Les gens du MoDem : réels ou virtuels ?
Serais-je devenu monomaniaque ? Depuis maintenant deux mois, je poursuis une quête insensée. Je suis à la recherche d’êtres humains. Oui, parfaitement, d’êtres humains.
« C’est simple, » me direz-vous, « lâchez donc vos prothèses numériques, abandonnez clavier, souris et autre modem, troquez ce pyjama que vous n’avez plus quitté depuis des semaines pour un pantalon, mettez le nez dehors et vous en trouverez forcément quelques-uns ! »
Erreur ! Je ne cherche pas de ces êtres humains ordinaires comme vous et moi, de ceux qui vous bousculent dans le métro et achètent des baguettes « pas trop cuites ». Non, je cherche des êtres humains d’essence exceptionnelle, des êtres humains tendance MoDem, de ceux qui bloguent sans désemparer et qui, à eux seuls, ont déjà inventé, écrit et réécrit toute l’histoire du MoDem au moins cinq ou six fois.
5 juillet 2007, 17 heures : "J’ai deux
difficultés"
Le 5 juillet 2007, au cours d’une rencontre avec des adhérents MoDem, François
Bayrou ouvre son cœur : il a un problème. Et voici ce qu’il dit :
"Pour l’essentiel, là, vous êtes des
internautes. C’est même comme ça qu’on vous invite. Hier soir, à Lille, il y
avait 850 personnes : un clic ! Comment on fait avec les 40 millions de
Français qui ne sont pas des internautes ? Ca c’est pour moi une grande
difficulté."
Vous, je ne sais pas. Mais moi, dès que j’ai entendu cela, une question m’a
traversé l’esprit : en quoi 40 millions de Français débranchés pourraient-ils poser
souci puisque 50 000 Français, branchés ceux-là, ont adhéré au MoDem en deux
clics et un chèque ?
5 juillet 2007, 20 heures : début de la
quête
Je ne sais vraiment pas ce qui m’a pris : négligeant honteusement l’appel à la
recherche de solutions économiques et innovantes pour repêcher ces 40 millions
de "hors ligne" sinistrés, je suis aussitôt parti en sens inverse, à
la recherche de ces presque déjà fameux "blogueurs bayrouistes".
Et me voici en route pour la découverte de ce nouveau Nouveau Monde. D’abord,
se connecter. Dzing Bong ... Tulutulutulutulutulu ...Tzoing, Tzoing. "Vous
êtes connecté en tant que ...". Je suis connecté, parfait ! Jusque-là, tout
va à merveille. Connecté, mais à quoi ?
D’abord, inventorier ces lieux virtuels où s’élabore la pensée démocrate de
demain. Hop, une recherche sur un premier mot-clé judicieusement choisi :
"bayrou". Aïe : 5 470 000 pages pour "bayrou" en 6 centièmes
de secondes. Décidément, on est vraiment peu de choses : un Bayrou unique,
forcément unique, subitement reproduit à plus de cinq millions d’exemplaires,
et tout cela en moins d’un dixième de seconde. C’est glaçant !
Je décide d’essayer autre chose. Je choisis "amis bayrou" en me
disant que, forcément, avec toutes ces récentes défections, le nombre d’amis
restants devrait être des plus raisonnables : 989 000 pages. Quand même ! C’est
moins, mais c’est encore beaucoup trop.
Emporté par une espèce de frénésie, voilà que je me surprends maintenant à traquer
ses ennemis. "Ennemis bayrou" : 150 000. Ouf, il a moins d’ennemis
que d’amis. Mais tout de même, 150 000 ennemis, c’est déjà beaucoup.
Mai je m’égare. Il est 4 heures du matin, et je n’ai toujours pas trouvé le
moindre blogueur bayrouiste. Nous
verrons demain.
L’Hydre numérique
Le lendemain, le surlendemain, et tous les jours suivants, je cherche. Ce n’est
pas la rareté qui m’égare, mais l’abondance. "Blogs Bayrou" :
2 100 000. "Forums Bayrou" : 1 390 000. Par où commencer ?
Et voilà que je fais une première découverte : il en va des blogs et des forums
bayrouistes comme de la cuisine. Industrielle, gastronomique ou familiale, la
cuisine blogueuse bayrouiste se met
en quatre pour satisfaire les exigences d’une clientèle variée. Et il y en a
vraiment pour tous les goûts.
