Le vote utile ? D’accord, mais utile à qui ?
A quelques jours du premier tour de l'élection présidentielle les intentions de vote se précisent. Mais depuis maintenant dix ans le spectre du 21 avril 2002 persiste et encourage le "vote utile". Une sécurité pour la démocratie ou bien au contraire un préjudice pour les idées ?
L’idée du vote utile est apparue le lendemain du premier tour de l’élection présidentielle de 2002 et s’est popularisée en quelques heures seulement sur tout le territoire. On parlait alors de la démocratie en danger, du risque ultime, du danger à éviter coûte que coûte. On a vu des unions apparaître, aussi improbables qu’éphémères. On a vu les rues inondées de monde pour des marches populaires. On a vu beaucoup d’effroi chez des électeurs de tous bords, une grande désillusion chez la jeunesse, un sentiment d’insécurité arriver comme un tsunami. Le vote utile était alors un synonyme de dernière chance, d’ultime espoir. Il était synonyme de « votez Chirac, quelques soient vos idées politiques, votez Chirac pour éviter le pire. ».
Qu’est-ce qui est utile dans le vote utile ?
Le vote utile est tout d’abord un vote d’évitement. On vote Chirac pour faire barrage à Le Pen. On vote Royal ou Hollande pour faire barrage à Sarkozy. Le vote utile n’est donc pas un vote de soutien mais de protestation et dans une proportion massive. Il s’agit d’un phénomène de résistance à un danger imminent, comme c’était le cas en 2002. Et comme la France est un pays solidaire dans l’adversité, le vote utile a eu un écho très particulier lors de l’élection de Jacques Chirac avec plus de 80% des voix ; un score africain ! Le vote utile est un vote bouclier, qui permet de protéger la nation contre un danger politique.
Cependant depuis 2002 l’idée du vote utile est toujours présente. L’apparition des deux visages du second tour reste un spectre dans notre inconscient collectif. Nous avons peur, nous, électorat de tous bords sauf de l’extrême droite. Nous avons encore peur aujourd’hui, dix ans après. Et comme nous avons peur, nous votons utile. Voilà donc trois élections présidentielles, 2002, 2007 et 2012 où nous évoquons couramment la possibilité de voter utile, sans compter les élections intermédiaires, tout cela dans le but de faire barrage aux candidats d’extrême droite. Dix ans que nous sacrifions nos idées pour certains, renonçant à un vote d’adhésion au profit d’un vote par dépit. Voilà ce qu’est devenue la démocratie en France.
A qui profite le vote utile ?
Ce qui est sûr c’est que le vote utile ne profite pas à l’extrême droite. Néanmoins ce parti n’est pas le plus exposé. Son électorat semble se galvaniser avec le temps et il se maintient depuis 2002 à un niveau plutôt élevé. Le vote utile lui aura été préjudiciable en 2007, mais qu’en sera t’il en 2012 ? En revanche le vote utile porte un lourd préjudice en 2007 sur la gauche antilibérale portée par Olivier Besancenot, Marie-George Buffet, Jové Bové et en d’autres mesures par Arlette Laguiller. La gauche est désunie et face à ce constat le vote utile prend toute son ampleur. Les antilibéraux sont contraints de voter massivement pour la candidate socialiste pour faire barrage à la droite. Les deux grands gagnants du vote utile sont bien évidemment les deux candidats placés par les sondages en tête des intentions de votes : Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. Mais cette polarisation obligée éveille alors une opposition. A ceux qui refusent l’abandon des idées au profit d’un vote de résistance, une nouvelle opportunité s’ouvre ; un candidat qui s’affirme ni de gauche, ni de droite, et opposé en même temps à cette polarisation. Le candidat centriste, qui installera d’ailleurs sa campagne dans ce créneau, sera le plus grand bénéficiaire de l’opposition au vote utile, ce qui lui offrira la troisième place au premier tour.
En 2012 la donne semble peu ou proue la même. Nous retrouvons cette polarisation utile, le candidat centriste qui fédèrent ceux qui la refusent et l’extrême droite qui tient ses positions.
Une alternative pour 2012 ?
Pour cette nouvelle élection il faudra compter sur l’émergence du candidat du Front de Gauche, Jean-Luc Mélenchon, qui progresse régulièrement dans les sondages. L’impopularité du président sortant et l’avance considérable du candidat socialiste sont sans doute les deux facteurs qui ont permis à gauche de faire oublier le spectre de 2002 et qui ont permis aux sympathisants de choisir de soutenir un candidat pour des idées fortes, autre que le socialiste. Ayant quasiment doublé son score dans les intentions de votes depuis le début de l’année, Jean-Luc Mélenchon s’impose désormais comme une alternative idéologique à l’électorat de gauche contrarié ou déçu par la candidature socialiste. Et si cette dernière bénéficie encore grandement du vote utile, elle est désormais mise en danger. Il ne fait toutefois pas de doute que l’électorat Mélenchon se reportera massivement sur le candidat Hollande au second tour s’il venait à y être. Mais il serait intéressant de voir parmi l’électorat de gauche lequel aurait la majorité au second tour s’il avait lieu entre Hollande et Mélenchon. Le danger de l’extrême droite écarté, le vote utile n’aurait plus de sens et les électeurs auraient alors de nouveaux critères de sélection.
Le vote utile qui achève la démocratie.
Le vote utile, qui se veut être un réveil national pour la défense de la démocratie est devenu aujourd’hui le pire ennemi de celle-ci. Forçant une polarisation il porte atteinte aux idées. En ce sens il s’oppose littéralement au vote d’adhésion. Il est question de voter par dépit et non par conviction. Notre démocratie en devient une démocratie au rabais. Les principaux candidats se savent en sécurité quand les plus petits s’époumonent à défendre des idées et des programmes. Les sondages contribuent grandement à la défense du vote utile. Il suffit que la courbe d’intention de vote de l’extrême droite monte pour que celles de Sarkozy et Hollande remontent. Si la courbe de l’extrême droite baisse alors on voit s’agiter les courbes les plus basses. Le même phénomène a lieu, dans d’autre mesure, avec le vote utile qui veut l’éviction du candidat Hollande ou du candidat Sarkozy.
A force de combattre l’extrême droite, on en vient à aplatir le débat politique. Jamais avant 2002 et surtout avant 2007, les thématiques de l’extrême droite n’avaient eu autant de place dans le débat. Aujourd’hui elles occupent presque tout le champ de vision des électeurs. Tant que le débat sera maintenu à ce niveau, le vote utile demeurera, et les électeurs iront aux urnes non pour défendre des idées et soutenir un candidat mais plutôt pour soutenir l’un des deux candidats qui saura le mieux faire barrage à l’extrême droite. Le vote qui voulait donc protéger la démocratie montre ses effets pervers et devient aujourd’hui le principal frein de la démocratie.
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