation du Conseil constitutionnel, pour mettre en œuvre un service minimum dans les transports terrestres, sous certaines conditions, le gouvernement prétend donc légitimer son SMA.
Or, concernant le SMA, ni le gouvernement ni les partis « d’opposition » n’ont raison. Pourquoi ? Parce qu’aucun d’eux ne comprend, ou ne veut comprendre, que le SMA, tel qu’il est défini par le gouvernement – droit d’accueil des enfants – n’existe pas, et ne peut exister. En effet, la mission de service public des enseignants, consiste à instruire, c’est-à-dire à transmettre le savoir. Nullement à garder des enfants, pas plus qu’à faire le gendarme, ou à jouer à l’assistante sociale. Il en résulte que le seul SMA possible ne peut se définir que par rapport à cette mission publique. C’est-à-dire qu’un SMA consisterait, s’il était mis en place, à contraindre les enseignants grévistes, à par exemple assurer la tenue des examens, à venir corriger des copies nécessaires pour ne pas retarder l’inscription des élèves de terminal en fac, ou bien dans des écoles de commerce, d’ingénieur, etc. En revanche, il serait impossible au gouvernement d’imposer un « droit d’accueil » aux enseignants, puisque cela ne relève pas de leur mission publique, qui est la seule raison valable pour entraver leur droit de grève. Si des médecins se voient imposer un « service minimum », qu’on appelle « une garde », c’est parce que leur mission publique consiste à « apporter les premiers soins à un patient », à « guérir ». Si l’armée n’a pas le droit de grève, c’est parce que sa mission de service public consiste à « assurer la sécurité du territoire », une mission qui contraint nos armées à devoir renoncer à leur droit de grève. Si le service minimum dans les transports se comprend, car les cheminots grévistes ont la mission de service public « de transporter les voyageurs » d’un point à un autre, pour les enseignants, le SMA n’est pas valable, puisque leur mission consiste à instruire, et non à faire office de baby-sitters pour parents désargentés.
Autant dire que si le service minimum dans les transports est relativement bien passé auprès du Conseil constitutionnel, ce SMA risque de ne pas être validé, car la « continuité du service public » en ce qui concerne les enseignants, n’est pas suffisant, étant donné que le « service » n’est pas de garder les enfants, mais bien de transmettre les savoirs.
S’ajoute à cela qu’on ne peut pas parler de SMA, quand ceux qui ont à l’assumer, aux yeux du gouvernement, sont les maires, donc leur personnel, et ceux qui doivent le financer les contribuables, la collectivité. Que les maires proposent aux parents un service de garde, quand les enseignants, ou d’autres, font grève, pourquoi pas. Mais qu’on ne parle dès lors pas de SMA. Si la volonté du président est de demander à son Premier ministre, d’organiser au plan national un système généralisé de garde des enfants lors des grèves, avec des antennes locales, pour la gestion du système, très bien. Mais cette initiative, qui a ses mérites, doit être concertée, et définie correctement, ne serait-ce que, parce qu’en plus du problème constitutionnel qu’elle pose, on l’a vu, elle a pour conséquences des soucis d’ordre financier et juridique.
En effet, qui doit financer non ce SMA, mais ce service de garde universel ? Logiquement, le secrétariat d’Etat à la famille. Pourquoi pas l’Education nationale ? Parce que le budget de celle-ci doit servir à l’instruction des Français, au payement du personnel de l’Education nationale, aux travaux dans les écoles, et au financement du matériel scolaire, notamment en primaire. Garder les enfants n’est pas une mission de l’Education nationale. Sur ce dossier, ce n’est donc pas M. Darcos qui devrait tenir la réforme, mais Mme Moreno. C’est une mesure à l’attention des familles, non des enseignants. Cela ne relève donc pas des compétences du ministre de l’Education nationale.
C’est d’autant plus nécessaire, que ce sont les employés des mairies qui seront mis à contribution, et non des enseignants (car ce n’est pas leur mission publique), pour assurer cet « accueil ». Autant dire que la seule mission légitime de M. Darcos, dans cette affaire, sera de prévoir de demander à chaque directeur d’école de remettre les clés de leur établissement au maire, en période de grève, et de prévenir suffisamment à l’avance (mais c’est généralement déjà le cas) l’Inspection pour que celle-ci puisse prendre ses dispositions, avec le secrétaire d’Etat à la famille, pour assurer ledit service.
Car se pose un dernier problème : la responsabilité. Dans le temps scolaire, la responsabilité des élèves est assurée par le directeur d’école, et celle de chaque classe, par les enseignants. Hors temps scolaire, cette responsabilité retombe sur les parents. Le maire assure, lui, la responsabilité de l’école, les jours où il n’y a pas classe, et les soirs et week-end. Mais qui est responsable des élèves, en cas de grève ? Il n’y a pas, pour l’heure, de réponse juridique claire. En effet, on peut se demander s’il s’agit du « national », étant donné que ce projet de loi est sien ? Celle des mairies et donc du maire, qui assure la responsabilité de l’accueil ? Ou encore celle des parents, puisque c’est librement qu’ils prennent la responsabilité de ne pas garder, chez eux, leur progéniture. L’obligation émise par Nicolas Sarkozy semble donner raison à la première théorie, puisque ce n’est plus une décision libre et acceptée du maire, mais une contrainte liée à la loi. Dès lors, le législateur doit seul prendre la responsabilité. D’où, au premier pépin (un enfant blessé par exemple), le ministre pourra sauter. La deuxième hypothèse est moins pertinente, car les maires lient leur responsabilité à la liberté de décision qui leur est possible en vertu de la Constitution (organisation décentralisée). Il résulte de cela que, si les employés de la mairie deviennent pour une journée ceux de l’Etat, on ne voit pas pourquoi les maires devraient assurer la responsabilité de l’Etat, si par exemple un employé de mairie met une claque à un enfant qui lui taperait un peu trop sur les nerfs. Restent les parents. Mais accepteront-ils de prendre la responsabilité… Sachant que les personnes chargées de « garder » leurs enfants n’auront pas les compétences forcément pour cela ? Que le « service » pourrait être discriminant ? (Les mairies n’ayant pas des ressources financières égales, ne pourront pas « recruter » des employés pour surveiller les enfants, à égalité).
Autant dire que si le service de garde universel répond à un désir parental fort, il ne saurait être question d’aborder cette question sur un mauvais rapport, qui l’est pour l’heure. Espérons que le gouvernement et les partis d’opposition agiront en adulte.
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