Le forum industriel est, de loin, le plus facile à identifier : lisse, fluide,
beau à voir, et interdisant toute communication entre ses membres autrement que
par des messages qui transitent par le forum lui-même. Grâce à cet ingénieux
dispositif, les modérateurs du forum, qu’évidemment personne ne connaît et dont
personne sauf eux ne sait ce qu’ils modèrent, sont les seuls à savoir vraiment
qui parle à qui.
Vous comprendrez que l’on ne peut pas totalement exclure que ces forums soient
gérés par des annexes de tel ou tel parti ou mouvement politique ayant à voir
avec la tonalité générale du forum concerné. Au fait, avez-vous déjà essayé
d’en savoir un peu plus sur les forums sur lesquels vous allez ? Essayez et vous
verrez : c’est très compliqué.
Le forum gastronomique, fait par des personnes de goût, s’adresse à des
personnes de goût. Il est assez facile à reconnaître : sobriété des formes et
des couleurs, articles profonds mais sans prétentions excessives. Bref, le bon
goût français assaisonné à la sauce numérique. Forcément très ennuyeux pour les
fébriles compulsifs pour qui un site qui ne clignote pas ne peut pas être un
bon site.
Quant au forum familial, ses qualités sont très étroitement liées aux talents
de son concepteur. Du plus laid au plus magnifique, de l’inerte absolu au
dynamique enthousiaste, les choses vont et viennent à toute allure dans ce monde.
Tel blog un jour au firmament se trouve, le lendemain, oublié de tous et
relégué au rang des curiosités sans que personne puisse vraiment expliquer
pourquoi.
C’est que le blogueur est fantasque,
versatile et, pour tout dire, presque insaisissable. Tiens, je repense à
François Bayrou tout à coup. Et si, ayant réalisé cela, il en était arrivé à la
conclusion que la blogosphère n’est qu’une immense virtualité opportune mais
impropre à la naissance dans le monde réel ? C’est sûr : si c’est vrai, il
n’est que temps d’aller coller des affiches sur le moindre panneau jusqu’au
plus reculé des villages.
Le blogueur,
une espèce singulière
Deuxième découverte étonnante : il n’est de bon blogueur qu’un blogueur
cloné. Qu’est-ce qu’un blogueur cloné
? C’est un blogueur qui, sous la même
identité (rare) ou des identités différentes (beaucoup plus fréquent), est
inscrit sur plusieurs blogs ou forums.
Il y en a de très malins qui s’ingénient à brouiller les pistes. Il y en a
d’autres, moins avisés, qui sèment à travers leurs diverses identités une
quantité telle d’indices concordants qu’un enfant de dix ans modérément
intelligent saurait les réconcilier sans faire tort à ses neurones.
Dynamisé par tant d’étrangeté, me voici reparti à l’assaut de ce monde
singulier. Quelques semaines plus tard, je découvre presque par hasard que des
esprits avisés, ayant sans doute constaté et déploré comme moi le fouillis
généralisé, se sont mis en tête de créer des annuaires électroniques
répertoriant les blogs et forums bayrouistes.
Je touche au but. Des annuaires qui répertorient méticuleusement des blogs que
je pourrai à leur tour, quand j’aurai d’abord consulté les annuaires, visiter
l’un après l’autre. Le rêve ! Enfin, presque : 231 000 pages rien que pour les
annuaires de forums bayrouistes.
Mauvaises méthodes, décidément. Je vais faire les investigations moi-même, à la
main et à l’ancienne.
Un mois plus tard...
Voilà, ça y est, j’y suis arrivé. A raison de 12 heures par jour pendant
30 jours, soit la bagatelle de 360 heures plus une tendinite et deux
dixièmes perdus à chaque oeil, j’ai enfin la liste, MA liste des sites et des blogueurs qui comptent. Finalement, ils
sont 27. C’est très peu, finalement.
Sur leurs sites, c’est l’effervescence : on prépare le "Forum des
Démocrates" de Seignosse, qui doit se tenir mi-septembre. A lire les
contributions sur ce sujet, j’ai l’impression parfois que le MoDem est un
patient entouré de milliers de médecins qui se perdent en conjectures quant au
diagnostic. Gravement malade ? En pleine forme ? Mourant ? Je ne sais pas, je
ne sais plus. Plus personne ne sait rien, je crois. Mais on en parle, c’est
déjà ça.
Je lis des dizaines et des dizaines de projets et de contributions, des
centaines peut-être : statuts du MoDem, règles de fonctionnement, charte
éthique. Le clou ? Une contribution faite à partir du recyclage des travaux
d’une association qui a cogité pendant des années sur l’activité citoyenne :
180 pages de statuts pour expliquer que, finalement, la démocratie, ce n’est
pas bien, mais mieux.
Un mot récurrent, presque obsessionnel, revient sans arrêt :
"citoyen". On l’accommode de quantité de manières : en pensée (la
"réflexion citoyenne"), en parole (le "discours citoyen"),
en action (les "initiatives citoyennes"), et même, en pique-nique.
Ainsi, le temps du "banquet républicain" serait révolu, place
maintenant au "pique-nique citoyen". Après cela, il s’en trouvera
encore pour oser prétendre que la vie n’a pas augmenté !
De nombreux cafés plus tard, le cendrier débordant et l’œil éteint, j’ai
soudain envie de voir du monde, des vrais gens, des êtres humains, quoi ! Et
là, une idée absurde me traverse la tête.
Hou hou, il y a quelqu’un ?
Je décide d’entrer en contact avec celles et ceux que j’ai répertoriés dans ma
fameuse liste. Mais avant, je prends soin d’étudier leurs articles de manière
approfondie. Je repère les points de convergence et de divergence entre leur
façon de voir et la mienne.
Quand je me sens prêt, je rédige pour chacun un message personnalisé dans
lequel j’aborde les points qui semblent leur tenir le plus à cœur, et autour
desquels j’argumente. Bref, je m’intéresse. J’envoie le tout et, plein
d’enthousiasme fébrile, j’attends.
Enfin, je vais entrer en contact avec mes semblables, mes frères, ces êtres
humains, forcément profondément humains, qui partagent avec moi le désir de
faire pousser la graine démocrate semée par François Bayrou, une graine nourrie
des valeurs du dialogue, de l’échange, du respect, de la tolérance et de
l’ouverture aux autres.
Devinez combien m’ont répondu ? Deux.
La statistique a parlé : il y a 7,4 % d’êtres humains avérés sur ces quantités
de blogs et autres forums que j’ai parcourus sans fin pendant des semaines, et
qui comptent paraît-il des milliers de membres.
Combien faut-il enlever de membres inscrits sous plusieurs identités ? Combien
faut-il enlever de professionnels rémunérés pour entretenir le mouvement ?
Combien faut-il enlever d’automates qui, sachant envoyer seuls des messages peu
intelligibles mais acceptables, peuvent faire croire aux humains qui les lisent
qu’ils parlent avec d’autres humains ? Combien faut-il enlever d’internautes
que la seule vue de leur voisin de palier terrorise, et qui n’iront jamais au-devant de leurs semblables ? Combien faut-il enlever de purs esprits qui,
au-delà de la cogitation virtuelle, ne peuvent pas imaginer une seule seconde
d’œuvrer à la transposition dans le réel de leurs brillantes pensées ?
Combien en reste-t-il, une fois tous ceux-là ôtés ? Combien sommes-nous ? Non,
je ne ris plus. Je n’en ai soudain plus aucune envie. Un doute presque
existentiel m’envahit. COMBIEN SOMMES-NOUS ?
Sommes-nous des dizaines de milliers ou bien des milliers ? Sommes-nous
seulement quelques centaines ? Serions-nous seulement trois, les deux qui m’ont
répondu et moi ?
Dernière chance
On m’a dit que dans la région parisienne, il se tiendrait le 2 septembre une
journée démocrate au cours de laquelle des êtres humains devaient se rencontrer
pour de vrai afin de préparer ensemble une contribution pour le Forum des
Démocrates de mi-septembre à Seignosse.
J’en viens à me demander si c’est vrai. Quoi qu’il en soit, j’irai. Ce sera
pour moi comme une dernière chance de rencontrer mes semblables.
Peut-être ne serons-nous que trois. Peut-être même serai-je le seul présent,
entouré d’ordinateurs démocrates surpuissants, de robots démocrates
extraordinairement intelligents, de modems démocrates à très haut débit, et
d’informaticiens démocrates humains mais à peine, seulement préoccupés du bon
fonctionnement de leurs machines, et qui ne me diront même pas bonjour.
Dites, ça vous dirait de m’accompagner ? Je ne sais pas pourquoi, mais je me
sens un peu seul, tout-à-coup.
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